University of Nebraska Press
Bello, Antoine. Les Producteurs. Paris: Éditions Gallimard, 2015.
isbn 9782070147854. 528p.
Bosc, Adrien. Constellation. Paris: Éditions Stock, 2014.
isbn 9782234077317, 193p.
Duteurtre, Benoît. L’Ordinateur du paradis. Paris: Éditions Gallimard. 2014.
isbn 9872070134175, 211p.
De Kerangal, Maylis. Réparer les vivants. Paris: Éditions verticales, 2014.
isbn 9782070144136, 281p.
Mauvignier, Laurent. Autour du monde. Paris: Éditions de Minuit, 2014.
isbn 9782707323859, 372p.
Nys-Mazure, Colette. La Vie poétique, j’y crois. Paris: Bayard, 2015.
isbn 9782227488199, 138p.
Quignard, Pascal. Mourir de penser. Paris: Éditions Grasset & Fasquelle, 2014.
isbn 9782246854975. 222p.
Rolin, Jean. Les Événements. Paris: pol Éditeur, 2015. isbn 9782818021750. 208p.
Salazar-Ferrer, Olivier. Les Possessions transparentes. Clichy: Éditions de Corlevour, 2014. isbn 9782915831931, 120p.
Bouvet, Rachel. Vers une approche géopoétique: Lectures de Kenneth White, Victor Segalen et J.-M. G. Le Clézio. Québec: pu du Québec, 2015.
isbn 9782760542655. 286p.
Gefen, Alexandre. Inventer une vie: La Fabrique littéraire de l’individu.
Bruxelles: Les Impressions nouvelles, 2015. isbn 9782874492471, 304p.
Jauer, Annick, et Karine Germoni. La Pensée ininterrompue du Mexique dans l’œuvre de Le Clézio. Aix, Marseille: pu de Provence, 2014.
isbn 9782853999496. 122p.
Leroy, Claude. Dans l’atelier de Cendrars. Paris: Honoré Champion Éditeur, 2014. isbn 9782745327765, 270p.

Œuvres de création

Bello, Antoine. Les Producteurs. Paris: Éditions Gallimard, 2015. isbn 9782070147854. 528 p.

Antoine Bello, né en 1970, est un écrivain franco-américain né à Boston, dans le Massachusetts, et qui réside à New York. Ses polars, fortement marqués par l’actualité politique mais qui possèdent aussi une dimension métaphysique, ont été traduits dans une douzaine de langues. Son roman Les Producteurs, qui vient de paraître, fait partie d’une trilogie. Après Les Falsificateurs (2007) et Les Éclaireurs (2009), il met en scène le jeune Islandais Sliv Dartunghuver, géographe de formation, qui intègre le Consortium de Falsification du Réel (cfr). Cette organisation secrète internationale a pour but de maintenir une paix relative sur la planète en produisant les fables médiatiques dont le public a besoin: ainsi la création d’Al Qaïda pour justifier la guerre contre l’extrémisme musulman, ou encore l’épidémie de grippe h1n1. Sliv Dartunghuver montre très vite des dispositions exceptionnelles de scénariste et il gravit rapidement les échelons de l’organisation. Devenu chef d’équipe, il s’adjoint les services de Youssef et Maga, deux auxiliaires présentés dans les volumes précédents. Dans le contexte des tensions entre l’Occident et le monde arabe, Sliv comprend que la Maison-Blanche manipule l’opinion internationale à coups d’informations falsifiées. Il tire la sonnette d’alarme et dénonce la trahison de la belle Lena Thorsen, son éternelle rivale. Fidèle aux lois du genre policier mais aussi à l’un des thèmes dominants de la littérature américaine—à savoir la perte de l’innocence—Bello joue avec l’obsession quelque peu paranoïaque qui lui est liée: la théorie du complot. Mais il s’agit ici d’un complot bénin, semble-t-il. Dans Les Producteurs, Sliv comprend que “le cfr n’a pas de but” (15) ou de ligne politique définie, si ce n’est la paix mondiale, par tous les moyens. On observe une certaine évolution du personnage principal de volume en volume. Dans le premier tome, Sliv se demande pourquoi il exécute sa mission et il vit dans la crainte constante d’être manipulé. Dans le deuxième tome, il prend de l’assurance et cherche à sortir du tunnel, après avoir trouvé les réponses à ses questions. Dans le troisième volume, il se révèle à lui-même et entre dans le cercle très fermé du comité directeur du cfr. Il se sent véritablement investi d’une mission, d’un projet d’accomplissement quasi mystique. Ce polar fait en un sens écho aux ambitions d’un Rastignac et à la “Société secrète des Dévorants” chez Balzac, sorte de groupe franc-maçon aux pouvoirs occultes qui fait basculer La Comédie humaine dans un univers fantastique. Mais la vision de Bello [End Page 135] est plus optimiste que celle de Balzac et franchement volontariste. L’auteur explique dans un entretien avec le magazine Télérama (14/03/2009): “En toute modestie, je cherche à écrire Les Hommes de bonne volonté du vingt et unième siècle. Comment traduire les bonnes intentions dans cet âge mondialisé? Voilà un thème qui m’est cher. J’exècre le cynisme. Aujourd’hui, particulièrement en France, on a l’impression qu’il faut presque s’excuser de croire encore que l’homme a un avenir.”

Bosc, Adrien. Constellation. Paris: Éditions Stock, 2014. isbn 9782234077317, 193 p.

