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LAURENT MAILHOT Saint-Denys-Garneau Oil l"equilibre imponderable' de l'homme et du poete ... Je trouve l'equilibre imponderable entre les deux. C'est la sans appui que je me repose. Poeme liminaire Je relis Saint-Denys-Garneau apeu pres chaque annee. Moins le diariste et l'epistolier, si interessants soient-Us, que le poete. Inepuisable. Un peu en porte-a.-faux, incompletJ inacheve, padois bancal, troue, beant, et par la inattendu, vivant. O'une annee a l'autre, il bouge, s'eloigne, se rapproche de lui-meme et de nous. La Revolution tranquille lui avait prefere Alain Grandbois, qui est Ie type meme de l'Ecrivain-de-I'entredeux -guerres, voyageur et esthete raffine, partout chez lui (et ailleurs) dans Ie monde. La postmodernite revient - ou reviendra - a. Garneau, fragmentaire, incertain, interrogatif, impur. Le cinquantenaire de sa mort n'est qu'un pretexte supplementaire pour jeter quelques regards, essayer que]ques jeux dans l'espace et Ie temps du poete, ou plutot dans les traces qu'en ont laissees les lectures ou non-lectures, les legendes et Ie mythe. Omieres au sillons? Le paysage, comme Ie visage, s'en trouve en tout cas modifie. On passe facilement ici du 'tombeau' comme genre a la (re)composition de la figure du poete. Depuis sa mort prematuree en 1943, Hector de Saint-Denys-Garneau n'a jamais ete absent de la memoire, de l'imaginaire, de I'histoire et de l'histoire litteraire du Quebec. Ses compagnons et amis Ie celebrent - et se celebrent - dans laNouvelle Releve, au Gesu; on en parle dans Gants du del, dans Notre temps (Grandbois: 'Une bombe d'oxygene pur'), et meme dans Ie JOllr (un adversaire politique, Ie futur romancier Pierre Gelinas). A Radio-Canada, en 1952, Pierre Emmanuel presente Saint-DenysGarneau comme un 'poete universeI' et 'deja completement forme' al'age de vingt-deux ans. En novembre 1954, Albert Beguin, directeur d'Esprit et specialiste du rornantisme allemand, signe un article fondateUI, 'Reduit au squelette,' ou il compare la 'simplicite immediate si pure' de Garneau aux 'ultimes poemes' de Holderlin, ceux OU, 'avant Ie silence definitif, toute magie verbale abandonnee, il n'y a plus que des paroles pauvres,' celles-ci par exemple, tirees des 'Solitudes': UNIVERSITY OF TORONTO QUARTERLY, VOLUME 63, NUMBER 4, SUMMER 1994 SAINT-DENYS-GARNEAU 519 On n'avait pas fini de ne plus se comprendre On avan<;ait toujOtUS ase perdre de vue On n'avait pas fini de se trouver des plaies On n'avait pas fini de ne plus se rejoindre [...] Au Canada, au Quebec, avant meUle l'explosion universitaire, des etudes (Ellis, des 1949), theses et rnemoires sont cansacres aGarneau par des critiques qui compteront parmi les plus irnportants, de Gilles Marcotte, en 1952, aJacques Blais et Patricia Purcell (plus tard Smart) en 1963. lci, Garneau connaitra plusieurs secondes morts (ou blessures, amputations) et secondes vies (ou resurrections miraculeuses). Les quotidiens soulignent Ie cinquantenaire de sa naissance, en 1962. Des qu'il y a des revues universitaires (et des colloques), on 'relit' regulierernent Garneau et ses ceuvres. Les,'Hommages' se relaient, cornme les temoins, d'une generation , d'un anniversaire aI'autre. Ce n'est pas Ie cinquantenaire de sa mort, cornmemore en 1993 par de multiples publications, par des ceremonies et manifestations dont une exposition d'ceuvres peintes a Sainte-Catherine-de-la-(Riviere)-JacquesCartier ,t par des colloques universitaires aToronto et Ottawa comme a Montreal et Quebec, qui marque Ie retour de Saint-Denys-Garneau.2 Apres une eclipse partielle dans les annees cinquante (l'Hexagone) et soixante (Parti pris) au profit d'Alain Grandbois, son jeune arne, oppose et complementaire, l'auteur de Regards et jeux dans l'espace - et d'un Journal, de Lettres - prend de nouvelles dimensions avec la parution de ses CEuvres3 quasi completes en 1971. Dans