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  • Dualisme des conceptions de la laïcité au Québec et en France
  • Micheline Milot (bio)

Nombre d’auteurs se penchent, surtout depuis le tournant des années 2000, sur les régimes de laïcité ou de relations entre l’État et les religions, et proposent des analyses ou des positions contrastées. On peut identifier deux tendances lourdes dans l’horizon intellectuel, qui traversent également les débats au sein de l’opinion publique et des ordres politiques. Il s’agit, pour le dire simplement, de la reconnaissance ou de l’interdiction des manifestations de l’adhésion religieuse dans la sphère publique. La laïcité de l’État entraîne-t-elle une obligation de favoriser la concrétisation de la liberté de conscience et de religion ou un devoir de délimiter les sphères de la liberté selon qu’il s’agisse de la vie privée ou de la vie publique ? Voilà un enjeu qui suscite nombre de débats dans diverses sociétés.

Le Québec et la France n’y échappent pas. Les controverses à propos de l’aménagement de la diversité religieuse y semblent même particulièrement vives, en comparaison avec d’autres pays occidentaux. L’expression visible des appartenances religieuses de citoyens – essentiellement non chrétiens – a fait naître un malaise au sein de ces deux sociétés. Le point de départ fut les premières « affaires » du voile islamique à l’école (1989 en France et 1995 au Québec). Depuis, on assiste à une forte médiatisation de chaque événement relatif à la manifestation publique de l’appartenance religieuse. On constate aussi que la notion de laïcité est depuis lors véritablement entrée dans l’usage social en France (Baubérot, 2006), puis quelques années plus tard au Québec, à la faveur des critiques à [End Page 17] l’égard des accommodements pour motif religieux dans les institutions publiques (Milot, 2009a). La laïcité, en tant que catégorie juridique et politique, n’implique pas, en soi, une inclination vers un régime particulier de citoyenneté. Mais force est de constater que la question de la laïcité mobilise directement des conceptions normatives de la citoyenneté, soit républicaine ou multiculturelle (ou sa variante québécoise, désignée « interculturelle »).

Commissions parlementaires et groupes de travail mandatés par l’État se sont succédé de part et d’autre de l’Atlantique pour éclairer la gouvernance politique sur la place à accorder aux manifestations de la liberté religieuse dans la sphère publique. Les plus médiatisées furent sans doute, en France, la Commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République (Commission Stasi, 2003) et au Québec, la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles (Commisson Bouchard-Taylor, 2008). La focalisation sur les « signes » de l’appartenance religieuse s’est à ce point accentuée que la diversité culturelle se trouve pratiquement subsumée sous la catégorie « religion » dans l’une et l’autre société. Qui plus est, cette catégorie culturelle se voit associée à d’autres catégories à très haute teneur symbolique, au premier chef l’identité nationale1. Tout cela traduit un sentiment d’inquiétude face à ce que certains désignent comme un retour en force du religieux (l’islam est le plus souvent en cause). Cette crainte paraît d’autant plus étonnante que le Québec et la France sont deux sociétés profondément sécularisées et pluralistes, ce qui réduit à néant la capacité de quelque groupe religieux que ce soit à imposer à l’État et à la société civile une ligne de conduite normative calquée sur sa propre dogmatique.

Afin d’identifier les arguments qui opposent ces deux tendances (abordées ici de manière idéal-typique, n’épuisant donc pas la diversité empirique des positions), je propose une définition de la laïcité à partir de principes structurants de nature politique et juridique. Puis j’examine les deux positionnements normatifs qui prennent appui sur une hiérarchisation diff...

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