Adrien Bosc est né en 1986 en Avignon. Il y fonde en 2011 les éditions du Sous-Sol qui publient les revues Feuilleton et Desports. Cette maison d’édition fait maintenant partie des éditions du Seuil. Constellation, le premier roman d’Adrien Bosc, a reçu le prix littéraire de la Vocation et le Grand Prix du Roman de l’Académie française. Il relate le crash d’un avion Lockheed Constellation d’Air France le 28 octobre 1949 dans l’archipel des Açores. À son bord se trouvait une quarantaine de passagers. Bosc rappelle que cet avion était un nouveau modèle lancé par le légendaire Howard Hughes, aviateur, constructeur aéronautique, homme d’affaires, producteur et réalisateur cinématographique américain qui fut l’un des hommes les plus riches et les plus puissants des États-Unis d’Amérique avant de sombrer dans la folie. C’est pourquoi la nouvelle du crash a suscité un certain émoi, d’autant plus que, parmi les passagers, se trouvait Marcel Cerdan, fameux boxeur français. Cerdan venait de remporter l’année précédente le titre de champion du monde des poids moyens à Jersey City. Amant d’Édith Piaf, il s’était embarqué incognito pour la rejoindre à New York. Il y avait parmi les passagers et victimes une autre célébrité, la violoniste française virtuose Ginette Neveu, protégée d’Herbert von Karajan, âgée d’à peine trente ans. On imagine le contraste entre ces deux personnalités, l’une dédiée au monde de l’art, l’autre au monde du sport. “À l’instar de Marcel Cerdan, la voix de Ginette Neveu est un paradoxe. Marcel, engoncé dans un corps de géant, avait l’élocution d’un gamin timide, bégayant, butant sur les mots, contraint à élever ce mince filet de voix pour se faire entendre [. . .]; Ginette, enfant-adulte, imposait de sa voix grave son assurance [. . .], vous fixant de ses yeux profonds” (98). Le roman démarre classiquement avec la scène d’embarquement des deux célébrités à bord de l’avion, scène qui fournit les données biographiques de ces deux destins croisés ainsi que les repères historiques nécessaires pour comprendre l’action. Puis Adrien Bosc mène une enquête sur l’accident proprement dit: quelles circonstances ont mené à la mort des passagers? Cette catastrophe fait-elle partie d’une loi des séries ou bien s’agit-il d’une simple aberration, d’une défaillance mécanique? Sur le plan symbolique, faut-il y lire une sorte de signe des temps, comme l’incendie du ballon Zeppelin ou le naufrage du Titanic? L’écrivain mène son enquête dans l’archipel des Açores (chapitre 9), sur l’île Santa Maria, puis sur les pentes escarpées du mont Retondo (chapitre 13). [End Page 136] Sur le site du crash, on identifie les débris de la carlingue du Constellation ainsi que les corps déchirés. “Penchés, les inspecteurs français photographient au Rolleiflex les décombres; dans la chambre de l’appareil émergent par le truchement de l’objectif les morceaux disparates du Constellation; sous leurs pieds, la tôle froissée en damier ressemble pour peu que l’on s’éloigne à un château de cartes écroulé; les pentes du Retondo sont jonchées de bijoux, billets de banque, malles éventrées dégueulant leurs effets, et autres objets de valeur oubliés des pillards.” (76) Adrien Bosc rappelle ici que, dans les années quarante et cinquante, le transport aérien est un luxe que peu de gens peuvent se permettre. En examinant la liste des autres passagers, Bosc tisse le récit de leurs vies aisées et cosmopolites, comme dans les nouvelles de Paul Morand, si célèbres à l’époque. Certains personnages émergent de l’ombre et prennent vie, ainsi de Bernard Boutet de Monvel, peintre, dandy noctambule et héros de la Grande Guerre qui s’est distingué par ses exploits en baie de Somme (chapitre 4), ou encore Amélie Ringler, petite ouvrière bobineuse de la région de Mulhouse devenue immensément riche grâce à un héritage et à l’essor du nylon (chapitre 6). À grands renforts de documents (la correspondance de Piaf, les coupures de journaux, les actualités cinématographiques de Pathé, les poursuites engagées en justice contre la compagnie Air France, etc.), Bosc brosse le tableau d’une époque et d’un monde englouti en même temps que ses références, ses rêves et ses préoccupations particulières. Un récit éclaté, en constellation.

Duteurtre, Benoît. L’Ordinateur du paradis. Paris: Éditions Gallimard. 2014. isbn 9872070134175, 211 p.

Benoît Duteurtre, né en 1960 à Sainte-Adresse, est un romancier, essayiste et critique musical français. C’est un “mécontemporain” qui s’oppose au consensus politiquement correct, à la façon d’un Philippe Muray. Souvent provocateur, Duteurtre est surtout un polémiste qui aime railler les excès de la société française actuelle. Auteur d’une vingtaine de romans traduits dans une vingtaine de langues, Benoît Duteurtre est aussi journaliste pour l’hebdomadaire Marianne. Drôle de temps, recueil publié en 1997, a reçu le prix de la nouvelle de l’Académie française la même année: il s’agissait d’une série de scènes réalistes et banales de la vie contemporaine, brusquement traversées d’un élément ou d’un événement inattendu, ridicule et destructeur. L’Ordinateur du paradis appartient à la même veine. C’est l’histoire de Simon Laroche, haut fonctionnaire responsable de la Commission des Libertés publiques à Paris qui se voit un jour, suite à un propos léger hors antenne, voué au pilori par la presse et par diverses associations gays et féministes. Deux parties de dix chapitres chacune, “La petite phrase” et “Le grand dérèglement,” détaillent l’emballement et l’acharnement médiatiques contre Simon Laroche. Elles montrent la ruine de sa carrière, de son mariage, de l’action exemplaire qu’il a menée durant plusieurs années. Du jour au lendemain, Laroche est devenu un “salaud” et le roman décrit sa descente [End Page 137] aux enfers. Un accident, provoqué par le stress, provoque bientôt sa mort. En même temps, Internet se dérègle soudainement au niveau international, et quantité de messages électroniques, privés aussi bien que professionnels, sont subitement divulgués au grand jour. Tous les responsables, et bientôt tous les citoyens eux-mêmes, sont donc exposés au regard critique d’autrui. Ces deux parties sont encadrées par trois sections brèves, “Les portes du ciel,” “Au bar du purgatoire” et “Un train d’enfer” qui évoquent l’au-delà où se déroule l’après-vie de Simon Laroche. En arrivant dans l’antichambre du paradis, Simon Laroche est surpris d’apprendre que saint Pierre et son équipe sont en train de consulter et d’examiner son dossier. S’est-il toujours montré “droit, honnête, respectueux de la loi des hommes et surtout de celle des femmes, de la religion, de la concurrence libre et non faussée?” (209). En regardant autour de lui, Simon Laroche s’avise aussi que le paradis ressemble à un complexe balnéaire néo-libéral et aseptisé, où l’on parle exclusivement l’anglais et où l’on doit soigneusement mesurer ses moindres propos. Chassé du paradis, Simon Laroche retrouve finalement quelques damnés “dans des caves enfumées, inaccessibles aux handicapés, où des musiciens jouent jusqu’au petit matin” (210). “Sans aucun respect de la diététique” (210), il s’y intoxique “de nourritures savoureuses” (210). Dans cet antimonde, l’idée malsaine et vraiment diabolique “d’une innocuité des plaisirs” (211) règne sans partage. C’est un espace où les “assistés se la coulent douce,” (211) sans aucun souci d’entreprendre quoi que ce soit. “Le royaume de Belzébuth rappelle également la tour de Babel parce qu’on y croise toutes les langues dans une troublante confusion” (210). Cette dystopie douce et enviable, c’est évidemment la France d’aujourd’hui, que l’auteur oppose comme un dernier bastion ou un dernier refuge à l’empire globalisé et réglementé anglo-saxon où les hommes “achètent les mêmes voitures, écoutent la même musique, partagent les mêmes actualités.” (210)

De Kerangal, Maylis. Réparer les vivants. Paris: Éditions verticales, 2014. isbn 9782070144136, 281 p.