des LPropos' sur cette edition critique pionniere, Jacques Blais4 se montre beaucoup plus severe, ajuste titre, pour les Poesies dites completes de 1949, chez Fides - 'tellement imparfaite que la reedition de 1972 [...] ne comporte pas mains de 150 corrections' - pour Ie JournalS et ses Lpassages oublies,' Lajoutes,' pour les Lettres ases amis6 et leurs 'mauvaises lectures,' 'leurs notes aussi rarissimes et succinctes qu'impertinentes.' Il reste qu'en 1949, Robert Elie et Jean Le Moyne, ajoutant un autre recueil (intitule LIes Solitudes'), a Regards et jeux dans l'espace, sur Ie modele de celm-ci, donnent une epaisseur, des contradictions, une forte complexite al'reuvre et ala figure de Saint-Denys-Gameau. S'inspirant des vers (incipits, fragments) de Garneau pour titrer les poemes, et des 'phases de la crise interieure que Ie Journal decrit' pour distinguer et designer les sections, ils construisent lID recueil posthurne fidele al'esprit sinon toujours a1a lettre du poete qui fut leur ami. 'Des personnages de romans ont avec lui des traits cornmuns,' avait d'abord dit sobrement Jacques Blais7 de la parente psychologique au textuelle du solitaire de Sainte-Catherine avec les heros, anti-heros, de 520 LAURENT MAILHOT Giroux, Elie, LangevinJ Anne Hebert, Charbonneau, Ferron echronique fantaisiste'), et rneme du Mystere Frontenac de Mauriac (,par anticipation,' en 1933) et de Monsieur de LourdinesJ histoire dlun gentilhomme campagnard (1911) d'Alphonse de Chateaubriant,8 auquel, on Ie sait, Ie collegien prolonge consacre un pensum dans quatre livraisons de La Releve. A la fin d'un 'Complemenf9 asa bibliographie de Garneau, sous la rubrique 'Temoignages / Jacques Blais mentionne d'autres 'traits communs' de personnages romanesques10 avec Garneau et Ie 'dialogue' d'un poetell avec lui. Plus etonnants, discutables, sont deux autres types d'information ou d'affirmation. 'On fait de Saint-Denys Garneau un personnage de theatre' est excessif pour designer Ie sexagenaire Fran<;;ois Joncas du Temps sauvage d'Anne Hebert. En revanche, 'On Ie cite dans des textes narratifs' parait faible, incomplet, pour evoquer Ie cadre, I'atmosphere et les jeunes protagonistes de deux romans d'Anne Hebert (Heiofse et Les Fous de Bassan),le bizarre Inventaire pour Saint-Denys de Jacques Garneau, dont on ne sait s'il faut Ie lire comme un dossier psychiatrique, un poeme en prose au un dessin sur les murs, ainsi que Ie conte 'Melie et Ie bceuf' de Jacques Ferron, ou Maitre Lebceuf, veau devenu avocat, redevenu veau puis taureau ala fin,12 reprend du pail de la bete: 'Un jour enfin il put rendre Ie cri du poete, un mugissement arendre fones toutes les vaches du comte. Fidele asa racine, il avait retrollve son destin.' Avant que des universitaires, professeurs au etudiants, ne passent au filtre, aIa grille de leurs analyses techniques, structurales, semiotiques, une bonne douzaine de poemes de Saint-Denys-Garneau, apartir de 1973 environ,'3 on s'etait beaucoup penche sur Ie 'drame' humain, existentiel, du poete. En 1954, Ie frere Levis Fortier avait rebaptise Message poetique sa these sur Le Drame spirituel de Saint-Denys Garneau. La traduction du drame personnel en 'message' metaphysique et moral, Ie passage du spirituel au poetique se trouvent reunis, recuperes, dans LIAventure poetique et spirituelle de Saint-Denys Garneau de Romain Legare (1957). On parlera encore de la 'quete de la foi,' en 1974, vaire de la 'couleur de Dieu' jusqu'en 1981.14 'Enfin, Ie vrai Saint-Denys Garneau!' dit-on a chaque importante parution all edition.ls Mais celui-ci se derobe toujours au se deplace. Lage-t-il dans les Lettres16 apres avoir hante Ie Journal17 au habib~ les poemes? Decouvrira-t-on sa genese dans les Juvenilia, sa traduction dans les dessins et aquarelles? Ses adversaires (Camille ROYJ Valdornbre), comme sa cousine et ses amis'8 sont mis acontribution. AParis, au se promene