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106 LETTERS IN CANADA 1993 production, marks another departure for eTR. As published, Mary Medusa is a wildly disruptive, challenging, and not always successful series of fragments and excerpts that pushes usefully at the conventional boundaries of play publishing, while floating some powerful pro-feminist, antipatriarchal , and delightfully rude gests, gestures, and images. So - it was a good year, and it was a bad year. It saw the folding of one drama publishing house (Simon and Pierre), and the founding of another (Scirocco); it saw an increase in the prices of single plays to a level prohibitive for classroom use, and the publication of a useful new teaching anthology (The CTR Anthology); it saw the publication of a decreasing number of demanding large-scale or large-cast plays for mainstage production, and of a number of challenging and experimental scripts from fringe festivals and play-development workshops; and it saw a continuing drought in the publishing of plays from Atlantic Canada, but a continuing growth in the quality and quantity of play publishing nationally. Theatre MARIEL O'NEILL-KARCH Ces quelques dernieres annees, notre colLegue de l'Universite Brock, Barbara McEwen, a tenu cette chronique qU'elLe termina sur une note fort positive: « [Le theatre d'iciJ est plus ouvert ace qui se fait ailleurs, plus interculture1, au sens ou l/entend Patrice Pavis. Le theatre quebecois et canadien-franGais s'inscrit dans les cultures des Ameriques et dans les cultures europeennes. Tout compte fait, comment ne pas etre optimiste a son egard ? » Cet optimisme, elle Ie fondait sur l'ouverture al'universel ainsi que sur Ie cote narcissique de 1a creation theatrale qui favorise son evolution. Dans son essai seminal intitule CEre du vide (1983, 1993), Gilles Lipovetsky analyse Ie neo-narcissisme de notre epoque, immense mouvement de conscience qui traverse tout I'Occident, avec son engouernent sans precedent pour l'autonomie personnelle au detriment de la res publica. Cette demotivation pour la chose publique, accompagnee d'une reduction de l'ordre disciplinaire, laisse Ie champ libre aux individus plus tolerants que leurs predecesseurs, mais beaucoup plus stresses, si on en croit les statistiques voulant que 25 pour cent d'entre nous souffriront, a un moment ou l'autre de notre existence, de graves troubles nerveux. C'est Ie triomphe, si j'ose dire, du psychologique sur l'ideologique. Pour combattre Ie stress, on se taume vers des analystes de tout acabit et, si 1a science fait defaut, vers une sagesse d'origine orientale, centn?e sur Ie Moi, source de paix. Les pieces de theatre publiees au Quebec et au THEATRE 107 Canada franc;ais au cours de I'annee 1993 temoignent toutes, chacune asa fa<;on, de la destabilisation de I'etre que nous vivons tous. QueIquesunes suggerent une route asuivre. Jovette Marchessault baigne dans l'air du temps en faisant preceder Le Lion de Bangor (Lemeac, 86, 11,50$) d'une note qui explique un des « personnages » de sa piece: «A propos de rAnge de la presence: c'est l'arne elle-meme, dont la nature est amour, Iumiere et comprehension. C'est aussi une expression du Bien cosmique. L'Ange de la presence Iutte contre les tendances separatrices de Ia personnalite, I'intolerance, l'autosatisfaction et l'orgueil nationaliste». Cette piece met en scene l'ecrivaine Jeanne, son amante Noria, qui se meurt d'un cancer, Ie pere de Noria, medecinchercheur de Bangor, Maine, Ie Lion du titre, qui s'interesse tout particulierement aux cellules cancereuses, et la mere de Noria, individualiste qui devient une grande aviatrice avant de s'envoler avec sa fiUe qui se retrouvera dans un bordel dirige par Ie KIu Klux Klan. CeUe intrigue baroque est sous-tendue par I'ecriture hauternent poetique de Jeanne:« Je me joue des scenes, je me promene dans l'energie du monde avec laquelle je converse, m'exaspere et rompt avec fracas ». Afin de pouvoir donner libre cours a son individualite, Jeanne s'est installee dans une COIDmunaute lesbienne des Appalaches, loin de Montreal ou elle etouffait:« J'habitais ce continent culturel qui fait penser aune cite miniere : chacun et chacune creuse son trou, hurlant Ie nom de son filon et ses droits de proprietaire». Avec Noria, Jeanne a trouve Ie bonheur. Mais la mort attend son heure qui ne tardera pas, car Ie Lion de Bangor, qui en a l'habitude, reconnait sa chanson, «faite de toutes les paroles aimantes prononcees depuis Ie commencement des temps». Avant de sombrer dans ce babil amoureux, Noria sera Ie temoin inconsdent de la rencontre de son pere leonin et de son amante dont Ies paroles feront revivre, pour Ie spectateur, leur terrible passe. Jovette Marchessault, a qui nous devons plusieurs grandes pieces, telles La Saga des poules mouillees (1981) et Le Voyage magnifique d'Emily Carr (1990), utilise la materialite scenique pour accentuer l'aspect auto-reflexif de sa piece. La premiere didascalie, par exernpIe, indique que ce sont les pages d'ecriture de Jeanne qui forment Ie decor de la salle, toute blanche, et que ces pages se confondent avec des visages peints sur un rideau blanc cornme, dans Ia piece, personnages et poesie seront lies dans la quete proposee par Jeanne: «Explorer ce qui n'a jamais ete explore. Ouvrir de nouveaux chemins. Ie voudrais inserer de nouvelles pensees dans Ie monde ». Jovette Marchessault utilise Ie cancer conune metaphore du mal de notre