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462 LETTRE5 CANADIENNES 1998 et 1a television. L'etre artificiel s'mscrit, en ce sens, dans un reseau semiotique et culturel au technologies et machines occupent une place determinante. Les analyses rendent compte ala fois de l'inscription de la technologie et de la science dans les textes et des resonances fantasrnatiques et psychologiques provoquees par ces etres hybrides que sont les automates. Cette reflexion rappelle celle d/un des derniers livres de Philippe Breton, A l'image de l'homme. Cependant, ce dernier s'interesse d'abord aux creatures artificielles dans l'irnaginaire, sans se limiter a 1a litterature (dans ceUe perspective, les Ieflexions ideologiques derriere la creation de la cybernetique et de l'intelligence artificielle occupent Wle place centrale). L'interet premier du livre de Daniel Canty est justement de situer la litterature au premier plan de cette reflexion, devant la sociologie (comme Breton) ou la philosophie (camme BeaWle). Vne autre des grandes qualites de ce livre est de faire decouvrir des textes mineurs et de leur donner un eclairage tres interessant al'interieur de la problematique proposee iei. Acote de textes et d'auteurs canoniques (Poe, Hawthorne, Melville), la presence de Jenkins, O'Connor, Putnam, Mitchell (1'analyse du texte de ce dernier compte parmi les meilleures pages de I'ouvrage) permet de demontrer la pregnance de la figure de I'autOIDate dans 1a litterature americaine du XIX e siecle. ftres artificiels. Les automates dans fa litterature americaine interessera sans nul doute ceux qui portent un regard attentif ala litterature americaine en general, mais il interessera egalement Ies lecteurs de science-fiction qui y trouverontune forme d'archeo!ogie du genre aux Etats-Unis, ainsi quetous ceux qui s'interrogent, al'instar de Pierre Nepveu dans son demier essai Interieurs du Nouveau Mande, sur la maniere de representer et de definir Ie sujet nord-arnericain. (JEAN-FRAN~OIS CHASSAY) Yolande Grise et Jeanne d'Arc Lortie, s.c.o. avec la collaboration de Pierre Savard et Paul Wyczynski, Les textes poetiques du Cal1ada jranr;ais 1606-1867, vol. 9: 1861-1862; vol. 10: 1863-1864 Saint-Laurent, Fides, 1996, 796 p., 89,95$; 1997,842 p., 89/95$ L'equipe des Textes poetiques du Canadafran~ais (desormais TPCF) de 1606 a 1867 poursuit son travail fondamental avec la publication des volumes 9 et 10 couvrant les annees 1861-1864. Rappelons au depart que cette entreprise n'est pas de type anthologique: on publie toutes Ies pieces poetiques ecrites entre 1606 et 1867, telles qu'on pouvait les lire aI'epoque «< Introduction », tome 9). L'on imagine aisement l'immense depouillement de documents que necessite une telle exhumation (journaux, revues, albums, Archives nationales du Quebec, Archives publiques du Canada, de l'Ontario, etc.). De 1861 a 1864, 86 auteurs connus, 8} auteurs p~eudonymes et 32 SCIENCES HUMAINES 463 auteurs anonymes ont ecrit environ 42 875 vers! Ces chiffres, tires du tableau synoptique que propose Ie volume 10, peuvent etre interpn?tes diversement. S'ils semblent temoigner d'une circulation institutionnelle de la poesie, il n'en demeure pas moins que, durant cette periode, seuls Louis Fiset Uude et Grazia ou Ies malheurs de ['emigration canadienne, 1861) et Louis Frechette (Mes loisirs, 1863) publient des recueils de poemes (si tant est qu'on puisse parler de poesie dans le cas du recueil de Fiset au titre si ideologique). Qui plus est, ces deux recueils attestent une abondance que n'avait pas cOMue jusqu'alors Ie Canada fran<;ais! Notons toutefois que les historiens de la litterature ne s'entendent pas sur Ie nombre precis de recueils publies acette epoque. L'equipe dirigeante des TPCF mentionne qu'« [e]n trente-trois ans, c'est Ie cinquieme recueil de poesies [celui de· Frechette] aparaitre au Bas-Canada, depuis que Michel Bibeau a publie Ie premier en 1830 [...] »(<< Introduction», volume 10). Dans Ie