en 'somnambule' Ie vieil Enfant charge de songes d'Anne Hebert, I'eternel adolescent mauriacien charge de chaines: 'D'un moment al'autre Baudelaire peut surgir, sur la berge pierreuse avec ses cheveux verts et son haut-de-forme sur l'oreille.'19 Mais Ie poete qui surgit, qui pourrait surgir a chaque page c'est plutot Saint-DenysGarneau avec son beret (sur I'oreille), ses cheveux noirs (sernes de fils SAINT-DENYS-GARNEAU 521 gris), son regard profond, ses souvenirs de Duchesnay et de Pont-Rouge, de la riviere meurtriere, du canat, de Ia jeune sorciere et de son cheval embalM, de la Mere 'renarde' qui devore ses enfants pour les proh~ger. Des vers sont cites, une atmosphere est reconstituee: la revolte du Torrent, au premier plan, rnais aussi, dans Ie texte lui-meme, les images precises de la nuit, de la forge, de I'oiseau-cceur, de la 'cage' ... L'ensorcelante Lydie, fievreuse a la suite de son accident, lit Ia Iettre passionnee de Julien: 'Cet enfant est fou, pense-t-elle. Son exigence me tue. Il reclame tout de moi. II aura mon arne au bee, si je Ie Iaisse faire.,20 Dans sa reponse (elle Ireferme son poing comme queIqu'un qui etouffe un oiseau'), Lydie ecrit a Julien qu'il lit trop, qu'll ecrit trop: Taime les poetes dans Ies livres, pas dans la vie,'21 et elle --Ie prouve aussitOt avec ceUe 'brute epaisse' d'Alexis Boilard, Ie camionneur. Jean Le Moyne, qui ne saurait 'parler de Saint-Denys-Gameau sans colere, car on l'a tue,'22 fait de son ami non seulement une victime, un 'homme a qui on a tout ate, tout vole,' mais d'abord Ie type meme de l'Ecrivain, du Poete a la franc;aise eun boheme de grande dasse'), ala russe, personnage de TolstoY et de Dostoievski ala fois ('rnoujik broussailIeux ,' 'Ie plus elegant des barines'). Un personnage de la vie sociale, un grand acteur, un geant rabelaisien dans son 'extase de rire.' 'Sa fantaisie avait atteint un extraordinaire degre de profondeur et de subtilite: d'un geste, d'une intonation, d'un relevement de sourdl, par l'usage general d'un lieu commun, il ebranlait des fondernents du reel imrnediat,' ecrit Le Moyne23 en spectateur enthousiaste qui melange un peu les genres, les masques. Garneau serait-il un autre Fridolin (reveIe lui aussi en 1937), un Charlot? Ou un des Marx Brothers al"anarchie radicale,' d'une 'inspiration quasi poetique,' dont parle egalernent l'auteur de Convergences, quali-£iant leur comique de 'protestation contre la realite quotidienne et ses exigences'?24 Tout Ie monde tient arepliquer d'une fa~on ou d'une autre aIa these de Jean Le Moyne. Sans ses ;assassins' clerico-nationalistes, Ie jeune Garneau aurait-il eu 'une constitution robuste, un cceur a toute epreuve,' une vie de bonheur dans la 'nature bienfaisante,' demande-t-on ironiquement.25 Seion Andre Major}6 qui rend compte des Lettres ases amis, la correspondance dernythifie Garneau et surtout son entourage, sa cour. C'est Jacques Ferron qui va Ie plus loin dans sa chronique, sa galerie de portraits du Ciel de Qulbec (1969), et deja dans un article de 1962: Saint-Denys Garneau, prisonnier de sa caste, privilegie de la servitude, etranger dans sa ville, circulant dans son pays sans Ie voir, considerant son peuple comme une populace bonne a fournir des serviteurs et des putains [...J L'isolement de Saint-Denys Garneau, son impuissance lui venaient tout simplement de sa caste, du divorce de celle-ci et du peuple £...}27 522 LAURENT MAILHOT Tout simplement? L'antithese sociologique (et polemique) n'est pas plus convaincante que la these. Et Ferron le sait, qui complique asouhait les figures, qui multiplie les allusions et les ombres ici comme dans Le CieI de QUI?bec.28 LQui a tue Saint-Denys-Garneau?' demande ason tour Yvon Rivard.29 Contrairement aJean Le Moyne ('assassinat longuernent prepare'), celuila , non moins en colere, 'pour des raisons completement opposees,' condamne non pas ceux qui auraient empeche Ie jeune Garneau de vivre, mais 'ceux qui l'ont empeche de mourir,' c/est-a.