epoque, et elle a raison, puisque c'est la maladie la plus repandue. Pourtant sevit une epidemie virale dont l'importance s'accroit de jour en jour, celle du sida. Essayiste de premiere qualite, auteur, entre autres, de l'ouvrage Cinema de l'imaginaire quebecois (1990), critique au Devoir depuis 1972, Heinz Weinmann a choisi Ie theatre pour souligner les paralleles 108 LETTERS IN CANADA 1993 qu'il voit entre cette epidemie et celIe du siphyllis au seizierne siecle. Don Juan 2003 : Eros et sida (VLB, 179, 16,95$) nous transporte dans un futur si rapproche que nous Ie reconnaissons tout a fait, un futur au Ie virus de l'ordinateur fait autant de ravages que celui du sida, deux fleaux en constante mutation. Le virus inlormatique semble remonter plus loin encore que les autres car nous voyons, sur un ecran geant, Eve et Adam croqueT dans tule pomme Macintosh©. Les corps de leurs descendants, envahis tour atour par les lymphocytes T4 et Ie VIH, se sont transformes en bombesbacteriologiques. Faute de pouvoir desamorcer ces engins de guerre, il faut maintenant faire l'amour par telecopieur dont l'ejaculation precoce enleve tout Ie plaisir. Pour incarner les virus, passes et avenir, l'auteur a choisi Ie personnage de Don Juan, homme de la Renaissance, et emprunte les traits de son seducteur a Tirso de Molina, Moliere, Da Ponte (Mozart) et Casanova. Malgre Ie fait qu'en 1983, Gilles Lipovetsky affirmait, dans L'Ere du vide, que Don Juan est mort, remplace par une nouvelle figure, plus inquietante selon lui, celIe de Narcisse, Heinz Weinmann reste convaincu que Don Juan est bien vivant et que c'est chez ce «seducteur du genre hurnain» que s'est faite la premiere rencontre, en Occident, entre Ie Desir et la Mort, comme ill'affirrne dans une magistrale preface a laquelle la piece Don Juan 2003 n'ajoute strictement rien. Au contraire. La traduction pour la scene que fait Heinz Weinmann de ses idees est gachee par des dialogues lourds et redondants, truffes de faits, de statistiques, de rappels litteraires et historiques, et par des personnages -marionnettes dont on voit en tout temps les fils. Si Heinz Weinmann fait preceder Ie texte de sa piece de toutes sortes de precautions oratoires, Daniel Danis, lui, nous livre Celie-IiI (Lerneac, 92, 11,50$) avec un minimum de support paratextuel. Est-ce parce que Ie premier est un essayiste chevronne et que Ie second en est asa premiere piece? Ou est-ce, tout simplement, que Daniel Danis a choisi de faire confiance a son texte comme a son public, confiance qui lui a d'ailleurs valu Ie prix du Gouverneur general 1993? Parraine par Ie Centre des auteurs dramatiques (Cead) et en particulier par Diane Pavlovic qui a tenu Ie role de conseillere dramaturgique, cette premiere piece a connu plusieurs versions, chacune portant un titre different privilegiant divers aspects. Ce fut d'abord «Ie Gachis », substantif utilise dans son sens figure et familier pour marquer Ie point de rupture, Ie moment decisif au Ia mere, n'en pouvant plus d'etre enfermee en elle-meme, 5' en prend au seu1 etre qu'elle aime profondement, son fils Pierre, qu'elle attaque avec une paire de ciseaux. Vne fois sorti de I'h6pital, l'enfant sera pris en charge par Ie £rere de son pere tandis que sa mere sera enfermee, grace al'influence d'un grand Frere eveque, dans un couvent. II s'agit, pour elle, d'un retour puisqu'eUe avait deja ete envoyee chez les sceurs, al'age de dix-sept ans, pour s'etre montree trap interessee aux hommes. Dix ans plus tard, son £rere l'avait sortie de sa prison pour la confier a un vieil THEATRE 109 ami dont elle est devenue Ia Iocataire puis Ia maitresse. « Gachis» donc que cette vie, «amas de chases endommagees», vie qui se tennine au debut de 1a piece au I'on retrouve Ia mere, blessee a mort, gisant par terre 1a au l'ant laissee des voyous apres I'avoir devalisee. Vne deuxieme version etait intitulee « les Statues de rien», ce qui soulignait Ie cote iconoc1aste de la piece au la mere, forcE~e de se plier aux volontes de son frere, se venge en habillant les statues de l'eglise «avec des atricures folles», Le titre de la version publiee se trouve dans la derniere replique de la piece que prononce Ie fils: « Je suis venu voir celle-Ia, rna mere morte, une photo du passe couchee dans un lit avec une porte pour Ia cacher dans la terre ». Ce texte contient une clef maitresse, capable d'ouvrir plusieurs portes de l'univers de Daniel Danis qui, cornrne certains de ses contemporains, a eu recours aun autre art - en I'occurence, la photographie - pour structurer son (Euvre. C'est ce que Pierre Levy, dans Les Technologies de l'intelligence (1990), qualifie d'« interface» ou« une surface de contact, de traduction, d'articulation entre deux espaces ». Dans Cellela , 1a surface de contact est la pellicule qui sert de lien entre Ie mouvement et Ie statisme, la vie et la mort. Ce lien est annonce par une analyse, placee presqu'au debut de la piece, d'une photo ou figurent la mere, Pierre, son fils, Simon, Ie demi-frere de Pierre et fils, comme lui, du« vieux» qui se tient derriere I'appareil-photo: «Et elie, pendant une seconde on Hait pris dans Ie Kodak, nous trois, ajouer al'ours glace, a rester figes comme dans une tombe ». Le jeu de l'ours glace, nous l'apprenons plus tard, est tres simple: «si je te touche, tu figes glace comme une photo de Kodak ». Dans ce merveilleux poeme atrois persOlmages, c'est exactement ce qui arrive, puisque c'est par Ie