Maylis de Kerangal, fille et petite-fille de capitaines dans la marine, est née en 1967 à Toulon et a passé son enfance au Havre. Son roman La Corniche Kennedy, publié en 2008, décrit une bande d’adolescents désœuvrés à Marseille. La corniche Kennedy est un promontoire rocheux que les jeunes utilisent pour leur rituel initiatique dangereux: le plongeon dans le vide, qui fait en quelque sorte “le pari de la transcendance inversée” (27). Ce roman saisissait magnifiquement l’esprit du petit groupe, leurs échanges, leurs attitudes individuelles et leur vision du monde. En 2010, Kerangal obtient le prix Médicis pour son roman Naissance d’un pont qui se déroule dans une Californie plus ou moins imaginaire, puis en 2012 le prix Landerneau pour Tangente vers l’est, un récit bref à travers la Russie de Poutine. Réparer les vivants marque un retour en France et, comme dans La Corniche Kennedy, un retour aux jeux interdits de l’adolescence. L’intrigue débute au petit jour où Simon Limbres se [End Page 138] dirige vers la plage avec ses compagnons de surf, Christophe Alba et Johan Rocher. Les vagues déferlantes sont au rendez-vous ce matin-là, donnant une fois de plus à Simon la sensation “de ressaisir en un tout l’éclatement de son existence et de se concilier les éléments, de s’incorporer au vivant” (22). Sur la route du retour, épuisés par l’exercice, les trois amis sont victimes d’un accident au volant de leur camionnette. Les secours du samu accourus en hâte constatent le décès de Christophe et de Johan. Quant à Simon, il est plongé dans un coma profond, sans rémission possible. Mais son cœur bat encore. Peut-on extraire l’organe et le greffer?

Ce qu’est le cœur de Simon Limbres, ce cœur humain, depuis que sa cadence s’est accélérée à l’instant de sa naissance, [. . .] ce qu’il a filtré, enregistré, archivé, boîte noire d’un corps de vingt ans, personne ne le sait au juste, seule une image en mouvement créée par ultrason pourrait en renvoyer l’écho, [. . .] seul le tracé papier d’un électrocardiogramme déroulé depuis le commencement pourrait en signer la forme, en décrire la dépense et l’effort, l’émotion qui précipite, [. . .] oui, seule cette ligne-là pourrait en donner un récit, en profiler la vie, vie de flux et de reflux, [. . .] vie de pulsations [. . .].

(11)

Au même moment, à Paris, à l’hôpital de la Pitié, une femme âgée de cinquante ans atteinte de myocardite, prénommée Claire, attend dans l’angoisse. La greffe que lui ont promise les chirurgiens aura-t-elle lieu aujourd’hui? Comme toujours, on retrouve dans le roman de Kerangal le goût de mettre en scène des groupes, des bandes (de surfeurs) ou des équipes (médicales)—bref des expériences collectives—aussi bien que des individus (Simon et Claire). En même temps, le roman témoigne d’une véritable jouissance lexicale, jouant magistralement avec le jargon (souvent anglo-saxon) du monde du surf ou de la technologie médicale. Pour finir, no-tons que Kerangal a longuement médité L’Homme devant la mort (1977) de Philippe Ariès, l’historien des mentalités: son roman interroge donc la représentation contemporaine de la mort, mort cérébrale plutôt que cardiaque. La transplantation cardiaque apparaît ainsi comme une étrange migration de l’âme, dans sa version postmoderne et sécularisée.

Mauvignier, Laurent. Autour du monde. Paris: Éditions de Minuit, 2014. isbn 9782707323859, 372 p.

Laurent Mauvignier, né à Tours en 1967, est l’auteur d’une dizaine de romans souvent récompensés par la critique. Autour du monde relate une quinzaine de voyages simultanés à travers la planète. Ils ont pour point commun d’aboutir au tsunami de mars 2011 au Japon, véritable feuilleton médiatique “donnant à tous le sentiment et l’illusion de partager le même monde,” lit-on en quatrième de couverture. Mais le projet de l’écrivain est précisément de défaire cette illusion trop commode. Le récit [End Page 139] commence par l’interrogation de Guillermo, qui voyage au Japon depuis environ trois semaines. Le jeune homme contemple la ville de Tokyo autour de lui puis essaie d’imaginer ce qui se passe à Mexico au même instant, “ce que peuvent faire ses voisins, sa famille, ses amis” (12). Mais Guillermo est bien distrait: accoudé au zinc d’un bar, il observe aussi cette jeune fille tatouée de l’autre côté de la vitre, Yûko, qui fait les cent pas, le portable collé à l’oreille depuis une vingtaine de minutes.

L’image de cette fille se mêle aux reflets du comptoir, avec les pans entiers de miroirs et les néons jaunes et roses qui se dessinent dans le gris du ciel, comme des peintures suspendues dans le vide. [. . .] Elle ne reste pas en place et elle semble exclusivement tournée vers ce qu’elle dit et entend, et si Guillermo en juge par cette façon qu’elle a de parler, elle défend, elle attaque, son agacement ressemble à des petits hoquets ou à des cris retenus, à peine lâchés, comme des bombes à fragmentation. Parfois, au contraire, ce sont des silences trop longs et des signes de refus obstinés.

(11)

Cette brève description donne le ton de ce roman long de trois cent soixante-dix pages, sans coupures et sans chapitres, qui noue lâchement plusieurs intrigues et fait défiler sous les yeux du lecteur diverses scènes situées aux Bahamas, à Dubaï, en Tanzanie, en Floride, à Rome, en Slovénie, en Thaïlande: fragmentation des images, superpositions d’impressions, Babel des langues, dialogues de sourds, déplacements et décalages. Une réflexion de Flaubert, présentée par l’écrivain en exergue, sert peut-être de fil conducteur à ce tableau quelque peu déconnecté et désenchanté de la globalisation en cours: “Il lui semblait que certains lieux sur la terre devaient produire du bonheur comme une plante particulière au sol et qui pousse mal tout autre part” (11). Il est clair que, pour Mauvignier, nous sommes revenus aujourd’hui des paradis tropicaux: l’exotisme de pacotille n’est plus de mise. Cependant la conscience contemporaine se rêve en quelque sorte délocalisée et simultanée, unanime, comme lors du tsunami survenu au large de l’île de Honshū le 11 mars 2011. De façon significative, le roman prend fin sur un renversement de perspective par rapport à son préambule: c’est maintenant Fumi, une jeune touriste japonaise en visite à Paris, qui observe le jeune homme qui travaille à la réception de son hôtel et qui sort pour aller poster le courrier.

Il connaît très bien Paris et se dit que lui aussi aimerait partir très loin, juste pour aller voir comment son cœur battrait—si ce serait le même rythme, avec la même confiance et la même légère appréhension face à la vie, ou s’il la verrait renouvelée, au contraire, et s’il la regarderait avec plus d’émerveillement, d’éblouissement [. . .]. Pour l’instant il entre dans le bureau de poste, il imagine les lettres et les colis par milliers, les gens qui circulent au même moment partout dans le monde. Il imagine les montagnes de sacs postaux et il pense à tous ces mots, par millions, qui s’écrivent, se [End Page 140] lisent, se froissent, s’oublient, s’ignorent, et à tous ces gens qui se frôlent et ne se rencontreront jamais.

(372)

Nys-Mazure, Colette. La Vie poétique, j’y crois. Paris: Bayard, 2015. isbn 9782227488199, 138 p.