troisieme tome de La vie litteraire au Quebec (s. la dir. de Maurice Lemire et Denis SaintJacques , Sainte-Foy, PUL, 1996),I'on soutient qu'« [e]n 1863, pendant qu'il termine ses etudes de droit, Ie jeune poete [Frechette] publie, sans aucune souscription,Ie deuxierne recueil de poesie paru au pays: Mes loisirs ». Pour leur part, Laurent Mailhot et Pierre Nepveu (La poesie ql.lebecoise des origines anos jours, Montreal, l'Hexagone, coIL Typo, 1986) pretendent qu'il y en aurait eu« [t]roisseulement avant 1865: Ie premier, en 18}0, de Bibaud,Mes loisirs de Frechette, Ie Jude et Grazia ou les Malheurs de l'emigration canadienne de Fiset. Quatre si l'on devait inclure les Romances et chansons touristiques d'Adolphe Marsais [...] ». Enfin, John Hare (Anthologie de la poesie qw?becoise du XIX"siecle(1790-1890), Montreal, Hurtubise HMH, 1979) rejointIe compte des TPCF: « Les poetes de la periode 18}0-1860 ne reussissent pas ase faire editer, malgre plusieurs tentatives. On ne compte que quatre recueils de poesies et quelques poernes publies sur des feuilles volantes avant 1863 ». Deux, trois, quatre au cinq : bref, peu de recueils publies mais encore trap pour que les exegetes s'entendent sur leur nombre! Au-dela de cette questionprobh~matique, un fait demeure: la publication depoemes en livre est quasi inexistante. DJotl Ie role essentiel de relais joue par les journaux et les revues, dont les n§dacteurs n'hesitent pas ase transformer en censeurs et en donneurs de le<;on, comme tendent aIe prouver certaines « notes de la redaction». Pamphile Lemay publieJ dans Le Canadien du} janvier 1862,«L'hiver »; une note suit Ie poeme: «M. [Leon-PamphiIe] Lemay ne manque certainement du talent ni de l'inspiration poetique, mais des expressions tantot .iorcees, tantot prosaYques montrent qu'il ne s'est pas encore emancipe de I'esclavage de Ia rime et de la reserve, qui, cependant, doivent subir Ia loi du poete [sic], sans quoi son Pegase Ie tramera souvent "dans Ie chemin du roi", route des ruines poetiques» (volume 9). Ailleurs, Ie redacteur du Pays justifie ainsi Iii publication d'une chanson d'Adolphe Marsais : « Ses chants ou il encourage et honore Ie travail, prouvent qu'il s'interesse au SUCcE$ de notre industrie» (volume 9). 464 .LETTRES CANADIENNES 1998 * * * Pseudonymat, anonymat et... Adolphe Marsais dominent les volumes 9 et 10 des TPCF! De fait, des dix volumes, seulle neuvieme contient davantage de pieces d'auteurs connus (36) que d'auteurs pseudonymes (19) et anonymes (7). Fait interessant, les tomes trois (1827-1837) et quatre (1838-1849) - ceux qui couvrent la rebellion de 1837-1838 - contiennent Ie plus grand ecart :341 auteurs pseudonymes et anonyrnes c~ntre 81 auteurs al'identite connue. Evidemment plusieurs positions institutionnelles peuvent justifier Ie recours au pseudonymat et al'anonymat: la crainte d'etre importune si Ie poeme affiche une position ideologique trop marquee; corrolaire oblige: une liberte qui ne peut avancer que masquee; Ie desir de ne pas indisposer la famille ou leila destinataire, etc. En outre, le choix d'un pseudonyme offre une certaine fantaisie onomastique porteuse de marques distinctives.«Obscene Demi-Chaud» ou« P. T. Petard» manifestent une impertinence evidente qu'accentue Ie contenu des poemes : « Que vous sert-il de dire a tous vos numeros I Que Ie maire Suzor se conduit en z'heros; I Et que Ie nom fameux du pauvre Berthelot I N'eut jamais su rimer sans Ie mot idiot! » (Obscene Demi-Chaud, « Ames amis les ennemis, La lime, 23 janvier 1864J volume 10). Adolphe Marsais, maintenant! II poetise (ou, devrais-je dire, il chantonnise ) sur tout (et sur rien!). 