toucher que chacun se transforme en image de lui-meme, image que I'on peut mettre entre les pages d'un missel, dans un album de photos ou sous terre, comme Ie long ruban noir que Pierre sort du Kodak de sa derni-sreur, croyant qu'il s'agit d'un attrape-mouche, 11 finit par comprendre qu'il avait «enterre un ruban plein de souvenirs colIes dessus ». Ce sont ses propres souvenirs que chacun des trois personnages contemple tout en les deroulant pour Ie spectateur. Des instantanes. Certaines images se recoupent, d'autres se surimposent, d'autres encore, dechirees dans des moments de crise, reapparaissent par fragments sur la retine des personnages. «Je n'ai rien vu », dit Ie vieux dans la premiere scene. «Juste des images en arriere de mes yeux. Revoir notre vie ensemble. C;a s'allumait, puis «;a s'eteignait ». Theatre destabilisant, donc, que celui de Daniel Danis, puisqu'il nous oblige atravailler avec lui dans la chambre noire pour decouvrir les seuls fragments d'un parcours narcissique capte par sa lentille. Le personnage principal de Claude Poissant dans Si tu meurs, je te tue (Herbes Rouges, 119, 12,95$) a des troubles obsessionnels, comme les personnages de Daniel Danis et comme des milliers de personnes en cette fin de siecle. Fran<;ois doute de tout, mais surtout de ses rapports avec 110 LETTERS IN CANADA 1993 son frere Jean, mort d'un cancer, que Fran.;ois imagine avoir litteralement laisse tornber alors que son aine s'accrochait a lui lors d'une fone randonnee en moto. Pour conjurer Ie doute, Franc;ois s'adonne d'abord ades jeux de langage, cherchant, au COUfS de seances de lecture, aannuler les mots negatifs en retrouvant leur contrepartie positive. Pour contrer Ie mot « mort », par exemple, il doH trouver «vie ». «Mourant », « vivant ». Et ainsi de suite. Lou, une amie d'enfance, pratique elle aussi des jeux de symetrie, s'inspirant de palindromes pour faire de 1a photo: «rai travaille sur 1a pensee symetrique. Trouver des sujets dont Ia pensee pennet Ia symetrie, mais dont les formes s'opposent ». Franc;ois, pris par ses propres obsessions, vole un vieil appareil aLou, esperant voir au travers 1a 1entille son passe sous un nouvel ec1airage. Il reussit aconjurer, grace aune serie de photos, Ie fant6me de ses quatorze ans qui a emporte Jean entre ciel et terre, et adecouvrir que, tel un palindrome, quel que soit Ie point de depart, I'envers ou I'endroit, la route menant au point fixe est la meme. La piece se structure donc comme un album de photos. Photos de famille, fragments d'une vie au I'on retrouve les personnages adivers ages, deforrnes /reformes par Ia lentille de Franc;ois. Mariage de la photographie et du theatre qui s'est revel€! tres riche chez Daniel Danis mais, chez Claude Poissant, cet accouplement produit surtout des cliches qui attendent d'etre retouches par la scenographie et 1a mise en scene. En effet, comme l'auteur a gomrne de son texte toute indication scenique,Ie lecteur n'a que les quelques photos d'Yves Dube pour guider sa lecture de cette trace de spectacle qu'est Ie texte. Michel Monty, en publiant Accidents de parcours (Herbes Rouges, 142, 12,95$), a choisi lui aussi de privilegier Ie texte, expliquant dans une saillie que, si la mise en scene reflE~te les tendances formelles en vigueur au moment de la creation d'une ceuvre dramatique, Ie texte est fait pour traverser les epoques. Cela m'etonnerait de cette premiere piece d'un ecrivain de trente ans qui, comme ses personnages, n'arrive pas a decider au il veut aller, se laissant guider par une serie d'accidents de parcours, tant au sens litteral que figure, vers la desintegration de tous les rapports hurnains; comme l'affirme Francis, laisse seul: « Je suis encore la, un voyageur vers nulle part. Il ne me reste plus qu'a suivre la tendance de l'epoque: l'indifference ». Theatre de l'ere du vide, construit sur un monticule de dechets humains OU poussent, ~a et la, quelques fleurs chetives. L'ernotion intense, nous la retrouvons dans l'ceuvre de Victor-Levy Beaulieu aqui nous devons, en 1993, un fascinant entretien avec Gratien Gelinas intitule Gratien, Tit-Coq, Fridolin, Bousille et fes autres (Stanke, 192, 16,95$) et La Nuit de la grande citrouille (Stanke, 96, 12,95$), ceuvre d'un auteur qui a epure sa palette dans cette troisieme version d'une piece dont Ie texte publie temoigne d'une rare rnaitrise technique. Trois personnages , deux hommes et une femme, s'affrontent dans un monde ou THEATRE 111 Ie tragique colle au quotidien, ecrase par Ie poids d'un passe dont chacun tente de se decharger. Michel Breton, acteur manque, revient prendre possession du chalet de sa defunte mere qu'll est en train de repeindre comme elle Ie faisait chaque annee, tentant de conjurer les demons qui Ie hantent: « Quand moman est morte, y m/ont renfarme parce que j'ai faite une p'tite depression. J'm/etais fabrique un cercueil pis j'couchais d'dans dans l'salon, avec des chandeliers de chaque cote. J'tenais Ie chap/let d'moman dans mes mains». Le soir, apres avoir depose ses pinceaux, il se maquille pour jouer son plus beau role ou son plus laid, c/est selon, celui de sa mere qui accueille, dans son chalet et dans son lit, son voisin Maurice Cossette, ancien poticier licencie pour avoir viole une femme plutot que de la secourir. Ajoutez ace couple deja fort etrange Peuplesse, la fiUe de Maurice, attachee a un piquet, muette depuis crente ans suite aun incident traurnatisant mettant en cause son