Colette Nys-Mazure, grande dame des lettres belges, est membre de l’Académie catholique de France, créée en 2008. Son œuvre comprend une vingtaine de recueils de poèmes, une quinzaine d’essais, un roman, six recueils de nouvelles et deux recueils de pièces de théâtre. L’entrée en matière de son nouveau livre La Vie poétique, j’y crois est sans détour: “Je n’entrerai pas en poésie par la voie royale de la définition, ni par le ricanement feutré de l’ironie, ni par les citations les plus justes [. . .]. Je préfère prendre mon élan à partir de deux expériences concrètes et récentes: dans une chambre d’agonie, dans un atelier de maçonnerie. Ici, comme là, j’ai croisé, je le jure, la poésie en personne” (12). Le chapitre un, “À la vie, à la mort,” évoque la triste visite à un ami poète, en soins palliatifs dans un hôpital. “Je lui ai demandé s’il continuait à écrire mentalement des poèmes; il a opiné. J’en suis sortie bouleversée. La poésie jusque-là, jusqu’au terme” (14). Pour Nys-Mazure, il faut se souvenir de “cette espérance inextinguible du renouvellement qu’offrent la prière et la poésie” (28). Puis c’est une scène d’atelier de lecture et d’écriture avec des jeunes dans un hangar: “Émotions jaillissantes, trouvailles des mots” (17). Pour ces adolescents, certains venus parfois d’autres cultures, “la poésie balaie les préjugés” (18). Dès lors, qui oserait prétendre que la poésie est “un luxe en des temps de rentabilité, un langage énigmatique à l’époque de la langue formatée, une voix trop elliptique au milieu des discours complaisants, exhibitionnistes?” (18). La réflexion de Nys-Mazure se poursuit dans les dix courts chapitres suivants, réflexion émaillée de textes poétiques tirés de l’œuvre même de l’auteure. Le chapitre deux propose deux (auto)portraits de femmes particulièrement réussis: la rêveuse oubliée au jardin (23), qui évoque la force de la contemplation silencieuse, et la femme de soie sauvage (27), “rauque et luisante dans la rumeur du plaisir imminent” (27), tout en suggestions érotiques. Le chapitre trois, “Tant de correspondances,” traque la poésie dans ces formes d’expression que sont la musique, instrumentale ou orchestrale (Schubert, Mahler), sans négliger toutefois les simples chansonniers. Nys-Mazure explique:

Le dimanche 11 janvier 2015, au soir de la manifestation de millions de personnes contre toutes les formes de racisme et de terrorisme, la télévision a improvisé un hommage aux victimes en alliant témoignages, chansons, sketches. Lorsque Patrick Bruel et Catherine Ringer ont interprété Les Loups sont entrés dans Paris, la chanson plus actuelle que jamais de Serge Reggiani, j’ai mesuré l’impact de ce genre faussement mineur.

(38)

Pour la peinture, Nys-Mazure cite l’œuvre artistique bouleversante et dérangeante de Nikki de Saint-Phalle (58–59). Quant au cinéma, elle évoque Le Sel de la [End Page 141] terre (2014) de Wim Wenders, documentaire réalisé autour de l’œuvre engagée et de la vie du photographe brésilien Sebastião Salgado, ou encore Timbuktu (2014) d’Abderrahmane Sissako, un long métrage couronné par sept Césars qui émeut “par la beauté des paysages et des visages, le plaidoyer indirect en faveur d’une religion musulmane toute en intériorité et en justesse face à la folie fanatique des islamistes” (42). Plus que dans les volumes précédents, l’actualité politique pèse en effet sur l’esprit de l’auteure. Le chapitre six (“Les Grands Écarts”) et le chapitre sept (“Ténèbres et plénitudes”) reprennent la question posée par Albert Camus: l’artiste est-il solitaire ou solidaire? Pour trancher, Nys-Mazure cite l’écrivaine mauricienne Ananda Devi qui affirme que “dans la nuit, lire le mot ‘lumière’ est une lumière” (80). Nys-Mazure revient sur l’attentat de janvier 2015 contre Charlie Hebdo en citant l’un de ses propres poèmes: “Dans la nuit rauque / hurlent les riverains de la mort [. . .]” (94). Dans le dernier chapitre, “Poésie debout,” l’écrivaine redresse la tête: “La mort à l’horizon plus ou moins proche n’a rien d’un éteignoir, mais tout d’un appel à exister en plénitude” (98). Négliger la beauté de l’instant au nom de sa précarité, n’est-ce pas laisser échapper l’essence du monde pour son ombre? “Contre l’usage et l’usure,” explique Nys-Mazure, il faut “cultiver la vertu d’étonnement au sens fort lié au tonnerre, à l’ébranlement. Une émotion qui ne fait que croître avec l’âge, au fur et à mesure que, les activités se détachant de nous, nous sommes plus disponibles” (52).

Quignard, Pascal. Mourir de penser. Paris: Éditions Grasset & Fasquelle, 2014. isbn 9782246854975. 222 p.

On ne présente pas Pascal Quignard, l’un des auteurs majeurs de la scène intellectuelle et romanesque française contemporaine, ni l’entreprise du Dernier Royaume, une série de petits traités érudits et de courtes fictions commencée avec Les Ombres errantes en 2002 et dont Mourir de penser est le neuvième tome. “Penser n’est pas une fonction de l’esprit. C’est un sens du corps,” affirme l’auteur en quatrième de couverture. “À la vérité, il y a quatre sens de l’esprit. Rêver, lire, penser, méditer.” Ces quatre sens de l’esprit sont examinés tour à tour et mis à contribution dans ces pages toujours très denses où Quignard suggère en fait une autre façon de penser.

Un mode de penser qui n’a rien à voir avec la philosophie. Une façon de s’attacher à la lettre, à la fragmentation de la langue écrite, et d’avancer en décomposant les images des rêves, en désordonnant les formes verbales, en exhumant les textes sources. Ce livre explore trois choses. Comment la pensée et la mort se touchent. Comment la pensée est proche de la mélancolie. Comment la pensée s’abrite auprès du traumatisme. Celui qui pense “compense” un très vieil abandon.

(28)

Pour l’écrivain, ce qui fait le fond de la pensée, c’est la nostalgie du Jadis, la [End Page 142] hantise de la mère manquante, motif récurrent de l’œuvre. La voix acousmatique de la mère, perçue au cours de la vie intra-utérine, n’est-elle pas la première ébauche ou manifestation de la voix intérieure? On lira sur ce point les analyses du chapitre 23 qui évoque le chant de la Sirène et le fil d’Ariane (132–33), ainsi que le chapitre 24 qui porte sur ce que les psychanalystes nomment le “gardien narcissique” et les romanciers le “compagnon imaginaire” (138–39). Ce Jadis peut aussi prendre la forme d’une pensée primitive, animale, sauvage, pulsionnelle, prédatrice, réfractaire à la polis. Ainsi le chapitre 17 porte sur la “crise grecque” (100) et interroge: “Pourquoi la philosophie fut-elle le cul-de-sac propre à la pensée mythique en Occident?” (100). Pour Quignard, la philosophie grecque fut “une réaction à cette errance sauvage de la pensée, d’origine chamanique, qui rayonna à partir du lac Baïkal, qui franchit le détroit de Béring” (100) et “le vieux texte paléolithique se lit encore sous l’écriture neuve qui révolutionna quelques langues parlées dans l’Orient, à l’époque néolithique” (105). Il s’agit donc d’en retrouver les traces toujours actives. Quignard s’intéresse ici en particulier aux états-limites de la pensée, moments d’effondrement et de saisissement, de dépression et de sidération:

Par le mot extase, j’évoque tous les courts-circuits possibles de la pensée, aussi bien symboliques que désymbolisants, même dissociants, quelque difficiles qu’ils soient à qualifier au sein de l’exercice de penser. Les breakdowns, les crève-cœurs, les colères [. . .]. Ce sont les trous noirs sémantiques du monde intérieur. Tout se rompt d’un coup comme dans la dépression.

