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Reviewed by:
  • Une ombre entre les ombres
  • Hans-Jürgen Greif (bio)
Pierre Ouellet , Une ombre entre les ombres, Montréal, l'Hexagone, coll. La voie des poètes, 2005, 181 p., 19,95$

Ce récit poétique de Pierre Ouellet, connu surtout pour ses recueils de poèmes et ses essais, reprend le sujet au centre de ses préoccupations, celui des relations entre le soi et l'autre. Il met en scène, d'abord et avant tout, le narrateur, ensuite l'ami d'enfance de ce dernier, Jean Lhomme, puis Allumette Tremblay, et introduit, pour terminer, l'énigmatique Fay Rose. Allumette et Jean paraissent être faits l'un pour l'autre, mais Jean, dans un geste qui, à prime abord, semble incompréhensible, « refile » la jeune fille au narrateur, tout comme il lui enverra plus tard quantité de billets décrivant sa relation avec Fay. Les rô les des deux femmes et de leurs partenaires - terme imprécis, puisque nous ne savons pas vraiment ce qui s'est passé entre Allumette, Fay et le narrateur - ne sont guère réjouissants : les uns et les autres se rencontrent pour s'aimer, se blesser, puis pour détruire ou abandonner soit eux-mêmes, soit leur amour.

La mise en place de la structure de ce récit, aux antipodes du roman, occupe un espace trop considérable pour un tissu narratif aussi mince. Le lecteur est plongé, souvent contre son gré, dans des descriptions des moindres mouvements de l'âme de chaque protagoniste ou, mieux, dans ceux du narrateur qui, dans un jeu de miroir, se retrouve dans les réactions de l'homme. Celles des femmes demeurent opaques, réduisant ce qui aurait pu devenir un dialogue à un monologue du narrateur dont le discours reprend, dans des variations à intérêt fortement inégal, le même sujet, celui de la condition masculine dans un monde difficilement supportable. Autrement et dit sans détour : il s'agit davantage d'un texte sur le moi que sur le soi et l'autre.

On connaît les qualités du poète qu'est Pierre Ouellet. Ici, la prose poétisante, délibérément orientée sur le non-dit, ne donne pas de résultats probants. D'abord à cause du nombre excessif de métaphores qui pleuvent comme autant de grêlons. Ils ont beau fondre rapidement, ils ne peuvent empêcher la venue d'autres qui se superposent à l'infini. Chez le lecteur, cette pluie incessante crée un refroidissement rapide du désir de continuer à lire, doublé d'un effet de lassitude et de surenchère. Les silences, pourtant nécessaires dans ce genre de livre, sont meublés par la quantité regrettable [End Page 140] de mots qui effilochent la pensée. Les paronomases sont faciles (comme « Allumette [Tremblay] tremblait »). Les mots-clés « enfance, misère, mort, amour, morceaux de vie, cœur, soupir, existence, visage, vue, chambre, défenestration, improbable, dos, hanches, acide, vitriol », si nombreux, reviennent trop souvent et ne provoquent pas un sentiment d'insistance, mais plutô t le contraire, celui de leur enlever leur importance tout en révélant la préférence de l'auteur pour l'un d'eux (comme « défenestration » qui est repris maintes fois dans un court passage).

Les procédés d'écriture sont fortement répétitifs. Dire trois fois ce qui ramène à la même chose devient agaçant à la longue (« tous nos souvenirs démembrés, éparpillés, disséminés » ; « on dirait quelqu'un qui repasse sa vie au carbone 14, au détecteur de mensonge, au sérum de vérité » ; « le petit train-train, le jour-le-jour, le quotidien ». Il y en a beaucoup d'autres.) L'habitude de Ouellet d'enchaîner et de pousser en avant sa réflexion sur la condition du narrateur et celle de Jean Lhomme n'est pas moins irritante : au même nom ou à la racine d'un verbe, il accroche des préfixes qu'il change à sa guise, d'une idée à l'autre. Cela aurait pu passer une douzaine de fois dans un texte...

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