pere et un poney, et vous avez les ingredients d'un drarne ahumour noir qui fait rire jaune comme les citrouilles du champ de Maurice. Ces trois personnages insolites composent une societe fermee, dure comme les potirons du titre, enracinee dans la terre du Quebec que Victor-Levy Beaulieu eventre dans un style baroque d'une grande richesse. L'edition de la piece est tres soignee, avec des indications sceniques detaillees et des esquisses de costumes et de decors de Michel Robidas qui guident l'imagination du Iecteur jusqu 'au bord du lac OU se joue Ie destin des personnages. Si Ie decor des Grandes Chaleurs (Lerneac, 98/ 11,50$) de Michel Marc Bouchard nous transporte aussi sur les rives d'un lac borde de chalets d'ete, la tonalite de cette piece nous eloigne, par c~ntre, de la noirceur pour nous plonger en plein dans la farce. Qui aurait cm que sommeillait, dans l'auteur des Feluettes, l'esprit d'un Peydeau? n faut pourtant nous rendre a I'evidence: sur 1a galerie d'un chalet, Gisele, cinquante ans, veuve depuis quelques mois, se venge de J'infideIite du defunt en ramenant , comme elle l'avoue si candidernent, du travail a la maison. Elle occupe un poste dans un centre de rehabilitation pour jeunes voyous et s'en est choisi un, prenomme Yannick, qui, avingt ans, accuse dix ans de mains que ses jurneaux, Louis et Louisette, qui ne tarderont pas a arriver avec les cendres de leur pere qui voisinent, dans un sac Electrolux, avec d'autres dechets qui Ie valent bien, semble-t-iL Veritable chasse-croise de relations ou Gisele est poursuivie par un voisin de cinquante ans auquel s'interesse Louisette, tandis que Louis trouve Ie beau Yannick tout a fait ason gout. Les personnages traversent une serie de situations cocasses OU les mensonges repetes ne reussissent pas acacher la verite. C'est leger et. mOll comme un flan, mais cela se tient tres bien, comme en ternoignent les nombreuses productions qu'a deja connues Ie texte. Dans une autre comedie, celle de Guy Fournier, jamais deux sans toi (VLB, 192, 16,95$), l'action se situe en grande partie aFort Lauderdale. Comme Ie titre l'indique, Ia vie adeux a des cotes negatifs. Des Ie lever du rideau, 112 LEITERS IN CANADA 1993 on assiste aune veritable guerre entre les sexes au cours de laquelle les personnages s'insultent, se diminuent, se traitent en enfants, se font des cachotteries et se fusillent meme du regard, precisent les didascalies, avant de finir, sans aucune Iogique, dans les bras l'un de l'autre. CeUe piece, ecrite par un hornme pour un auditoire en majorite ferninin, comme en temoignent les apartes, presente une vision stereotypee du couple moderne dans une structure dramatique dont les quelques trouvailles sont eclipsees par de nombreuses solutions faciles. Dans Ernest et Etienne (Editions d'Acadie, 83, 11,95$), Bernard Dugas, Bertrand Dugas et Rychard Theriault cherchent, eux aussi, aexplorer des problemes relationnels et s'attardent ala question tres particuliere de la gemellite. C'est un beau sujet, puisqu'il permet d'etudier la specularite a de multiples niveaux, mais les auteurs ont prefere rester tout pres du tain, laissant leurs personnages sans profondeur. Ce n'est done qu'en surface que l'on saisit la these principale (pour etre heureux, les jumeaux doivent vivre apart), biltie sur des rapports stereotypes avec Ie pere, qui a favorise Ernest, Ie jumeau macho, et avec la maitresse d'Ernest qui en a assez de se sentir delaissee au profit d'Etienne. De rapides echanges entre parents, grands-parents, oneles et tantes ponctuent des scenes OU on voit se developper, puis se deteriorer, les rapports entre les bessons qui finissent par comprendre ce que le public avait compris depuis Ie debut. De facture traditionnelle, cette piece n'a de veritablement interessant que la gemellite de deux de ses auteurs qui en ont ete les principaux interpretes . Marie Laberge emprunte souvent, elle aussi, des structures traditionnelles pour presenter des drames domestiques, mais elle sait les varier selon le sujet et les marier avec grande sensibilite aux themes et aux personnages de son theatre. En 1993, elle a reedite, dans une collection qu'elle dirige, Oublier (Boreal, 170, 15,95$) et Deux tangos pour toute une vie (Boreal, 180, 15,95$). Dans un texte en exergue a la premiere piece, Marilyn French rappelle que Ie mot «aletheia)}, grec pour verite, est forme par Ie mot «lethe », oubli, et Ie prefixe « a)}, Ie contraire de. La verite n'est done pas Ie contraire de mensonge, mais d'oubli, phenomene auquel les quatre personnages feminins font face, chacune a sa fa<;on. Nous sommes dans 1a maison maternelle, la veille de Noel. Dehors, la ternpete fait rage, comme d'ailleurs al'interieur de chacune des fiUes de Juliette, en phase terminale de Ia maladie d'Alzheimer. Nous ne voyons pas la mere, mais elle impose sa presence en renvoyant constamment l'eau de la toilette. Impossible, donc, de l'oublier. C'est pourtant ce que trois des quatre ont essaye de faire : Judith, en s'exilant a New York, Joanne en se noyant dans I'alcool et Micheline en s'enfermant dans une crise d'amnesie quasi totale. Jacqueline, l'ainee, refuse de se rendre a I'evidence et se fait mourir as'occuper de la malade qui ne la reconnalt meme pas. Comme dans une tragedie classique, tout se passe au cours THEATRE 113 d'une nuit, dans un decor unique, une belle cage bourgeoise. Dans Deux tangos pour loute une vie, les transfonnations du decor servent