(45)

Au fil des pages de Mourir de penser, on croise donc quantité de figures modernes et de figures antiques rassemblées autour de la notion de “transe introversive,” (51) tels Lucrèce exalté découvrant l’œuvre grecque d’Épicure ou encore Jean-Jacques Rousseau soulevé par le sujet proposé par l’Académie de Dijon. Le chapitre 9 évoque l’effarement et le blocage mental de Thomas d’Aquin en décembre 1273 tandis que le chapitre 35 décrit l’étrange expérience de René Descartes en novembre 1619 dans son “poêle.” Le chapitre 20, “Biographie et Histoire,” interroge la conception antique du sujet pensant, l’articulation de la conscience à la psyché, le lien de l’âme et de l’esprit, à travers le daimôn grec puis le genius latin. Ce chapitre s’achève sur une longue méditation consacrée à Apulée, “dernier romancier à être accusé de thaumaturgie” (120). Plusieurs scènes contemporaines sont aussi présentées par Quignard: le chapitre 6 montre par exemple le savant Henri Poincaré saisi dans le train, en arrivant à Coutances, par une idée mathématique inouïe tandis que le chapitre 8 relate la mort foudroyante de Marcel Granet, le grand sinologue spécialiste de la Chine ancienne, au cours des journées troubles de l’Occupation. Quignard met enfin à contribution deux psychanalystes renommés, Bruno Bettelheim (218) et Serge Moscovici (206), qui affirment qu’“une des plus grandes chances que l’on puisse avoir dans sa vie est de ne pas avoir été heureux dans son enfance” (206). Le [End Page 143] chapitre 10 mentionne un troisième héritier de Freud, Sandor Ferenczi, qui maintenait vers la fin de sa vie que “la capacité de penser est liée à un événement traumatique infantile ayant frôlé la paralysie complète” (51), produisant comme “un cerveau en apnée,” d’où le “mouvement en rouleau, en révolution, en circonvolution, qui porte la pensée,” ce que reflète la forme même du texte quignardien.

Rolin, Jean. Les Événements. Paris: pol Éditeur, 2015. isbn 9782818021750. 208 p.

C’était un des petits plaisirs ménagés par la guerre, à sa périphérie, que de pouvoir emprunter le boulevard de Sébastopol pied au plancher, à contresens et sur toute sa longueur. En dépit de la vitesse élevée que je parvins à maintenir sans interruption, entre les parages de la gare de l’Est et la place du Châtelet, j’entendais éclater sous mes pneus tous les menus débris que les combats avaient éparpillés.

(7)

Dès la première page des Événements, Jean Rolin nous plonge au cœur d’une guerre civile dans un décor familier, Paris. Le narrateur quitte la capitale dans une voiture passablement déglinguée et roule plein sud vers Marseille en empruntant des chemins de traverse, pour éviter les combats. Rien n’est dit sur la nature ou les causes exactes du conflit: le lecteur est plongé in medias res et le texte propose seulement une sorte de journal de voyage à travers une zone de guerre. Au fil des pages défilent ponts détruits à la dynamite, villes et villages désertés, check-points tenus par des milices, exécutions sommaires. Partout sévissent les contrôles d’identité, les coupures d’électricité, la pénurie d’alcool, de cigarettes, d’essence. Pendant quelques jours, le narrateur est hébergé par les troupes envoyées par la finuf, la Force d’interposition des Nations unies en France. Le personnel s’y compose pour l’essentiel de militaires ghanéens et finlandais, “originaires de deux pays aussi peu suspects l’un que l’autre de parti pris” (20). Face à ces soldats impuissants, dont le mandat est trop étroitement défini, s’affrontent des bandes paramilitaires puissantes et organisées, comme celle des Unitaires, désignés comme les “Zuzus,” qui mènent la vie dure aux partisans du Hezb, “le parti islamiste dit ‘modéré’” (47). Ici et là le narrateur croise aussi des volontaires d’ong plus ou moins manipulées par les forces en présence, des reporters de cnn et de la bbc, ainsi que des journalistes dépêchés par des chaînes qataries. Des fugitifs et des réfugiés sont massés çà et là sous des tentes de fortune, dans les jardins publics, pêle-mêle avec des dissidents et des espions. Toutes sortes de malfrats associés à des mafias se désignent eux-mêmes comme des combattants pour couvrir leurs petits trafics. À un moment, une idylle bizarre se noue au cœur du chaos: le narrateur retrouve une jeune femme, Victoria, qu’il avait connue autrefois et qui lui annonce qu’elle a eu un fils de lui. Ils font donc un bout de route ensemble. Mais il semble que la compagne du narrateur joue un double jeu. “Revenue de captivité lestée de sommes importantes, dont l’origine n’était pas moins mystérieuse que celle des armes de fabrication biélorusse, [End Page 144] Victoria avait été mise en relation avec des fonctionnaires corrompus qui lui avaient indiqué la marche à suivre pour embarquer discrètement sur un navire à destination des Baléares [. . .]” (191). Parvenus à Marseille, les deux personnages cherchent à s’embarquer discrètement. Leur projet est retardé par les combats qui opposent un dernier bastion de militants communistes à des djihadistes “accourus d’un peu partout dans le monde et connus sous le nom d’aqbri (Al Qaïda dans les Bouches-du-Rhône islamiques)” (136). Grand reporter pour Libération, Le Figaro, L’Événement du Jeudi et Géo, Rolin a fréquenté de nombreuses zones de conflits à travers le monde: il les évoque ici à travers une multitude de petits détails qui sonnent vrai. Comme pour le conflit yougoslave, Rolin détaille dans Les Événements la cessation de toute activité économique, la destruction des infrastructures, la sécession des régions de périphérie, le démantèlement de l’appareil d’État. Comme Houellebecq dans Soumission (Paris: Flammarion, 2015. isbn 9782081354807, 320 p.), Jean Rolin semble prophétiser une guerre civile en France dans un proche avenir, selon des lignes de fracture religieuses. Mais, ce faisant, il questionne un présent désenchanté, délesté de toute utopie positive et tenté par les extrémismes.

Salazar-Ferrer, Olivier. Les Possessions transparentes. Clichy: Éditions de Corlevour, 2014. isbn 9782915831931, 120 p.