11 est l'auteur de 140 des 283 pieces du volume 9; pres de la moitie des poemes! S'il est un peu moins productif (!) en 1863-1864, sa gibeciere n'en contient pas moins 115 pieces (sur les 363 du volume 10): «Bien qu'en terrnes relatifs et absolus ce Canadien d'adoption publie moins de poemes que dans les deux annees precedentes, on lui doit Ie tiers (33 pour cent) des textes repertories en 1863 et 1864, soit 115 poemes; ce qui represente 10 063 vers, soit l'equivalent de 45 pour cent de la production totale pour cette periode» (<< Introduction », volume 10). Bien qu'il recoure parfois a la fable, a l'epitre et a l'apologue, la chanson represente son vehicule formel de predilection. Sa palette thematique ne connait aucune limite; il mirlitonne des vers atire-larigot; il a dans sa mire poetique Ie Canada, les ftats-onis, J'Europe et tous les evenements qui marquent cette epoque: Ia guerre de Secession; l'affaire du Trent; les querelles politico-religieuses europeennes; les relations entre l'Angleterre et Ie Canada, etc. Mais Marsais ne se limite pas aux grands debats~ tout est pretexte a derouler Ie tapiS de vers! Les pieces «engagees» (( La guerre civile aux Etats-Unis»; «Ode a 1a Pologne»; «Adresse aux electeurs liberaux et independants. Appel au bon sens du peuple »; « Colonisons, amis, colonisons! »;« Avant tout soyons patriotes!») cotoient les poemes les plus etonnants: «Les aventures d'une epingle, racontees par elle-meme»,« Elegie sur la mort de mon geranium »; «Eloge du bouchon »; {( Les dents et les dentistes », etc. Une telle surabondance n'aura pas suffi alui ouvrir SCIENCES HUMAINES 465 les portes de la posterite: Mailhot et Nepveu l'ignorent. Idem pour Jo1m Hare. Le tome 3 de La vie litteraire au Quebec lui consacre une vingtaine de lignes. Vu de notre epoque, ce deferlement poetique, cette maree de vers, tient difficilement la routede la poesie, mais elle dessine tout de meme une singuliere cartographie quotidienne, sociale et politique du temps. Tour a tour moralisateur, sermonneUf, bon enfant, fantaisiste, Marsais est present sur taus les fronts de la societe. La poesie est un instrument, un outH dont il se sert pour instruire et divertir ses contemporains. Le 21 aotit 1863, il publie, dans Le Franco-Canadien, « La langue»: «Lorsque sagement on en use, / C'est un flambeau; / Quand follement on en abuse, / C'est un fleau » (volume 10). On eut souhaite que Marsais se servit moins sagement de 1a poesie; qu'il en usat en fait comme d'un fleau, pour tenter l'aventure... langagiere! Pour paraphraser Bourdieu, je dirai que Ie gout de l'honnete homme (Ie bon sens), dont les pieces de Marsais sont (souvent) tributaires, est devenu Ie degout de la poesie de notre siecle. * * * Les volumes 9 et 10 des TPCF contiennent aussi des poemes d'auteurs connus: Cremazie, Frechette, Lemay, SuIte, Garneau (Alfred). En 1861, Octave Crernazie publie son etonnante « Promenade des trois morts» qui deconcerta ses contemporains, prompts acelebrer ses poemes patriotiques et a lui reprocher ses visees poetiques plus personnelles. Les critiques litteraires et les anthologistes de notre epoque renverseront cette tendance, pnHerant les poemes plus« personnels», marques par un romantisme colore de classicisme, de ce Cremazie dont l'exil exacerba la lucidite avec laquelle il jugea les lettres canadiennes, de ce Cremazie dont certains vers resonnent encore en nous: « Nes SOllS Ie meme ciel, morts dans la meme annee, / Tous trois avaient connu la chaine fortunee / QU'ici bas sur la terre on nomme l'amitie. / Maintenant, reunis dans la cite pleurante, / Comme ces mendiants que chantait Ie vieux Dante, / Des vivants ils 5'en vont implorer la pitie » (<< Promenade des trois morts», Les Soirees canadiennes , 1862, volume 9). Avec raison, Ie jeune Frechette lui avait rendu hommage dans «La poesie» (Les Soirees canadiennes, janvier-fevrier 1861):«Et, quoique faible enco!, rna muse de vingt ans / Peut te dire aujourd'hui de sa voix enfantine, / Comme autrefois Reboul au divin Lamartine: / liMes chants naquirent de tes chants!" » (volume 9). Toutes les pieces publiees dans les volumes 9 et 10 forment un kaleidoscope , un miroir deformant, une vaste chambre d'echos, catalyseurs d'une epoque, d'une societe. Trois grands paradigmes marquent ces quatre annees