amarquer les diverses etapes de }'action. La premiere replique, « l'ai envie de r'faire la chambre)}, revele la situation de Suzanne qui veut, on Ie comprend tout de suite, comme la Gertrude de Fran<;oise Loranger dans Encore cinq minutes et combien d'autres avant et apres elle, refaire sa vie en changeant de decor. Elle en veut a son mari Pierre, qui a Ie malheur de l'aimer comme on affectionne une vieille paire de pantoufles et qui ne veut rien changer aleur vie de couple, trouvant nonna} de ne pas etre aussi « excite » que les premiers jours de leur mariage. Entre l'epouse insatisfaite et'son mari trop comprehensif ason gout, s'introduit Annette, la mere de Suzanne, qui critique Ie rose choisi par sa fHIe pour repeindre la chambre, mais surtout ce qu'elle appelle sa tendance it se cornpliquer Ia vie «(T'es t'aussi bien de t'taire pis d'endurer »). Ce n/est donc pas avec sa mere, mais avec Gilles, un ami de son mari, que Suzanne va tendre 1a nouvelle tapisserie dans sa chambre avant de se retrouver, l'espace d'un tango, dans 1es bras de cet honune qui lui offre ce qu'eHe cherchait, une nouvelle vie. Mais Suzanne n'a pas Ie courage de ses desITS et Ie deuxieme tango sera beaucoup plus sage puisque c'est avec son mari Pierre qu'eUe Ie dansera. Les rideaux de la chambre, nous disent les didascalies, sont beaucoup moins gais. La vie de Suzanne est donc redevenue grise. Comme Marie Laberge, Jacques Ferron a fait sa marque sur Ie theatre quebecois, mais certains de ses textes mineurs etaient demeures inedits. Dans une lettre a Pierre Cantin (juin 1982), Jacques Ferron dit de ses Pieces radiophoniques (Vents d'Ouest, 270, 23,95$) qu'il s'agissait «de la prose alimentaire, [...Ja une epoque au les chevaux de mes enfants me coutaient tres cher ». Malgre ceUe mise en garde, on a cru bon, en 1993, de publier quatre de ces scripts en les faisant preceder d'une presentation de Laurent Mailhot et suivre d'une vingtaine de pages de notes. On reconnalt , dans ces pieces, 1a vision manicheenne du monde de Ferron au il y a toujours un «bon» cote qui fait pendant a l'inevitable «mauvais» qui s'appelle tour atour Saint-Jean-de-Dieu, Ie gouvernement federal et sa police et taus ceux qu'il nomme, avec l'ironie qu'on lui connait, les bienfaiteurs de l'humanite. Les intrigues tournent autour d'evasions, d'enlevements et de voyages mettant en vedette des alienes, des touristes, des sociologues et meme un archange, personnages souvent farfelus auxquels nous ont habitues les romans et les contes de Ferron. Ces petites pieces, diffusees entre 1971 et 1975, montrent des signes de vieillissement tant au niveau des themes que dans leur facture. La plus reussie est «La Ligue des bienfaiteurs de l'humanite» au 1a fantaisie I'emporte sur Ie realisme social. Gilbert Dupuis, dans sa deuxieme piece publiee, joue lui aussi sur plus d'un registre. Lou, la narratrice de Kushapatshikan (VLB, 176, 16,95$), montagnaise par son pere, ethnologue de metier, travaille sur Ie terrain, 114 LEITERS IN CANADA 1993 en plein territoire innu, ce qui provoque une collision entre sa formation universitaire, athee, et les croyances de ses ancetres. Son projet de recherche, centre sur les rapports entre I'inconscient et Ie Kushapatshikan ou ie Tituel de « la tente tremblante», lui fera rencontrer, dans un decor qui se transforme au gre de ses deplacements dans Ie temps et dans l'espace, un jeune militant syndkaliste, un capitaine d'industrie, un contremaltre, un vicaire, une infirmiere, et surtout Pierre-Louis, petit-fils d'un chaman qui s'est transfigure en Ashten, esprit maJe£ique se nourrissant de chair hurnaine comme les machines des Blancs qui cannibalisent Ie territoire. L'intrigue se situe au milieu des annees soixante, mais les propos des personnages sont tres actuels, puisqu'il y est question du conflit entre ce que les autochtones considerent comme des terres sacrees et I'exploitation que veulent en faire des gens d'affaires peu scrupuleux. Si Gilbert Dupuis ne reussit pas tout a fait a eviter les stereotypes - les didascalies presentent Smith comrne « un contremaftre comrne tant d'autres» - il sait monter une intrigue au les peripeties se succedent aun bon rythme et OU la puissance de I'image finale de Lou sous « 1a tente tremblante» nous fait saisir, en partie du moins, l'emprise que peuvent/doivent exercer sur I'etre humain les forces surnaturelles. En Ontario fran~ais, la creation co11ective, Les Murs de nos villages (Prise de parole, 212, 15$), porte un sous-titre (Une journee dans la vie d'un village) qui en revele a la fois Ia structure et le programme. Cette piece, creee en 1979, dont la premiere publication remonte a1983, est un cadeau que s'est offert la maison d'edition Prise de parole pour feter son vingtieme anniversaire. Pourquoi Les Murs de nos villages? D'abord parce que ceUe piece a preside ala naissance du Theatre de la Vieille 17 et ala carriere d'auteurs!interpretes de Ia trempe de Robert Bellefeuille, AnneMarie Cadieux, Roch Castonguay et Jean Marc Dalpe. C'est aussi un vibrant hommage aux nombreux villages grouiIIant de vie de l'Ontario fran~ais. En dernier lieu, Les MIlrs de nos villages fI?flechissent l'epoque de leur creation, avec des dins d'ceil a Tremblay (bingo, chceurs, la waitress), au Saint-Denys Garneau de «Jeu» dont l'enfant est en train de construire un village, al'auteur americain Thornton Wilder qui, dans Our Town, se sert d'un narrateur pour situer ses personnages et