Olivier Salazar-Ferrer est un spécialiste reconnu de l’œuvre de Benjamin Fondane, ainsi que des tendances de la phénoménologie française contemporaine (notamment les recherches de Michel Henry et de Jean-Luc Marion). Poète, Salazar-Ferrer a publié en 2006 un recueil, La Roulotte peinte, aux éditions In Limine. Les Possessions transparentes, son second roman, est un roman philosophique—ce qui ne veut pas dire qu’il s’agisse d’un roman à thèse, ni que ce texte soit dénué d’humour. Qu’on en juge plutôt: le narrateur est un universitaire de renom, qui ressemble comme un frère à l’auteur lui-même et qui se trouve bloqué à cause d’importantes chutes de neige dans le train d’Avignon à Chambéry où il doit faire une communication sur les écrivains voyageurs. Arrivé tant bien que mal à Chambéry, le narrateur doit encore prendre son mal en patience: le colloque est différé de plusieurs jours à cause des intempéries. “Une ville enneigée se rapproche du rêve” (51), observe le narrateur. “Avec la désaffection des lieux après dix heures du soir, nous obtenions un véritable décor peint par De Chirico” (75). Cette référence au peintre surréaliste et métaphysique italien n’est nullement gratuite, car le récit évolue fréquemment entre le récit de rêve et la spéculation transcendante. Il est évident que le retard, le ralenti et le piétinement nuisent à l’expérience du mouvement, du voyage et du divers, mais ils permettent d’aiguiser la réflexion. C’est pourquoi, au fil des pages (notamment 15, 22, 33, 36, 43, 53–54, 72–73, 86, 108), la communication que prépare le narrateur se précise, se développe et se transforme en suivant, comme dans un voyage, des pistes imprévues. “Le plan de mon allocution s’était disloqué pour faire place à de longs [End Page 145] passages marqués de points d’interrogation, que des flèches reliaient à des fragments épars” (15). Par ce biais, Salazar-Ferrer offre une véritable anthologie de la pensée du voyage au lecteur: outre L’Odyssée, il évoque le voyage d’Orphée aux Enfers, celui de Dante guidé par Virgile, ainsi que les pérégrinations de Bashô, Casanova, Rousseau et Thoreau, Melville, Rimbaud, Segalen, Cendrars, Bouvier, sans oublier deux autres poètes suisses, Maurice Chappaz (11) et Gustave Roud (66). Mais c’est la vie de Rousseau qui domine Les Possessions transparentes, non seulement à cause de la proximité géographique de Chambéry, d’Annecy et de Genève, lieux privilégiés des Confessions et des Rêveries, mais aussi parce que son œuvre correspond exactement à cette “poétique du texte incarné dans un corps” (15) que cherchent à définir le conférencier (et l’auteur). Un second fil conducteur, tout aussi philosophique, court dans le récit: il s’agit de la question de la répétition ou de la reprise kierkegaardienne, gjentagelse pouvant signifier simultanément ces deux notions en danois. “Tout voyage était peut-être une métaphore de notre vie? N’était-il pas constitué d’une longue série de reprises qui s’efforçaient de réveiller ses puissances inaccomplies?” (86). Pour le narrateur, la répétition n’est pas le simple ressouvenir bloqué sur le passé mais le processus d’une conversion, d’une métamorphose du singulier à l’universel, bref d’une transformation du voyageur en poète. “Finalement le voyage du Divers dont je comptais parler devait être une ascèse. Le voyageur devait rejeter derrière lui l’échafaudage de certitudes, de repères fixes, [. . .] pour devenir un personnage métaphysique,” (86) tel Orphée tentant de reprendre Eurydice aux enfers. À partir du chapitre dix, le récit porte sur le colloque lui-même, sur les participants immobilisés dans l’hôtel et totalement exaspérés. Certains d’entre eux prennent un relief particulier, notamment le docteur Arenberg, phénoménologue juif américain, s’opposant à la déconstruction derridienne; Mlle Kyoubou, une pseudo-Japonaise éduquée aux États-Unis, détestable bas-bleu féministe et moralisateur; le professeur Ferguson, esprit rationaliste et ironique; une jeune poétesse slovène nommée Tajna et une vieille dame anonyme, spécialiste du taoïsme, qui semble seule faire contrepoids à Mlle Kyoubou; enfin deux doctorants français et anglais, Frédéric Berlioz et Graham Barker. Comme dans une pièce de théâtre en huis clos, c’est l’apparition inopinée d’un couple étrange, le poète aveugle Umberto Baldi et sa fille Clara, inversant symboliquement le couple Orphée/Eurydice, qui focalise l’hostilité et qui déclenche le psychodrame. Quant au narrateur, à la veille de donner sa communication, il prend la poudre d’escampette pour Chamonix, espérant y retrouver la belle Clara dont il est tombé amoureux. Sans succès, mais sans regrets non plus. Songeant au colloque d’où il s’est échappé, le narrateur observe plaisamment: “J’ai éprouvé le sentiment d’une immense libération: je m’étais enfin complètement exprimé!” (117). [End Page 146]

Ouvrages critiques

Bouvet, Rachel. Vers une approche géopoétique: Lectures de Kenneth White, Victor Segalen et J.-M. G. Le Clézio. Québec: pu du Québec, 2015. isbn 9782760542655. 286 p.

Originaire de Bretagne et enseignante au Québec, Rachel Bouvet a publié Pages de sable: Essai sur l’imaginaire du désert en 2006. Cet essai examinait des récits de voyage, des nouvelles et des romans ayant pour cadre le Sahara et couvrant une période d’un siècle et demi environ, notamment Un Été dans le Sahara d’Eugène Fromentin, Le Désert de Pierre Loti, Écrits sur le sable d’Isabelle Eberhardt, Un Thé au Sahara de Paul Bowles, Désert de J.-M. G. Le Clézio, Les Marches de sable d’Andrée Chedid, Hypatie ou la fin des dieux de Jean Marcel, Les Hommes qui marchent et Le Siècle des sauterelles de Malika Mokeddem. C’est à un autre parcours géopoétique—un parcours océanique—que Rachel Bouvet nous convie aujourd’hui dans le sillage de trois écrivains-voyageurs, Segalen, Le Clézio et Kenneth White. “À l’orée de ce livre, j’aimerais évoquer un paysage, celui de l’océan tel qu’on peut l’observer le long des côtes bretonnes sculptées par l’eau et le vent” (13), souligne la critique.

Si ce paysage fondateur me procure un sentiment d’être au monde d’une telle intensité, c’est sans doute parce que mon ancrage y est très profond. Mais qui dit ancrage annonce en même temps le départ, le voyage. C’est tout le contraire d’un enracinement, d’une fixation de l’identité dans un territoire. [. . .] Après plusieurs années de recherches, je me suis aperçue que ces trois écrivains avaient en commun non pas un paysage de prédilection mais un ancrage, celui de la Bretagne. Cependant leur lien à cette presqu’île se décline de différentes façons [. . .]. Ce qui m’intéresse, c’est de réfléchir à la dimension géographique de l’écriture.

