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  • La loi 1901 faute de mieux. Les Républicains face a l'association au tournant du XXe siècle
  • Chloé Gaboriaux (bio)

L'un des nombreux paradoxes de la France du XIXe siècle est sans doute d'avoir encensé et pratiqué la liberté d'association sans pourtant parvenir à l'inscrire dans la loi, restée très répressive en la matière. Il a ainsi fallu attendre 1901 pour qu'enfin elle entre dans le droit français. Elle est aujourd'hui généralement saluée comme une victoire de la liberté, enfin arrachée à la réaction par des républicains qui la réclamaient depuis si longtemps. De nombreux auteurs en ont cependant montré les limites : outre le statut d'exception donné aux congrégations religieuses1, ils ont souligné les restrictions apportées à la capacité juridique des associations, accordée de façon graduée en fonction de leur reconnaissance par l'Etat - inexistante pour les associations non déclarées, réduite pour les associations déclarées aux cotisations, local et immeubles strictement nécessaires à l'accomplissement de leur but, élargie pour les associations reconnues d'utilité publique. Elles renvoient pour Jean-Pierre Machelon à une « conception fort étriquée » de la liberté d'association, signe que « le temps du refus » n'est pas tout à fait terminé en 19012. Parce qu'elle lésine sur les moyens offerts aux associations pour se développer, Pierre Rosanvallon peut dire de la loi 1901 qu'elle « ne connaît que l'acte d'association et [qu']elle ignore l'institution qui résulte de cette opération »3. Dans cette perspective, la méfiance bien française à l'égard des corps intermédiaires paraît encore forte chez les artisans de la loi 1901. [End Page 53]

C'est ce constat qu'on voudrait réinterroger ici à partir des réflexions que les républicains tiennent autour de 1901 non pas au Parlement mais au-dehors, dans les revues politiques et au sein des associations dont ils font partie. L'une des particularités du moment 1901, bien mise en valeur par le colloque Associations et champ politique organisé au Sénat en novembre 2000, réside en effet dans l'implication des élites politiques républicaines dans la vie associative foisonnante que connaît la France depuis les années 18804. Or les réflexions qu'ils y développent mettent en évidence l'importance de l'association comme institution justement, jouant un rôle essentiel entre l'individu d'une part et l'Etat d'autre part. Elles conduisent donc à remettre en question l'idée selon laquelle l'individualisme républicain impliquerait une reconnaissance a minima des associations (I). Mais il faut alors s'interroger sur l'absence de concrétisation juridique de ces conceptions. A un moment où la vigueur retrouvée de l'anticléricalisme permet de régler, sous un titre spécial, le problème des congrégations, pourquoi la loi 1901 maintient-elle les restrictions évoquées plus haut ? La lutte contre les associations religieuses a-t-elle conduit les républicains à renouer avec leurs vieilles réticences à l'égard des corps intermédiaires ? (II) L'hypothèse qu'on proposera pour finir est qu'elle les a plutôt amenés à renoncer provisoirement à leurs ambitions en matière d'association, les dispensant par là même de les confronter aux exigences du pluralisme démocratique (III).

L'association au cœur du projet republicain

Le ralliement des républicains à la liberté d'association au cours du XIXe siècle est bien souvent présenté comme un « compromis »5. Traditionnellement attachés à une définition de l'intérêt général et de la liberté individuelle qui les a longtemps conduits à bannir tout corps intermédiaire entre l'individu et les pouvoirs publics, les républicains auraient tenté d'adapter leurs conceptions aux enjeux intellectuels et sociopolitiques du moment : la naissance de la sociologie les invitait d'une part à admettre le rôle social des groupements ; la multiplication de fait des associations ne cessait d'autre part de creuser l...

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