Louis Hamelin et ses doubles (review)

Le livre de François Ouellet et François Paré, sur Louis Hamelin et ses doubles, repose sur un double pari méthodologique qui aurait pu échouer de façon assez fracassante. Lire l'œuvre d'un écrivain à partir de la supposition qu'elle signifie en tant qu'œuvre comporte déjà ses périls. Le développement d'un parcours analytique qui voudrait rendre compte d'un sens plus grand que la somme de ses parties peut en effet entraîner bien des compromis chez l'essayiste, ce dernier étant soucieux de maintenir coûte que coûte la cohésion de ce présupposé dont il a perdu de vue l'arbitraire. Or tenter cela à deux, face à une œuvre aussi méandreuse et chargée que l'est celle de Louis Hamelin, et le faire qui plus est à travers une correspondance épistolaire qui comporte inévitablement ses délais, ses silences, ses approximations, ses malentendus larvés, voilà qui ne peut qu'accroître l'incertitude quant à l'issue de l'exercice. Cela dit, le livre bicéphale de Ouellet et Paré est un beau succès. Non parce qu'il surmonte les obstacles inhérents à sa méthode, mais au contraire parce qu'il les assume pleinement, et du coup les retourne à son profit. Le livre a d'ailleurs été reconnu et salué comme tel par un jury unanime à l'Association des littératures canadiennes et québécoises. Celui-ci lui a décerné le prix Gabrielle-Roy 2008 en ne manquant pas de souligner combien la rigueur des propos théoriques s'y alliait à quelque chose d'autre et de plus rare : une tonalité émotionnelle affleurant parfois à nu dans les échanges, et contrariant par là les attentes d'un lectorat habitué à l'austérité savante de l'analyse textuelle. De fait, la valeur du livre de Ouellet et Paré tient aussi bien aux enjeux et questions qu'il véhicule quant à l'écriture de la critique littéraire qu'à ceux qu'il se propose plus classiquement de mettre au jour dans le travail de Hamelin lui-même.

Louis Hamelin et ses doubles n'est pourtant pas sans précédent, puisqu'il est le second ouvrage de ce type offert par les deux spécialistes dont la réputation n'est plus à faire au sein des études littéraires francophones en Amérique du Nord. Il survient huit ans après le trop peu commenté Traversées qu'avaient publié les Éditions du Nordir à Ottawa. Mais on s'aperçoit à la lecture que seulement trois ans, en réalité, séparent les deux projets. Le livre sur lequel nous nous penchons aujourd'hui commence avec une première lettre datée du 3 février 2003. Le délai est assez court entre les deux pour que l'on puisse soupçonner que l'expérience du premier ouvrage a influencé directement l'élaboration du second. Dans Louis Hamelin et ses doubles, est ainsi exprimé d'entrée de jeu le souci de baliser le parcours et surtout de contrô ler l'imprévisibilité d'un échange épistolaire qui, les contraintes du travail universitaire et la vie quotidienne de chaque auteur obligeant, ne pourrait raisonnablement s'effectuer d'un trait et selon un rythme soutenu. « Il faut reconnaître que nous rédigeons ces textes dans les marges de nos vies quotidiennes » écrit Paré. Ce à quoi on ajoutera que les deux auteurs n'habitent pas proche, la plupart des lettres étant partagées entre Kitchener et Chicoutimi. Ce sont donc d'abord les dispositions et disponibilités des correspondants qui ont commandé la structure du livre, le reste étant donné par l'enchaînement des œuvres de Hamelin depuis La rage en 1989 jusqu'à Sauvages, dont l'irruption en 2006 a contraint les deux auteurs à reprendre un travail qu'ils avouent avoir cru clos et quasi bon à tirer quelques semaines auparavant. Telle est la puissance de...