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  • Rétif de la Bretonne spectateur nocturne: une esthétique de la pauvreté by Philippe Barr
  • Laurence Mall
Rétif de la Bretonne spectateur nocturne: une esthétique de la pauvreté. Par Philippe Barr. (Faux titre, 377). Amsterdam: Rodopi, 2012. 192192 pp.

Mise à part leur réimpression en 1988 chez Slatkine en huit volumes peu accessibles, les immenses Nuits de Paris de Rétif de la Bretonne, écrivain extraordinairement prolifique du dernier tiers du dix-huitième siècle, ne bénéficient que d'anthologies. À lire l'étude de Philippe Barr, on le regrette d'autant plus. Il soutient que s'élabore dans les Nuits une poétique esthétiquement et idéologiquement complexe du récit d'exploration urbaine, à la fois solidement établie dans un réseau de pratiques d'écriture contournant les Lumières françaises, et novatrice par la synthèse inattendue qui la constitue. La lecture des Nuits a souffert, affirme l'auteur, de deux types de traitement fâcheux. L'un consiste à en faire une fausse fenêtre pour la symétrie, soit un pendant nocturne du Tableau de Paris de Mercier, écrit à lamême époque et qui traite—fort différemment—une même matière urbaine. Un autre écueil, que résume l'appellation malveillante de 'Rousseau du ruisseau' accolée à Rétif: on traque dans toute la production de l'écrivain les symptômes d'une compulsion autobiographique d'une naïveté un peu balourde, et un grossier réalisme. Pour extraire les Nuits de ce carcan de stéréotypes, Barr adopte deux stratégies principales. D'une part, il établit un riche ensemble de lignées convergeant dans les Nuits, incluant, entre autres: (1) le Spectator d'Addison, où se forme une figure de l'homme de lettres observateur urbain, puis les Journaux de Marivaux, où l'enclos moraliste s'ouvre au peuple, à la rue; (2) les Entretiens sur la pluralité des Mondes de Fontenelle et leur 'terreur libidinale' (p. 61), mais aussi les Nuits de Young traduites par Le Tourneur et le sublime de Burke, où l'écriture se libère de l'exigence de clarté; (3) le conte (si prisé au dix-huitième siècle), pour faire du narrateur une 'nouvelle Schéhérazade' (p. 167) négociant ses récits en travailleur du mot. La seconde stratégie majeure de Barr consiste à desserrer les fils de cette dense pelote idéologique qu'est le dispositif narratif commandant l'ensemble du texte, et, ce faisant, à cerner finement les conditions de l'inscription intradiégétique du lecteur ou de la lectrice. Le narrateur 'hibou' sort la nuit, observe et vit une aventure dans un milieu populaire, et rentre la raconter à un personnage aristocratique, 'la Marquise', qui à l'aurore va se coucher. Homme pauvre, il se hisse par le récit à la hauteur de la Marquise. En parallèle, cette 'énergie à double face qu'est l'horreur qui plaît' (p. 149) a la mission morale de transformer la vision du peuple que se fait le lectorat bourgeois et aristocratique. Une armature plus ferme aurait été souhaitable, l'auteur brassant parfois un matériel disparate sans toujours parvenir à en réduire l'hétérogénéité. Il n'aurait pas été superflu de problématiser davantage 'l'esthétique de la pauvreté' en vue du conservatisme politique de Rétif (le problème est évoqué brièvement, pp. 144-49). Mais in fine cette étude très suggestive et stimulante éclaire la complexité de la démarche novatrice (non-rousseauiste) de Rétif, qui, en s'allégorisant dans le clair-obscur de l'imaginaire, opère une dé-légitimation du discours éclairé du philosophe et annonce la figure du poète maudit. [End Page 412]

Laurence Mall
University of Illinois at Urbana-Champaign
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