(13–14)

Vers une approche géopoétique propose un voyage en trois escales pour aborder les trois “mondes” (ou plutôt: les trois façons d’habiter le monde et l’espace) de ces trois auteurs. La première escale, qui porte sur l’œuvre poétique et théorique de Kenneth White, sert de cadre conceptuel et présente plusieurs outils d’analyse, tel “l’écounème” (18), pour les deux escales qui vont suivre. Bouvet rappelle ici que c’est en 1978, au cours d’un voyage au Labrador, que le mot de “géopoétique” est venu sous la plume de Kenneth White, auteur écossais de langue française. Dans le sillage de Gilles Deleuze, White cherchait alors, loin de la poésie du terroir, à sonder et à arpenter un espace poétique déterritorialisé où le nomadisme intellectuel romprait tout carcan idéologique. Nommé à la chaire de poétique du vingtième siècle à la Sorbonne dès la fin des années 1980, White y dirigea plusieurs séminaires de recherche sur des auteurs anglais, français et américains du voyage et de l’espace, tels Whitman, Thoreau, Rimbaud, Antonin Artaud ou encore Henri Michaux. Dans sa seconde escale, Bouvet aborde l’œuvre de Segalen auquel Kenneth White a consacré [End Page 147] plusieurs ouvrages et “sur lequel il revient de manière récurrente” (19). Elle y examine successivement le “choc du Divers” (102) dans Peintures, le “dehors savoureux” (108) dans Équipée, la “spatialité troublée” (122) et le “centre inaccessible” (127) dans Simon Leys, le choc des civilisations, entre “décentrement et déstabilisation” (139) dans Les Immémoriaux. Puis un chapitre de transition examine “les figures de la mer” (152) chez Segalen et Le Clézio (152–68), articulant “le brassage culturel, les vagues et la fluidité” (162). Dans sa troisième escale, Bouvet passe en revue dans plusieurs romans et récits de voyage lecléziens “le point d’ancrage du paysage” (182), la problématique de “la ligne, du parcours et de la frontière” (185), “l’espace aquatique et les lieux de précarité” (221), la dialectique de “l’altérité et la spatialité” (200), “l’expérience de l’immensité et l’exiguïté du récit” (200). Complétant l’étude de Catherine Chauche, Langue et Monde. Grammaire géopoétique du paysage contemporain (Paris, L’Harmattan, 2004), l’essai de Rachel Bouvet conjugue la lecture sensible des paysages romanesques à la traversée attentive des cultures.

Gefen, Alexandre. Inventer une vie: La Fabrique littéraire de l’individu. Bruxelles: Les Impressions nouvelles, 2015. isbn 9782874492471, 304 p.

Créateur du site internet Fabula et chercheur associé au cnrs, Alexandre Gefen s’est signalé par ses recherches sur la littérature française contemporaine, en particulier sur la théorie de la mimesis et sur la théorie des émotions. Grand spécialiste de Marcel Schwob dont il a édité les Œuvres pour Les Belles Lettres en 2002, Gefen examine le genre de la “biofiction” ou fiction biographique dans Vies imaginaires, de Plutarque à Michon (Paris: Gallimard, 2014, isbn 9782070301263, 592 p.). Cette épaisse anthologie critique présente, outre les nouvelles de Marcel Schwob, des textes fondateurs comme la Vie de Rancé de Chateaubriand, Louis Lambert de Balzac ou encore Bouvard et Pécuchet de Flaubert, mais aussi de nombreux textes contemporains de Pierre Michon, Patrick Modiano, Pascal Quignard, Gérard Macé, Jean Echenoz, Jacques Roubaud, Patrick Mauriès, Jean Rouaud, Antoine Volodine, Éric Chevillard, Emmanuel Carrère et Patrick Deville. Inventer une vie: La Fabrique littéraire de l’individu, qui vient de paraître, accompagne cette magnifique anthologie et prolonge la réflexion en lui donnant un cadre théorique rigoureux articulé en trente-trois chapitres. “Vie: encore archaïque à l’époque du structuralisme, ce nom de genre symbolise à lui seul le renouveau de la littérature française contemporaine depuis la fin du vingtième siècle” (7), affirme Gefen en guise de préambule. Il oppose à ce genre littéraire les “biopics” si populaires au cinéma, ainsi que la manie des tombeaux, des nécrologies, des “panthéonisations” des grands hommes, où l’on se laisse “gouverner par les morts” (7) et où “l’on construit le devenir par la quête de l’antérieur” (7). En effet, le personnage central des biofictions contemporaines est souvent “un modèle idéel de la non-idéalité” (9). Aux vies d’hommes illustres ou exemplaires, les écrivains préfèrent souvent les vies minuscules, “les vies de gueux” [End Page 148] (8), les vies marginales ou singulières. De plus, c’est par le biais de la fiction que la (pseudo)biographie renouvèle un genre obsolète. Certes on peut toujours théoriquement distinguer les personnages-types inventés par un auteur (par exemple Louis Lambert chez Balzac) et les hommes réels, passés à la postérité, dont s’inspirent les écrivains (par exemple Ravel chez Echenoz): mais le brouillage des catégories est évident dans la mise en récit de leurs vies. C’est “un genre hybride ou indécidable” (9) que revendiquent les écrivains d’aujourd’hui. Écrire une vie imaginaire est pour eux une sorte de “putsch référentiel” (9) pour rompre avec un formalisme éculé tout en intégrant ses leçons. Il s’agit d’une part d’inventer ou de construire l’individu comme exception:

Les vies entées sur des existences historiques cherchent peut-être à s’introduire dans l’ordinaire de la singularité ou à pénétrer dans le mystère de destins décrétés exceptionnels, qu’il s’agisse de relire avec matérialisme les vies de grands hommes ou de produire des vies “d’hommes infâmes” pour employer cette formule de Michel Foucault si souvent illustrée par les auteurs de fiction biographique.

(9)

Il s’agit d’autre part de “faire du récit d’une vie humaine non un savoir, mais l’occasion d’un jeu littéraire, d’une rêverie ou d’une méditation” (33) et de “sortir de l’illusion de la première personne et du fantasme de l’intériorité pour trouver un asile identitaire, si ce n’est un salut, dans la mémoire d’autrui” (540). Chateaubriand n’affirmait-il pas dans Mémoires d’outre-tombe que “[. . .] chaque homme renferme en soi un monde à part?” Arthur Rimbaud lui réplique dans Une Saison en enfer “qu’à chaque être, plusieurs autres vies me semblaient dues.”

Jauer, Annick, et Karine Germoni. La Pensée ininterrompue du Mexique dans l’œuvre de Le Clézio. Aix, Marseille: pu de Provence, 2014. isbn 9782853999496. 122 p.