ou se reverberent, 5'exacerbent, 5'affrontent, se lient et se desunissent les idees d'un temps: les scenes publique et privee et la creation poetique. Le premier axe porte sur tous les evenements publics (lire: sociaux, politiques, patriotique5, nationalistes) qui tissent la trame de plusieurs 466 LETTRES CANADIENNES 1998 dizaines de poemes. nserait trep long (et fastidieux...) d'enumerer tous les evenements qui ont suscite ces poemes. Disant cela, je ne cherche pas ales banaliser; chaque piece represente un morceau de l'impossible puzzle d'une epoque, episteme d'un temps aux prises avec ses propres discours infeedes aux ideologies dominantes. 5i on y plongeait, nous decouvririons une epaisseur ace qui nous est parvenu diffracte, aseptise, enferme dans quelques poncifs figes dans Ie temps. Les TPCF nous permettent de (re)decouvrir des pieces irreverencieucesparfois jolimenttournees :« Cartier, diton , d'eloquence se pique, / Quand il perore, il paraH s'ennuyer. / Cela, lecteurs, facilement s'explique / Cartier s'ecoute parlep) (Anonyme,« Monsieur Cartier», La Scie, 25 novembre 1864, volume 10). En outre, tous les rimeurs n'ont pas sacrifie, vers lies, la poesie al'idole politique. Un certain Louis-Thomas Groulx ira jusqu'a ecrire: « Jamais la politique, / Ce sphinx, al'ceil oblique, / N'aura pour moi d'attrait; / Mais j'aimerai qui m'aime, / J'aimerai qui me hait, / Car c'est la loi supreme. / Qu'on me laisse, a present, dire en paix aux amis: / "5i vous saviez aimer, tout VOllS serait permis" » (<< Rouge et bleu. Amon ami l'honorable*** », Le Messager de foliettet 4 aout 1863, volume 10). De tels vers temoignent du conflit entre les spheres publique et privee. Le deuxieme paradigme concerne done la sphere privee. Le romantisme y est lie, qui permet des epanchements contrastes. Un nombre grandissant de poetes proposent des pieces plus intimes, qui accentuent Ie spectre convenu des etats d'etre et d'ame (berceau-tombeau, nostalgie du passe et de l'enfance, temps qui fuit, amour, mort, exil, solitude, Dieu). 115 se departissent rarement d/une «sensibilite poetique» entendue au «cimetiere » rime avec« priere » ..• Certains meme s'enfoncentplus profondement que d'autres dans la mievrerie. Par exemple, goutons les titres de ces deux poemes d'Emmanuel Blain de Saint-Aubin (que parodiera « Blain de Sainteaux -Bains »): «Maman a toujours raison» ou «Le cceur et la volonte. Conseils aune jeune persanne sur Ie choix d'un mari ». Puis tout acoup surgit un poeme, une strophe qui modifie quelque peu ces jugements:«Une entiere independance/fait mon unique agrement/Ie chante, je ris, je danse :/Que chacun en fasse autant» (Asteronyme, sans titre, Le PasseTemps , 22 juillet 1862). Evidemrnent, un quatrain ne fait pas une litterature (pas plus que quarante quatrains, d'ailleurs...), mais it me plait de voir dans cette piece unindice, ftlt-il extremement fragile, que la poesie (une certaine poesie) pouvait exister en marge des diktats esthetiques et ideologiques. Excentrique, elle se faufilait dans les interstices pour colorer une epoque, lui conferer une consistance differente. Ce qui nous conduit au troisierne paradigme: la creation poetique. La sempiternelle querelle des Anciens et des Modemes - ou de l'ordre et de l'aventure - a aussi C01U1U, au Canadat ses avatars. Poetes et critiques, tenants du classicisme et du romantisme, se sont affrontes pour determiner Ie role de la poesie. SCIENCES HUMAINES 467 Le rnoi et les emois se heurtent aux chants'patriotiques et nationalistes.«Le poids de ce reVe» (Frechette) est difficile aporter dans une societe OU les forces conservatrices dominent. HIe sera encore longtemps, tellement que Ie poids de ce reve se transforrnera en abime. Escarmouches verbaies et railleries poetiques trouvent un point d'ancrage dans Ie long poeme (190 vers) deJoseph-Charles Tache, « Satire. Contre lerealisme etleromantisme. A M. Napoleon Bourassa ». 