commenter l'action, et enfin a Lavalleville d'Andre Paiement, pierre angulaire de 1a nouvelle dramaturgie franco-ontarienne. La nouvelle dramaturgie se nourrit done souvent it l'ancienne, ce dont temoignent plus directement les traductions/adaptations parnes en 1993. Signalons d'abord Les Troyennes (Lemeac, 68, 11,50$) d'Euripide dont Ie texte franc;ais est de Marie Cardinal qui traduit la fureur poetique de Cassandre, Andromaque et Hecube dans un style passionne, subversif :«Pourquoi epargner les femmes? Pourquoi disselniner les Troye1U1es partout dans l'univers, sachant que nous allons, chacune de notre cote, chanter notre ville, nos heros, nos richesses, notre histoire ? Pourquoi les THEATRE 115 dieux agissent-ils de telle sorte que notre splendeur soit repandue et reconnue par les generations avenir? ». Splendide, cette traduction nous fait comprendre la profonde horreur de la guerre. Dans un tout autre registre, nous devons aAntonine Maillet Ie texte fran<;ais de Twelfth Night, beau reve d'amour fantaisiste que nous fait vivre Shakespeare, qu'elle a intitule La Nuit des rois (Lelneac, 138, 13,50$). Dans cette piece toute en meprises, ou une femme deguisee en homme s'attire l'amour d'une autre femme, sujet moderne s'il en est Antonine Maillet a su faire la part des choses en donnant achacun un langage qui lui est propre. Les amoureux sont poetiques et aiment « avec adoration, larmes fertiles, fracas de tonnerre, soupirs enflamrnes ». Si les serviteurs se traitent avec autant de passion, leur langage est moins eleve: « Si on lui ouvre Ie ventre et qu'on lui trouve au foie assez de sang pour en couvrir la patte d'une puce, je m'engage amanger Ie reste de son anatomie ». On reconnalt, dans ces passages, la verve rabelaisienne de la traductrice qui a su rendre aShakespeare l'hornmage d'une lecture toute aussi vivante que l'original. Marco Micone, comme Antonine Maillet, est un dramaturge qui a deja fait ses preuves. II a choisi, pour marquer Ie bicentenaire de la mort de Carlo Goldoni (1707-93), de traduire Ie chef-d'ceuvre du drarnaturge italien, La Locandiera (Boreal, 224, 15,95$), en reformulant les apartes dans un italien qu'un public francophone n'aura aucun mal acomprendre pour lui permettre, selon Micone dans un important entretien avec Diane Pavlovic, « d'acceder aune plus grande intimite des personnages». Lorsque , par exernple, Ie marquis de Forlipopoli reproche au cornte d'Albafiorita de faire publiquement un cadeau ala Iocandiera, disant que lui n'a pas besoin d'agir de la sorte pour que sa logeuse Ie reconnaisse pour ce qu'it est, Mirandoline ne peut 5'empecher de dire: « Povero come Giobbe e avaro! ». Tous les hommes s'eprennent de Mirandoline qui se moque de l'un et de l'autre derriere leW's dos jusqu'ala fin de la piece lorsqu'elle decide de faire Ie grand nettoyage dans sa vie en commen<;ant par son auberge qu'elle veut desormais fermer aux hommes de la trempe du marquis et du cornte : «Je ne veux plus ni combines, ni complots, ni intrigues dans rna locanda. Maintenant que j'ai decide d'epouser Ie plus honnete des hommes [son valet Fabrice), nous n'acceptons que des clients aux mains propres ». La piece se termine sW' cette replique qui montre a quel point Marco Micone, dans un style qu'il qualifie « d'ironico-mordant», s'est lie aGoldoni non seulement pour faire rire, mais pour proner une veritable revolution sociale. Premieres de classe (Lemeac, 102, 11,50$) [Catholic Schoolgirls] du dramaturge americain Casey Kurtti, fait rire, mais n'a rien de revolutionnaire. La traduction qu'en a faite Michel Tremblay vise Ie grand public pret a revivre, avec quatre comediennes, huit annees d'ecole primaire Oll des religieuses essaient de faire avancer dans Ie droit chemin des enfants qui 116 LEITERS IN CANADA 1993 ne pensent qu'a bifurquer. Les icones des annees soixante (les Beatles, Nancy Sinatra, les abris nucleaires, la mort de Kennedy) servent de toile de fond a une serie de situations clichees qui relevent des fantasmes de l'auteur et de son traducteur et qui suivent la progression des personnages de leur premiere journee d/ecole jusqu'a leur demande d'inscription al'ecole secondaire. Regles de gramrnaire, regles de bois, regles de conduite , regles rnensuelles, tout y passe, mais surtout les regles du bon Dieu transmises par Ie petit catechisme. Cette piece bien construite, ou les ecolieres interpretent aussi 1es roles des religieuses enseignantes, repond en partie al'esthetique de Michel Tremblay, dont Ie theatre contient de nombreux monologues, et ala tonalite que l'on trouve dans un rOlnan comme Therese et Pierrette a ['ecole des Saints-Anges. Michel Tremblay privilegie, dans plusieurs de ses reuvres, des personnages-enfants, mais il ne faut pas pour autant condure qu'illes destine aun jeune public. Au contraire. C'est au lecteur/ spectateur adulte de faire la part des choses dans des textes qui sont a1a fois des descentes en enfer et des eIoges de l'imagination creatrice. Si Michel Trenlblay n'ecrit pas pour jeunes publics, il y a, au Quebec et au Canada franc;;ais, de nombreux auteurs qui se sont fait une reputation dans ce dornaine. Au cours de l'annee 1993, plusieurs nouveaux textes, de valeur inegale, ont ete publies. La facture classique de Morgane (Boreal, 125, 15,95$), avec son respect des trois unites, sert paradoxalernent de cadre a la deconstruction de personnages herolques, appartenant a la legende celte et a la tradition