-dire de 'vivre cette mort qui Hait intimement liee non seulement a son reuvre mais aussi a sa quete spirituelle.'30 Comment les dissocier, en effet, puisque chez lui comme chez Kafka, Ltoutes deux, tour atour, se nourrissent du sacrifice de l'autre'? Yvon Rivard renverse donc les donnees du probleme pose (et soi-disant resolu) par Le Moyne dans son analyse 'psycho-sociologique.' Celui-ci se reierait ala raison commune, ala 'sagesse' et a l"individu moyen' que n'etait pas, que ne pouvait ni ne devait etre Garneau. Son refus du bonheur n'etait pas une tare, son desespoir n'etait pas une maladie, ni meme la consequence de quelque 'echec/ mais 1a seule fidelite possible aune verite qui se derobe sans cesse.,31 Et de citer Rene Ch~r: 'la lucidite est la blessui'e la plus proche du soleil'; ou Georges Bataille, pour,qui la poesie nous jette 'en de grands elans OU la mort n'est plus Ie contraire de la vie.' Rivard demande qu'on respecte 'cet acte par lequelle poete choisit l'alienation dont il est victime,' et qu'on garde ason 'echec,' si echec il y a, Ltoute sa purete.' 'De deux chases l'une: ou Saint-Denys-Gameau a fait une CEuvre et alors de quoi parlons-nous?,32 Saint-Denys-Garneau 'heurte de front I'ordre etabli du langage,' donc de la societe, meme de la societe de ses amis. De Nelligan a lui, selon Rivard, on serait passe 'de la metaphore a l'innommable. Le premier aspirait a ecrire, Ie second a mourir.,3J Il s'avere aussi difficile pour un poete de mourir (a. sa vie future) que d'ecrire (sa future mort). Saint-Denys-Garneau a beaucoup avoir avec Ie livre (et Ie titre) de Jean Larose: L'Amour du pauvre. II en est un des 'fantomes' litteraires essentiels. Apres les 'quelques vers en germe,' feconde pourriture, chez Cremazie, apres un Nelligan, 'mythique,' Garneau apparalt proche des Romantiques allemands, theoriciens de L'Absolu litteraire et amants de 'la Revolution en personne.,34 Singulierement de Novalis, par sa 'programmation de l'accornplissement' et son ideal de l"artiste-mediateur.' Vers Ie mauvais pauvre,' presente comme l''Epilogue' de L'Amour du pauvre, en est, en fait, Ie sens cache.. differe, la mise en abyme. II s'agit - pour emprunter deux titres de chapitres qui Ie recouvrent tout aussi bien - de 'L'image finale,' au sens strict, et du veritable 'Dialogue de la plus haute tour' entre deux voix, Lui et MoL II s'agit d'un texte sur Paris, sur Vn Canadien aParis' SAINT-DENYS-GARNEAU 523 sur les fameux 'retours d'Europe,'35 sur 'l'heure pauvre/ 'I'heure crue des chases sans les hommes,' l'heure peut-etre 'ou Nerval s'est pendu.'36 LUI, ethnologue, anthropologue, eternel etudiant au 'doctorat total,' expose aMOl, interlocuteur presque aussi muet interrogatif, que celui de La Chute de Camus, sa vision de Paris, du Quebec, du choc culturel. II cite plusieurs fois Saint-Denys-Garneau, debarque cinquante ans auparavant, fait-il remarquer, Ie 6 juillet 1937. C'est, en effet, la date de sa lettre a Robert EEe: 'Ma IIsaison en enfer," qui n'offre d'ailleurs aueun interet, se continue a Paris au me voila rendu depuis ce midi f...JJe n'ai plus autre chose a attendre que Ie repos sous la terre. Je Ie savais avant de partir, mais j'ai voulu essayer une bonne fois, derniere fois.i37 Il se dit 'hebete et pulverise.' Un mort parmi les vivants, 'dechire,' 'brule,' 'sarti de l'enfer.,3B En aoftt, iI se deerit encore (a Claude Hurtubise) 'au fond du marasme, mais moins heurte.'39 Il confie a Jean Le Mayne son sentiment de culpabilite, son 'impuissance incommensurable.'40 Puis vient la longue lettre du 8 aout aElie, ou il parle de son 'imitation de vivre,' d'une sorte de vie 'parallele,' et pourtant 'en face de la nuit.,4! LUI cite et commente certaines de ces lettres dans L'Amour du pauvre. II tente d'expliquer, par une sorte de psychanalyse politique, l'echec de ee Quebecois a