Comme son titre l’indique, ce petit volume rassemble plusieurs essais critiques qui interrogent la relation de l’écrivain au Mexique, pays où il a longtemps vécu et qui sert de décor à plusieurs de ses récits. Prolongeant certaines observations de François Laplantine, les essais rassemblés ici examinent l’idéalisation de la culture aztèque, amérindienne ou mexicaine chez l’auteur de Cœur brûle. Orphée Gore montre que le Mexique leclézien est à la fois “la route de l’imaginaire” (37), la voie royale d’un rêve immémorial, le terreau de la pensée primitive magique, mais aussi et surtout un espace de “re-présentation” (42), qui délimite en fait l’espace d’un “conflit interculturel” (48) et d’un “choc des civilisations?” (49). Si Nicolas Pien insiste sur la leçon mexicaine (amérindienne) pour le jeune écrivain des années 1970 (“Comprendre le temps pour s’y insérer”), Dominique Lanni examine en revanche la mise en scène des soubresauts de l’Histoire à partir du Rêve mexicain, notamment dans [End Page 149] Révolutions et dans Ourania. Deux essais d’Isabelle Roussel-Gillet et de Bernadette Rey Mimozo-Ruiz interrogent la vision des arts (ou des artisanats) mexicains chez Le Clézio, notamment à la lumière d’une exposition organisée par l’écrivain-voyageur au Louvre en 2011. Un dernier essai porte sur la “fiction biographique” (101) de Diego et Frida, en insistant sur le jeu du masculin et du féminin dans le processus de création, qui s’ajoute au métissage culturel propre au Mexique. Mentionnons ici la publication de J.-M. G. Le Clézio et les défis de l’interculturel, un volume de dix articles rassemblés par Martine Antle, Roger Célestin et Eliane DalMolin pour la revue Contemporary French & Francophone Studies (19–2, mars 2015), (issn 17409292). Ce volume s’ouvre par un entretien avec Le Clézio (“Why Interculturality?” 128–39) et un texte inédit de l’auteur (“Some Candid Thoughts on the Inter-cultural” 140–45). Ils sont suivis de plusieurs essais qui interrogent la dimension politique de la notion d’interculturalité dans le cadre de la globalisation (Jean-Xavier Ridon, Marilia Marchetti, Jacqueline Dutton). Il est clair que Le Clézio hausse le ton pour condamner les injustices sociales, les discriminations et les extrémismes de tout poil qui se développent dans les pays riches ou pauvres. Le romancier, citoyen du monde, rappelle le statut précaire et la situation alarmante des migrants, de Poisson d’or (1997) à “Barsa, ou barsaq” (2011) et “Une femme sans identité” (2014). D’autres essais portent sur la dimension poétique de l’interculturel et son rapport avec l’esthétique du métissage, de la créolité ou du “paracolonial” (215) (Dominique Fisher, Oana Panaïté). D’autres encore s’interrogent sur d’éventuels liens entre l’interculturel et la pensée écologique (Annette Sampson-Nicolas). Signalons pour finir la publication des volumes 7 et 8 des Cahiers Le Clézio. Le numéro 7 intitulé “Le Goût des langues, les langues à l’œuvre,” préparé par Adina Balint-Babos et Isa Van Acker, rassemble huit essais critiques sur la polyphonie du langage et le dialogue des cultures dans l’œuvre de Le Clézio, sur son propre travail de traducteur (par exemple ses traductions des codex sacrés précolombiens ou des sirandanes mauriciennes). Il présente aussi plusieurs témoignages de traducteurs de l’œuvre romanesque leclézienne (en afrikaans, en allemand, en suédois, en japonais, en coréen, en chinois) qui détaillent ses défis stylistiques et sa réception à travers le monde. Un long entretien inédit avec l’écrivain accompagne ces études, ainsi qu’un cahier de création avec des contributions poétiques de Rita Mestokosho et Lise Gaboury-Diallo, écrivaines canadiennes. Le numéro 8, préparé par les soins de Bronwen Martin et Olivier Salazar-Ferrer, est consacré aux influences philosophiques dans l’œuvre de J.-M. G. Le Clézio. Dans leur avant-propos, les deux responsables du numéro notent que “Le Clézio manifeste souvent une réticence à l’égard du système philosophique, souvent accusé de générer une réflexivité vide et une vigilance critique illusoire” (5). Ses romans configurent les grandes questions existentielles de la quête de l’origine, de l’identité, de la métamorphose et de la renaissance, tout “en évitant soigneusement la forme spéculative” (5). Cependant ce volume emprunte quatre pistes philosophiques stimulantes: l’influence de la pensée grecque présocratique, puis plotinienne; l’influence [End Page 150] des sagesses orientales (du taoïsme au soufisme); la pensée de la “crise moderne” (du rousseauisme à l’existentialisme, en passant par la phénoménologie du corps développée par Merleau-Pontydans Le Visible et l’invisible); enfin la pensée postcoloniale. Les essais critiques de ce numéro sont accompagnés de deux entretiens inédits avec l’auteur, l’un sur la pensée grecque, l’autre sur la sagesse orientale, avec un cahier de créations poétiques signé par Colette Nys-Mazure et Raymond Farina.

Leroy, Claude. Dans l’atelier de Cendrars. Paris: Honoré Champion Éditeur, 2014. isbn 9782745327765, 270 p.

S’agissant de Blaise Cendrars, grand voyageur devant l’Éternel, on ne retient souvent que Prose du Transsibérien (1913) et Les Pâques à New York (1919), voire Moravagine (1926) ou Les Confessions de Dan Yack (1929), c’est-à-dire les grands textes de la période moderniste. C’est oublier des pans entiers de son œuvre et certains chefs-d’œuvre publiés après la Seconde Guerre mondiale, notamment L’Homme foudroyé (1945), La Main coupée (1946), Bourlinguer (1948) ou encore Le Lotissement du ciel (1949). La publication récente des œuvres autobiographiques complètes de Cendrars dans la prestigieuse collection de la Pléiade, sous la houlette de Claude Leroy, permet de remédier à cette lacune. Dans l’atelier de Cendrars, un essai critique très dense qui a reçu le grand prix de la critique de l’Académie française, permet de revisiter cette œuvre, de mieux cerner les hantises de l’écrivain et d’entrer dans le processus même de son écriture. Comme le souligne Claude Leroy, si certains auteurs s’élèvent des cathédrales, Cendrars édifie un labyrinthe qui est souvent déconcertant pour la critique. La légende et le pseudonyme lui ont longtemps permis d’échapper à toute tradition et à toute filiation. En fait, chez Cendrars, l’écriture de soi relève moins du pacte autobiographique que de ce que Claude Louis-Combet appelle la “mythobiographie” (119), c’est-à-dire un espace imaginaire où le vécu lui-même intègre des éléments oniriques et mythologiques. Le chapitre 7, intitulé “Tapisserie du mythe” (117–29) est à cet égard très éclairant: Claude Leroy y détaille la métamorphose d’un Cendrars-Prométhée moderniste en une nouvelle figure inspirée, celle d’Orion, “nouveau venu dans la galerie des ancêtres que se compose le poète.” (119) Chez Cendrars figurent aussi en première ligne tous ceux que pousse comme une idée fixe le désir de commencer ou de recommencer: “les pionniers, les émigrants, les grands navigateurs, les conquistadors, les descobridores, les évadés, les défricheurs, les affranchis, les inventeurs [. . .], ceux qui toujours lâcheront la proie pour l’ombre, les têtes brûlées par l’appel de l’aventure” (7). C’est pourquoi les critiques se sont longtemps détournés de l’œuvre cendrarsienne: ils lui préféraient des écrivains de cabinet, aux manières plus policées: Mallarmé, Valéry ou Ponge. Ou bien les poètes excentriques liés au surréalisme: Breton, Char, Michaux, Artaud. Il est clair que la personnalité tonitruante de Cendrars, son goût de l’action, son mépris du milieu [End Page 151] parisien, son “personnage d’aventurier grande gueule et haut en couleurs qui faisait tout pour ne pas avoir l’air d’un poète” (9), lui ont valu un certain oubli. Cinquante ans après sa mort, on prend aujourd’hui conscience que “de berceuse en blessure, de braise en Brésil, de cendre en Cent-dards, et de Sans-bras en Cent-Bras” (270), Cendrars est l’inventeur d’une œuvre capitale, polymorphe, inclassable, signée d’une main coupée au vif. [End Page 152]

Bruno Thibault
University of Delaware

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