courtoise. Michelle Allen transporte son jeune public en Bretagne, au cinquieme siecle, aune epoque ou les croyances paiennes n'avaient pas ete completement remplacees par Ie merveilIeux chretien, pour y rencontrer dans la foret de Wannest pres de Camelot , Ie roi Arthur, affaibli par 1a perte de son epee, la reine Guenievre~ mariee contre son gre, LanceIot, qui hesite, mais pas longternps, entre Arthur et GuenieVTe, Ie Frere Jean, qui essaie de combattre les restes du paganisme, et Morgane, la «lnechante fee )), sreur rebelle du roi. Morgane a ete creee a Rennes, grace a une rare collaboration entre .une troupe quebecoise, Ie Theatre de Carton, et deux troupes europeennes, les Ateliers de la Colline, de Belgique, et le Theatre de l'Ecume, de Bretagne. Le texte de Michelle Allen s'est developpe en grande partie sur les lieux ou se deroule I'action, avec la participation de plusieurs adolescents qui, pendant quatre jours, se sont costumes, impregnes de leurs personnages et livres ades jeux de roles dans la foret bretonne pour aider la dramaturge a.approfondir Ie trajet initiatique de ses personnages. Plusieurs anachronismes font basculer les protagonistes hors des cadres rigides et font comprendre qu'ils doivent, pour s'epanouir, ecouter leurs instincts tout autant, sinon plus, que leur raison. C'est un message anti-militaire, pro-ecologie, pro-rnagie surtout, presente dans une langue subtile qui a puise dans Ie substrat breton une matiere organique dont les diverses couches se sont combinees porn produire un texte vivant. THEATRE 117 Suzanne Lebeau, dans Conte du jour et de la nuit (Lemeac, 84, 10,75$), explore certaines des memes pistes - magie, initiation, ecologie - pour un public beaucoup plus jeune. Cette piece est une nouvelle version de Comment vivre avec les hommes quand on est un geant, destine aux huit a douze ans, que Suzanne Lebeau a voulu partager avec les quatre ahuit ans. Forte de sa longue experience du theatre pour enfants, elle a compris qu'il ne fallaH pas effrayer les tout petits, ni les perdre dans des discussions philosophiques. Le titre meme, Conte du jour et de la nuit, montre comment elle a resolu les problemes. C'est atravers un conteur/ narrateur qui accueille les enfants, leur raconte ce qui va se passer, puis tourne les pages d'un livre d'ou sortent les deux personnages, Ie geant Toller, version miniature, et la souris Alfredo, version geante. Lorsque Ie geant finira par «grandir», il ne sera pas effrayant car les enfants l'auront apprivoise. Mais, queIqu'un d'aussi gros, d'aussi grand et maladroit en plus, a du mal ase faire des amis, ce que deviendra pourtant Alfredo, Ie rat ecologique qui se nourrit de dechets trouves dans les poubelles. Comme Alfredo tousse beaucoup, Toller cherche un moyen de Ie guerir de sa toux. Mais Ie geant maladroit, en decrochant Ie soleil pour l'apporter a son ami, prive Ie reste de la terre de lumiere et de chaleur. L'aspect « conte philosophique» passe en douceur dans Ie redt/comrnentaire du narrateur qui fait comprendre aux enfants que chaque chose a sa place. Suzanne Lebeau analyse sa demarche dramaturgique dans un important « texte de reflexion » qui sert de preface ala piece et qui pourrait servir de guide atous ceux et celles qui ecrivent du theatre pour enfants. Jasmine Dube a aussi coiffe sa piece asucces, Petit monstre (Lerneac, 66, 10,25$), d'une preface qu'elle intitule «Theatre au masculin », puisque cette CEuvre privilegie une relation entre un pere et son fils. Relation au priment la tendresse, la complicite, Ie ludisme. Ce genre de rapport entre hommes est presque inexistant dans Ie theatre pour enfants et c'est ce vide que vient combler Petit monstre, qui s'adresse aux enfants de quatre a huit ans. II s'agit d'un theatre de situations ou, devrais-je dire, de situation, puisqu'il n'y en a qU'une. Nous sommes samedi matin. Papa dort. Son fils, comme tous les enfants du monde, se leve avec Ie soleH. L'enfant veut jouer. Tente de reveiller papa. Toutes les ruses sont bonnes : Ie chatouiller, lui siffler dans les oreilles, faire semblant d'etre un requin, poser des devinettes, allumer la television, et yen passe. Deroulement completement previsible: Ie pere finit par se reveiller tout a fait au moment ou Ie fils sombre dans les bras de Morphee. Si, ala lecture, cette piece ala lourdeur d'un exemple tire d'un livre de psychologie enfantine, i1 en est autrement ala representation au Ie role de l'enfant de cinq ans est tenu par un adulte et OU accessoires et costumes se mettent de la partie pour donner ace texte tres realiste la dose de fantaisie qu'illui faut pour lever de terre. Ce n'est pas la fantaisie qui manque dans Le Pain de Ia bouche (VLB, 107, 12,95$) de Joel da Silva qui prend comme point de depart pour son 118 LEITERS IN CANADA 1993 operette ludiquef iconoclaste, eclatee, Ie conte bien connu des freres Grimm, Hansel et Gretel. Les photos, les dessins et les didascalies permettent de reconstituer en partie un spectacle construit sur deux modes. D'abord Ie mineur de la Sonatine n° 2 en la de Schubert qui souligne les moments forts de l'intrigue au les deux enfants, devenus octogenairesf revivent la mort de leurs parents, leur heritage d'un piano et d'un violon et leur rencontre avec une sarciere qui voulait les manger. Ce qui nous mene au reseau semantique majeur, introduit dans Ie titre et traversant ce delicieux spectacle fait pour nourrir la reflexion des jeunes qui auront d'abord bien