11 se moque du soi-disant «age du progres », ridiculise «la gent romantique et ses produits facheux», «poudre de romantisme ou de perlimpinpin)}, «[...J que des mots et des rimes,lDes mots incoherents, des rimes en fatras,/Du creux, et du pathos, et du galimatias!» (La Revuecanadienne, avril 1864, volume 10). On Ie canstate: les adversaires maniaient lestement la raillerie. Dans ses manifestations les plus guerrieres comme les plus nalves,la vie litteraire se frayait un chemin vaille que vaHle. Bigarre, Ie paysage litteraire prenait forme dans ses manifestations diverses. Pamphile Lemay rendait hommage a Louis Frechette, qui celebrait Cremazie, qui adressait un salut fraternel aAlfred Garneau. Se creait un reseau de poetes qui se reconnaissaient, qui s'admiraient. Fragments d'un certain corps poetique. Mais tous ne communiaient pas de la meme fa<;on a la poesie. Ce brave Marsais, par exemple, affichait la camme ailleurs son« bon sens comrnun»: «Plus d'un poete infortune, / En mouchant Ie suif qui l'eclaire, / La plume en main, s'est obstine / Jaloux de gloire litteraire. / Sur Pegase croyant montrer, / II n'enfourcha qU'une haridelle / Que ruant, Ie fit culbuter; / Le jeu n'en vaut pas la chandelle» (<< Proverbe. Le jeu n'en vaut pas la chandelle}), Le Colonisateur, 3 fevrier 1863; volume 10). Si Ie jeu de la gloire litteraire etait une chimere pour Marsais, d'autres n'en avaient cure, qui se laissaient aller ades jeux poetiques. J'en veux pour preuve trois pieces qui detonnent dans Ie del poetique d/alors. Le 7 septembre 1863, un auteur asteronY1TIe publie, dans Le Messager de Joliette, une «Poesie alphabetique ~~ composee de six quatrains ou tous les vers se terminent par une des lettres de l'alphabet: OJ toi que mon cceur aim .. . .. .. A Pour un doux regard tom . . . . . . . B Sur rnon front d'espoir ber ...... C Laisse moi te gourmand . . . . . . . . D (volume 10) Le 25 janvier 1864, un autre auteur asteronyme (ou Ie meme ) publie, toujours dans Le Messager de Joliette,« un madrigal burlesque» ou l'epellation de la chaine alphabetique est remplacee par une serie chiffree: Que ton souris [sic] est doux il transporte chac 1 S'il etait des cceurs froids tu triompherais 2 468 LETTRES CANADIENNES 1998 Jadis pour toi, les Grecs auraient embrase 3 Tu me plais sans effort et sans te mettre en 4 (volume 10) Enfin, Ie 29 octobre 186), W. T. publie dans Le Journal de St.-Hyacinthe [sic] «Le corbeau et Ie renard », accompagne de cette note de la redaction:« Un jeune anglais qui nous fait l'honneur· de recevoir notre feuille, nous transmet I'elucubrationpoetique [sic] que nous publions sur notre premiere page, dans laquelle il se range de plein-pied [sicL au rang des fabulistes celebres. Nous en recommandons la lecture aux amateurs de versification et de poesie sans gene et surtout sans regles.» W. T. mele astucieusement certains termes anglais creant d'etonnants effets: « Se pavanant la queue, il faisait Ie Monsiou, / Et disait en anglais: ca, ca, coyou, coyou! » (volume 10). Pochade? Moquerie? Il se peut en effet que ces trois pieces aient ete l'ceuvre de « plaisantins }) qui voulaient se moquer de contemporains juges trap audacieux (l'audace etant chose fort relative). Mais peu importe l'intention: je vois, dans ces jeux de versification avec pseudo-rimes enumeratives de type allographique et dans cette mise en scene de calembours bilingues, une activite ludique si rare qu'il valait la peine de la relever. Je veux y voir egalement un indice d'une fragile (6 combien fragile!) mais embryormaire distanciation vis-a.-vis du langage, vis-a.