[BOOK][B] Dictionnaire de l'Académie française

Académie Française - 1838 - books.google.com
Académie Française
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VI PRÉFACE. formes, ses tours et son harmonie, une physionomie plus distincte et plus
libre. Enfin, l'état même de la civilisation française, qui semble avoir marché par secousses,
faisant effort, puis retombant, essayant une voie nouvelle, puis reculant, tour à tour active et
découragée, prospère et malheureuse, l'état de cette civilisation semblerait sc reproduire
dans les phases diverses et courtes de l'idiome de nos pères. A ces causes particulières se
joindraient les causes générales, qui, chez toutes les nations, ont amené une sensible …
VI PRÉFACE. formes, ses tours et son harmonie, une physionomie plus distincte et plus libre. Enfin, l'état même de la civilisation française, qui semble avoir marché par secousses, faisant effort, puis retombant, essayant une voie nouvelle, puis reculant, tour à tour active et découragée, prospère et malheureuse, l'état de cette civilisation semblerait sc reproduire dans les phases diverses et courtes de l'idiome de nos pères. A ces causes particulières se joindraient les causes générales, qui, chez toutes les nations, ont amené une sensible différence entre la changeante rapidité des époques de formation et de débrouillement, et la durée de l'époque dernière, où une langue, qui semble fixée, se développe encore, sans s' altérer, et acquiert; sans rien perdre. La durée, la stabilité relative de cette dernière époque, indique assez que tout n'est pas accidentel et fortuit dans le langage, qu'il y a là, comme ailleurs, un point de vérité, auquel on se tient longtemps, quand on l'a trouvé. Le talent supérieur de l'écrivain ne peut, à lui seul, hâter cette époque, et devancer le progrès général. L'incomparable imagination de Montaigne n'a pas fait que les formes de sa langue fussent encore dans l'usage, cinquante après lui. La langue de Balzac et de Pellisson, inférieurs à Montaigne, mais venus à propos, est encore la nôtre. Saisir et embrasser, parmi les âges successifs d'une langue, ce dernier âge de formation régulière et fixe, reproduire fidèlement ce dernier cadre, dont les divisions et l'ordre ne changent plus, quoiqu'il s'y place encore des termes nouveaux, c'est donc un travail utile et vrai, qui n'a rien d'arbitraire, bien qu'il reconnaisse la souveraineté de l'usage: car l'usage même, comme le hasard, obéit à une loi cachée. Ou, pour mieux dire, il n'y a pas plus de caprice dans l'esprit humain qu'il n'y a de hasard dans la nature. L'une et l'autre expression est également le nom vague d'unc cause que nous n'avons pas su découvrir.
Or, nul doute qu'il ne se rencontre une époque où l'usage, en fait de langue, exprime un état des esprits plus sain, plus vigoureux, plus élevé, ou plus délicat, plus subtil, plus ingénieusement corrompu. C'est entre ces deux points que se trouvera la belle époque d'une langue; et si les écrivains de génie ont abondé dans le même temps, s' ils ont agité toutes les questions religieuses et civiles dont l'intelligence humaine s' occupe, sous peine de dégénérer, cette époque ne cessera pas d'agir sur les époques suivantes. Sa langue, lors même qu'elle ne sera plus complétement usuelle, demeurera classique; et on ne pourra, sans emprunter quelque chose à cette langue, se rendre familiers les sujets qu'elle a traités, et qui sont incorporés à ses expressions. Qu'elle soit ensuite calquée par des imitateurs sans génie, ou forcée, exagérée par des novateurs sans goût, elle n'en reste pas moins un type de perfection relative. Ce sera le grec d'Athènes, depuis Eschyle jusqu'à Ménandre, le latin de Rome, depuis Térence, César, Cicéron, jusqu'à Tacite, et notre français, depuis Descartes et Corneille. De grandes variétés, non-seulement individuelles, mais générales, seront comprises encore dans ces divisions. Chaque époque ainsi étendue renferme plusieurs époques où se marquent tous les caractères et comme tous les essais de la décadence, en face des types heureux et purs qui se renouvellent encore. Le savant, l'homme de goût pourra choisir, dans ce long intervalle, un âge d'or, dont il bornera plus ou moins les limites; il pourra noter, avant et après ces époques, bien d'autres beautés de langage: mais il n'en est pas moins vrai que lorsqu'un idiome, longtemps parlé, longtemps écrit, a épuisé les combinaisons les plus naturelles de l'art de s' …
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