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  • Pour un roman critique
  • Warren Motte

Depuis quelques décennies maintenant, on nous dit que le roman est souffrant en tant que forme culturelle – et les plus radicaux parmi ces discours variés proclament que le roman est déjà mort, ayant rendu l’âme à un moment où nous ne faisions pas attention. De telles idées s’expliquent mal, et il est légitime de se demander pourquoi elles persistent. Peut-être, comme d’autres eschatologies trop faciles et d’autres scénarios apocalyptiques, nous permettent-elles d’imaginer que les choses finissent avec nous. Après moi le déluge : c’est une notion hautement performante pour beaucoup d’entre nous, caressant notre narcissisme et nous invitant à savourer les plaisirs douteux du schadenfreude. Et pourtant, quiconque prendra la peine de lire la fiction contemporaine de manière quelque peu soutenue sera vite obligé de reconnaître que le roman est au contraire bien vivant. En France et plus généralement en Europe par exemple, cela se vérifie aisément. Mais aussi sur bien d’autres horizons culturels : en Amérique du Nord et en Amérique Latine, en Afrique, en Inde, en Chine, au Japon, bref un peu partout.

Aussi absurde qu’elle puisse paraître lorsqu’on la confronte à la réalité phénoménale, l’idée de la mort du roman a néanmoins exercé un effet incontestable sur au moins deux générations d’écrivains. John Barth, par exemple, un des romanciers américains les plus accomplis de son époque, a cru nécessaire d’y répondre, dans un essai célèbre de 1967 intitulé “The Literature of Exhaustion” [La littérature de l’épuisement]. Il y propose un programme visant la rénovation du roman, rien de moins, par moyen duquel, invoquant la parodie et l’ironie, la littérature pourrait mettre le principe de son épuisement présumé au service de sa revitalisation. De l’autre côté de l’Atlantique, au moment où Jean-Fran-çois Lyotard proclame la mort des “grands récits” dans La condition [End Page 205] postmoderne (1979), beaucoup de romanciers en France avaient déjà commencé à rechercher d’autres sortes de modèles narratifs.

Incontestablement, cette sorte de recherche est un geste caractéristique de la littérature “sérieuse” à tout moment de l’histoire littéraire. A notre époque pourtant, cette activité a pris des dimensions impression-nantes. Au vingtième siècle, elle devient une des signatures de l’avant-garde, depuis ses débuts et jusqu’à son propre épuisement. Il est clair cependant que la notion pénétrante du récit en crise et l’idée de la mort du roman – qui prend forme au moment où le nouveau roman commence à perdre la prééminence dont il jouissait, c’est-à-dire, au milieu des années 1960 – ont provoqué une angoisse considérable parmi les écrivains français. Une des conséquences de cela fut une marée d’expérimentation littéraire de toutes sortes. Certaines de ces expériences visaient l’hybridisation de modèles narratifs conventionnels, créant de nouvelles formes telle que l’autofiction. D’autres invoquaient des principes formalistes rigoristes, dans une tentative de faire parler la forme narrative de sa propre voix. D’autres expériences encore essayaient de faire jouer certains modèles narratifs conventionnels les uns contre les autres, afin d’élargir le champ de la spécularité textuelle et ainsi de mettre la littérature elle-même en procès. D’autres écrivains enfin ont cherché à trouver de la valeur narrative dans des sites traditionnellement rejetés comme étant vide d’intérêt, des sites comme le quotidien, l’ordinaire, le banal, l’endotique.

Hélas, il n’existe pas de terme pour désigner avec précision cette sorte de littérature, à ma connaissance tout au moins. Il y a trente ans encore, on aurait pu faire appel à la notion de l’avant-garde, mais il me semble que cela ne veut plus dire grand-chose à l’heure qu’il est. L’idée de la littérature “élite” – par opposition à la litt...

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