-vis de la fonction utilitaire du langage. *** La vaste entreprise des TPCF qui tire presque asa fin (il reste deux volumes aparaitre) aura-t-elle permis de jeter un eclairage nouveau sur ce continent poetique meconnu, inconnu, ignore, ridiculise? Le chantier archeologique que represente la mise au jour de plusieurs centaines de poemes Dublies pour la plupart dans les pages des joumaux et reunis pour la premiere fois en ordre chtonologique de publication modifie-t-illes discours critiques qui balisent a notre epoque ce passe litteraire? Laurent Mailhot et Pierre Nepveu affirrnent que« [j]usqu'au milieu et meme ala fin du XIX e siecle,les rimeurs fran~ais d'Amerique imitent, racontent, prechent, se plaignent decrivent, chantent mais n'ecrivent guere» (<< Introduction H, op. cit.). Comme s'il repondait d'avance (l'ouvrage de Hare ayant paru avant celui de Mailhot et Nepveu) ace constat, John Hare s'interroge :« Mais aurait-on connu l'ceuvre geniale d/un Nelligan, sans la centaine de poetes qui l'ont precede?» (<< Introduction », op. cit.). Dans les lirnites de ce compte rendu, contentons-nous de quelques observations. La premiere porte sur 1a conception rneme de l'acte d'ecrire. Pour se limiter anotre epoque, Sartre, Barthes et tutti quanti ont nourri ad infinitum ce monstre conceptuel. Et meme si j'entends bien ce que soutiennent Mailhot et Nepveu, peut-on affirmer qu'aucun enjeu esthetique, qU'aucune conscience scripturaire ne sous-tend I'ecriture de ces poemes ?Irniter, raconter, se plaindre/ decrire et SCIENCES HUMAINES 469 chanter, c'est (aussi) «ecrire» dans les limites de ce qu'« ecrire» a signifie a differentes epoque5 au Canada. Qui plus est certains poemes des volumes 9 et 10 des TPCF (pour nous limiter aces deux volumes) portent trace d'un au-delade la simple fonction utilitaire du langage. Certes, je ne cherche nuUement arevaloriser des dizaines de poemes lourdement didactiques , pesamment ideologiques, ala remorque d'une rhetorique empruntee . Toutefois, pour ce qui est d'ecrire, notre epoque peut-elle, de fac;on 5i categorique, faire la le~on au passe? Je retis plusieurs poetes quebecois contemporains; ils ecrivent (selon la conception dominante de l'ecriture dans les annees soixante, soixante-dix au quatre-vingt), mais Us imitent, racontent, prechent, se plaignent aussi. Tout cela evidemment ala sauce poetique des dernieres decennies: prechi-precha nationaliste, marxisme, formalisme. La comparaison entre les deux editions (1981, 1986) de La poesie quebecoise des origines anos jours, de Mailhot et Nepveu, se veut une autre preuve que Ie jugement litteraire est chose fort discutable et conditionnelle. Un ecart de cinq ans apeine a donne lieu aune redistribution marquee des roles et des satisfecit. De fait, trente-trois poetes ont re~u leur conge dont Marie-Claire Blais, Fran~oise Bujold, Cecile Chabot, William Chapman et Benjamin SuIte. Qu'est-ce a dire? Que ces poetes correspondaient aun certain horizon d'attente au debut de la decennie qui n'etait deja plus Ie meme en 1986? Que leurs poemes «etaient ecrits» en 1981, mais qu'ils ne l'etaient plus en 1986? Le plus grand merite peut-etre des Textes po8iques du Canadafran~ais est de nous rappeler (au de nous apprendre) que la poesie quebecoise possede tID arriere-pays beaucoup plus complexe qu'il n'y paraH. Qu'il ait ete par moments fortement (voife uniquement) fa~onne par des enjeux ideologiques ou Ia poesie ne trouvait guere son compte, ne devrait pas nous empecher d'en apprecier la geographie incertaine et les contours hasardeux.« Le flot du Saint-Laurentsemble une voix qui pleure », a ecrit Cremazie. Cet immense vers, que Pierre Perrault et Gatien Lapointe auraient pu faire leur, ne peut-il constituer une passerelle entre deux ages (poetiques), celui des commencements et celui des recommencements ? Que Ie deuxieme age n'occulte pas Ie premier dont il est, qu'il Ie veuille ou n-on, redevabJe. (ROBERT YERGEAU) Ringuet, Le camet du cynique. Edite par Jean Panneton et Francis Parmentier Montreat Guerin, 85 p. Le jotlrnal de Ri11guet. Edite par Jean PaIUleton et Francis Parmentier Montreal, Guerin, 334 p. Ringuet cet inconnu? Voila la question. Et pourtant, Jean Panneton et Francis Parmentier, les editeurs de ces deux ceuvres de Ringuet (pseudonyme du Dr Philippe Panneton), peuvent de nos jours affirmer avec raison ...

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