ri en apprenant que dans Ie frigidaire anachronique « Ie lait etait devenu du beurre, Ie beurre etait devenu du fromage et Ie fromage se demandait serieusement s'il y avait une vie apres la mort ... ». Ils auront aussi ete charmes par des jeux de scene comme celui ou la sorciere manipule Ie corps de Gretel pour Ie faire ressembler, dit-on, a un plat cuisine. Et quand Hansel proteste qu'il n'est pas comestible parce qu'il est vieux et qu'il ales pieds plats et un ulcere, la sorciere lui dit de ne pas s'en faire puisqu'elle «connait l'art d'appreter les resteS)}f une bien mince consolation! Cette piece, bourree de farces verbalesf genre «Je vais te manger dans une crepe au crapaud ala sauce analphabete», est narree par la voix desincarnee de la sorciere qui conserve au dela de la tombe une grande partie de ses pouvoirs puisqu'elle illustre son recit en manipulant une fouled'accessoires au cours d'une aventure au chacun, selon la preface de son auteur, « cherche sa nourriture dans Ie ventre d'une 'foret de symboles' ». Henriette Major, auteure d'une centaine de livres pour enfants, choisit, dans une premiere piece de theatre, d'explorer certains des symboles qui peuplent les reves des enfants et qu'elle a decouverts en interviewant de nombreux jeunes de six adouze ans. Jeux de reves (VLB, 123, 12,95$) est un spectacle divertissant ou des marionnettes geantes, animees par Ifequipe du celebre Theatre sans fil, «propose[nt] aux enfants divers moyens pour utiliser leurs reves ades fins de creativite et de croissance personnelIe». Marie-Eve (neuf-dix ans) et Simon (sept-huit ans) se reveillent apres avoir fait chacun un cauchemar different. Pour conjurer leur peur, ils decident de se faire Ie recit de tous les reves qui les ont effrayes, ce qui fait apparaitre sur scene des monstres aussi divers qu'un fantome, une sorciere, un crocodile, un vampire et un loup que les enfants vont apprendre aapprivoiser. Car s'il y a beaucoup d'aspects ludiques dans cette piece, on y trouve aussi un cote therapeutique clairernent souligne dans un volumineux cahier d'activites pedagogiques qui suit Ie . texte. Dans un style qui rappelle certaines belles pages du Sexe des etoilesf Raymond Pollender, dans Le Cadeau d'Isaac (Quebec/Amerique, 161, 7.95$), a ecrit une piece pour jeune public ou les frontieres entre realite et reve s'estompent pour creer un monde ou adultes et enfants, animaux THEATRE 119 et humains peuvent vivre en harmonie en ecoutant la musique des espaces infinis. Katou vient de demenager dans un nouveau quartier ou eIle ne connaH personne. Quand son ballon tombe par megarde dans Ie jardin du voisin, eIle hesite aIe recuperer, car elle ne veut pas rencontrer Isaac, un «vieux» de vingt-huit ans qui lui paraH tout a fait bizarre. Quand elle decouvre que celui-ci a suspendu son baIlon, avec d'autres de diverses tailles, des branches d'un arbre, elle est stupefaite. Petit apetit, elle s'approchera et decouvrira qu'Isaac, en bon prof d'astronornie, cherche a interesser les enfants aux merveilles de la voute celeste. Le merite de Raymond Pollender est d'avoir reussi aeviter Ie ton didactique, grace aux repliques enjouees des personnages et surtout par ]'utilisation d'unfantastique souriant qui permet au chat d'Isaac de cornmenter l'action en pastichant Villon, de dialoguer avec Ie chien du vEain Inonsieur Deslile, proprietaire de la maison d'Isaac, et de se transformer en comete alongue queue dans un reve de Katou qui va decouvrir, grace ases nouveaux amis, que l'univers change, que tout demenage et que c'est acause de cela que 1a vie continue. Dans Comme une ombre (Quebec/Amerique, 104,7,95$) de Louis Emond, c'est de nouveau la vie de quartier qui sert de toile de fond aun conflit entre freres qui 8'opposent, chacun son tour, d'abord aune ( gang» puis a un vieillard. Daniel, qui a douze ans, en a marre de trainer tous les jours avec lui son frere Sebastien, huit ans, pendant que leurs parents travaillent, surtout que ses amis se fatiguent de la presence du petit et que la gang rivale se moque ouvertement de son role de «gardienne)}. Un jour, pendant que Daniel joue au tennis, Sebastien accepte l'invitation d'un nouvel ami chez qui il se rend pour admirer son train electrique. Quand Sebastien n'est pas au rendez-vous, Daniel est sur que Ia gang rivale a enleve son frere, malentendu qui occasionne une scene assez haute en couleur et qui est dissipe par un second malentendu lorsque Sebastien, pour ne pas se faire punu, dit avoir ete en1eve par un vieux monsieur. Si Ie ton et Ie contenu des repliques traduisent bien 1a chaleur d'un apres-midi d'ete dans un parc recreatif, la piece colle peut-etre trop au vecu des enfants pour les interesser longtemps. En relisant les chroniqlles de Barbara McEwen, force In'est de constater que l'ensemble des pieces publiees en 1993 n'est pas ala hauteur de celles qui ont paru ces quelques dernieres annees. Pourtant, il y en a de qualite, comme les textes signes Jovette Marchessault, Victor-Levy Beaulieu et Daniel Danis qui proclament pleinement Jeur appartenance a l'ere du vide. J'ose esperer que 1994 verra Ie retour de Normand Chaurette, de Rene-Daniel Dubois, de Normand Canac-Marquis, de Dominic Champagne , de Rene Gingras, et d'autres praticiens de la nouvelle dramaturgie qui nous ont habitues aun theatre de recherche qui allie autoreflexivite et eclatement aun langage scenique nuance. ...

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