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  • L’Écriture comme une sonde1Entretien avec Kebir Mustapha Ammi
  • Soundouss El Kettani (bio)

Kebir Mustapha Ammi est né en 1952 au Maroc, à Taza, une petite ville de l’Est qui s’immisce souvent, quoique très discrètement, dans ses romans. Il est le fils d’un Algérien berbérophone et d’une Marocaine arabophone. Il a donc très tôt, et comme plusieurs auteurs nés au Maghreb, été familier de la multiplicité des parlers et des langues, de leurs heurts et de leurs possibles communions. Muni du fameux baccalauréat (diplôme de fin d’études secondaires), rite de passage obligé de tout jeune Maghrébin, Kebir Mustapha Ammi quitte le Maroc pour des années de formation aux États-Unis puis en Angleterre. Il s’installe en France en 19772 où il exercera pendant plusieurs années le métier de professeur de langue anglaise. Le premier récit publié de Kebir Mustapha Ammi, Le Partage du monde, paraît en 1999 dans la collection “Frontières” de Gallimard, collection pour la jeunesse “dédiée à l’éloge du brassage des langues, des religions et des cultures.”3 Son entrée dans le monde de l’édition française se fait donc sous l’obédience de la multiculturalité et dans un cadre didactique, il faut bien en convenir, d’introduction à la diversité pour un jeune public. Jusqu’en 2003, Kebir Mustapha Ammi sera ensuite accueilli dans trois maisons d’édition relativement jeunes, les Éditions de l’aube, les Presses de la Renaissance et Lansman.4 Il y publiera récits, romans et essais (souvent biographiques). Il y évoquera saint Augustin, Abd el-Kader et Hallaj, Alger, Thagaste et Meknès et continuera donc de creuser la voie d’une réflexion sur soi et l’autre, sur le chez-soi et l’ailleurs, sur les frontières et sur l’histoire. En 2004, Gallimard Jeunesse lui rouvre ses portes, et il y fera paraître Feuille de verre, récit d’un jeune démuni en état de survie permanent et qui cherche sans relâche à protéger sa liberté. Le tout est raconté sans pathos, ce qui sera désormais l’une des marques de fabrique de l’auteur. À partir de 2007, cependant, c’est la “Blanche” qui devient le foyer éditorial de Kebir Mustapha Ammi. Il y fera paraître, coup sur coup, trois romans, Le Ciel sans détours (2007), Les Vertus immorales (2009) et Mardochée (2011). Une petite invitation [End Page 137] incestueuse de la sœur Mercure de France (achetée par Gallimard en 1958) aboutira à la publication d’Un génial imposteur dans cette maison en 2014.

L’auteur est donc, à présent, au cœur du champ littéraire français, voire parisien. Ses récits s’ancrent dans des préoccupations récurrentes, des obsessions qui deviennent sa signature. Kebir Mustapha Ammi s’interroge sur le mensonge, l’imposture et la cruauté que chacun de nous porte en lui, mais qui attendent souvent les dérapages de la vie pour se révéler. Les héros de ses romans sont des êtres rejetés par des communautés pour le moins inhospitalières, qui les contraignent, d’une part, au déplacement continuel et, d’autre part, à des ignominies impensables. Mardochée, le héros du roman éponyme, devient espion dans son pays de naissance, qu’il livre aux vautours et où il commet impassiblement des meurtres inutiles. Moumen, le voyageur des Vertus immorales, s’improvise prophète en Amérique et y pratique sur des humains prisonniers des expériences médicales de dissection à vif. Les questions fondamentales posées par Kebir Mustapha Ammi, on le voit, sont universelles. Son mode préféré d’incitation à la réflexion se situe dans l’émergence d’une mauvaise conscience chez le lecteur qui, souvent à cause du choix d’une narration à la première personne, est placé, malgré lui, du côté du monstre. Dans la mesure où ces récits tourmentent le lecteur par la proximité du mal dont il pourrait éventuellement être l’agent, ils s’inscrivent bien dans la...

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