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  • Les Indiens de Tocqueville
  • Matthieu Béra (bio)
Jean-Patrice Lacam, Les Indiens de Tocqueville. Témoignage et réflexions sur l’Amérique indienne des années 1830, L’Harmattan, 2013, 287 pages.

L’ouvrage de Jean-Patrice Lacam, sociologue, enseignant à l’Université Montesquieu Bordeaux 4 et à l’IEP de Bordeaux, est captivant. Les professeurs qui recherchent des chemins originaux pour transmettre le goût de Tocqueville à leurs étudiants trouveront matière dans cet ouvrage. Le voyage en Amérique du célèbre aristocrate et magistrat est revisité sous un autre jour. Parti en mission gouvernementale pour étudier le système pénitentiaire, il a visité de nombreuses prisons, rencontré des responsables et même interrogé des incarcérés ; cela, on le sait. Il a pris des notes, sollicité un grand nombre d’entretiens auprès de membres de la société américaine, pour dresser un état des lieux du fonctionnement de la démocratie américaine, on le sait aussi. Mais qui sait qu’il avait en tête, avec son ami de toujours Gustave De Beaumont, magistrat comme lui, de voir, de ses yeux voir, les Indiens, les « Peaux-Rouges » ? Qui sait que son parent Chateaubriand avait accompli ce voyage trente ans avant et en avait tiré un livre qui faisait rêver quelques aristocrates européens ? C’est ce voyage-là, appendice du voyage principal de Tocqueville et Beaumont, qu’on est amené à découvrir (chapitre 1 : l’occasion). [End Page 179]

Le livre de M. Lacam est parfaitement informé sur ce sujet délaissé. L’auteur ne manque pas de se demander pourquoi on a si peu écrit sur ce troisième voyage, ce voyage dans le voyage On laissera aux lecteurs le soin de trouver les réponses (Cf. l’introduction et la conclusion). Ici, nous voulons seulement présenter la démarche, car ce livre se lit « comme un roman », selon l’expression usitée, et on en sort à la fois ravis et édifiés.

Beaumont et Tocqueville ont tenu une correspondance serrée pendant tout leur voyage qu’il est possible de reconstituer à la journée près, presque 200 ans plus tard ! En outre, l’un et l’autre tenaient des carnets de notes, des carnets d’observations, de conversations, voire de croquis – surtout Beaumont qui possédait un vrai talent de dessinateur1. M. Lacam s’est imprégné de ces sources manuscrites2 pour monter le récit vivant de leur voyage. Où l’on découvre un Tocqueville enquêteur, ethnographe (Chapitre 5 : « l’enquête »). M. Lacam nous montre que Tocqueville observait, multipliait les occasions de mener des entretiens comme certains sociologues contemporains. Bien qu’artisanale, sa méthode n’en était pas moins précise, systématique. En 1835, il faut se souvenir que Marx avait 16 ans, Auguste Conte inventait le terme de « sociologie » dans son cours de Philosophie positive, Quételet écrivait De l’homme en réfléchissant sur les statistiques appliquées aux phénomènes sociaux et Le Play terminait ses études à l’école Polytechnique. Les sciences sociales étaient au stade de la petite enfance. Et Tocqueville peut être classé parmi ces inventeurs de la méthode de terrain.

M. Lacam a également travaillé à partir des sources écrites qui ont été lues par Tocqueville et Beaumont avant leur départ, pendant et après leur voyage (ce point chronologique n’est pas toujours très clair). On accède à leurs bibliothèques personnelles, constituées pour l’occasion, faites d’ouvrages empruntés ou achetés. Leur culture est reconstituée pour le lecteur (chapitre 6 : « les lectures »). On découvre alors les auteurs et travaux qui existaient sur les Indiens dans ces années, tant sur un plan ethnographique que politique. Tocqueville et Beaumont étaient des magistrats ; ils s’intéressaient spécialement au droit et visaient les textes de lois. Tocqueville s’était documenté sur les traités signés entre le gouvernement fédéral des Etats-Unis et les représentants des tribus indiennes. [End Page 180]

Ce chapitre n’est pas sans lien avec le troisième, « L’attrait », qui remonte en amont...

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