Paris, ville ou til demeure possible de penser, d'adopter une attitude critigue, dissidente, arrogante, 'baveuse.'42 L'attitude du jeune Garneau est, au contraire, emotive, autocritique, 'autoflagellante.' La fable de Larose, eet etrange 'epilogue' qui se tern1ine par un 'avantpropos ' - celui de la fameuse non-these de LUI, C..., dont Ie narrateur est I'heritier - revient au 'serieux,' au tragigue de Saint-Denys-Garneau: 'iI prefera sombrer plutot que de porter tU1. faux temoignage sur la valeur de la vie'; til avait irremediablement perdu foi en la valeur du symbole' (tout en tentant de 'garder Dieu al'abri de celte defection'); 'de quoi a-t-il donc manque, vraiment manque?'4J 'Par quel raffinement de l'orgueil a-t-il cm pouvoir se passer, entre la poesie et lui, de la mediation du monde?,44 La 'vocation de pauvrete' qu'il revendique fait de Saint-Denys-Garneau, fort de ses contradictions, de ses faiblesses, un moderne Prornethee. C'est toujours LUI, C..., qui ecrit, qui annonce, qui promet 'l'ceuvre de toute une vie': l"analyse detaillee du mauvais pauvre.,45 Le dernier en date des exegetes de Garneau comme poete et prophete, Serge Patrice Thibodeau, lui-meme poete, ne fait pas qU'une 'lecture' attentive, systematique, de Regards et jeux dans l'espace et jusqu'au poeme 'Le diable pour rna damnation ...'; il contribue aussi au mythe, tout en demystifiant une certaine psychanalyse. La demiere partie de I'ouvrage porte sur Ie double mythe de la 'sanctification' et de la 'malediction' du poete, sur son 'droit a la solitude,' mais elle s'egare un peu a (trop) prouver l'allure d"animal sauvage' et la 'musculature' virile de l'athlete. La premiere partie traitait de la 'mysticihY (A distinguer de 1a religion, en particulier du catholicisme) du poete. FComme j'aurais voulu que Saint- 524 LAURENT MAILHOT Denys-Garneau n'eut jamais Iu 1es Maritain!' ecrit Thibodeau, ou encore: 'Dommage qu'il n'ait pas eu Ia chance de connaltre 1a philosophie bouddhiste du 'travail desinteresse/; iI eftt connu une paix profonde qui lui aurait perrnis de voir plus clair en lui.,46 Attache aune 'recherche de I'AudeIa ' al'orientale, du cote de I'lnde, de l'Egypte, de !'Islam, du soufisrne, voire tres precisement de 1a 'confrerie des derviches toumeurs de]a ville sainte de Konya,,47 Thibodeau, moins lecteur ici que croyant ou prophete,48 neglige 1a 'recherche de l'Autre,' 1a charlte evangelique inserite (comme Ie dedoublernent, Ia culpabilite judeo-chretienne) dans l'ceuvre et la vie de Garneau. II se construit a son touf, apres Jacques Ferron Oll Robert Larin, qu'il recuse/9 sa propre representation, non pas fauss€, mais un peu faussee, idealisee, du poete mystique. Si Saint-Denys-Garneau 'annonce et nourrit' une bonne part de Ia litterature quebecoise eontemporaine, c'est que son eeriture incarne une 'modernite de l'inachevement, de l'inadequation, de 1a discordance,' ecrit Pierre Nerveu.50 L'ceuvre est fragmentee, fragmentaire, fracturee, ouverte. Et pourtant solide dans sa fragilite meme, ses lezardes, ses fissures. Elle resiste ataus vents, atoutes modes, parce qu'elle se reconstruit sans cesse ailleurs, autrement. Entre les arts (peinture et musique), entre les genres, plus ou moins 'intimes' ou personnels, entre la poesie et la prose, entre la tradition (de lecture) et la rupture, 1a critique, I'autocritique. 'La force de Garneau est de rencontrer la discordance et l'heterogeneite au sein meme d/une theorie de l'harmonie, de l'ordre et d'une pensee religieuse :51 Le sujet qu'il est, qu'il eherche, est Imoins substance que desir de substance.' 0'ou Ie regard observe, retourne, du Mauvais Pauvre,' d'OU ce 'trou dans notre monde,' d'ou Ie 'bout casse de taus les chemins.' Mais il y eut, il y a rnouvement. Loin d'etreabsent de et a l'Histoire, SaintDenys -Garneau fut Ie premier ici a voir et atraduire dans son

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