University of Nebraska Press
Reviewed by:
Chapman, Rosemary. What is Québécois Literature? Liverpool: Liverpool UP, 2013. isbn 9781846319730. 292p.

Dans What is Québécois Literature? Rosemary Chapman pose la question “qu’est-ce que la littérature québécoise” à la manière d’une statisticienne qui se propose d’étudier les travaux produits par d’autres ayant œuvré dans ce domaine. Par conséquent, il s’agit non d’une histoire de la littérature québécoise à proprement parler, mais d’un examen d’approches, de publications et de documents produits par un certain nombre d’auteurs québécois qui se sont intéressés à la question à partir du dix-neuvième siècle, afin d’exposer comment ils ont esquissé le profil de la littérature du Québec. L’étude qu’en fait Rosemary Chapman repose sur l’analyse d’un corpus de onze histoires littéraires publiées entre 1907 et 2011, sept anthologies littéraires publiées entre 1901 et 2007, ainsi que sur un examen des programmes d’enseignement de la littérature au niveau secondaire au Québec, allant du Collège classique au début du vingtième siècle jusqu’au cegep à l’époque actuelle. L’auteure interroge ce corpus afin d’appréhender la manière dont s’est constituée la littérature québécoise au cours du vingtième siècle. Elle en souligne les variantes, tributaires des différents découpages historiques ainsi que des choix opérés par les auteurs du corpus qu’elle examine. Elle en conclut que la littérature québécoise—comme cela est le cas des littératures issues de contextes coloniaux—constitue un champ ouvert dont le choix de textes consacrés varie à travers le temps avec le changement des perspectives historiques ou politiques.

L’introduction comprend quelques descriptions d’approches et de formats généralement employés pour écrire l’histoire littéraire; l’auteure considère ensuite la situation particulière du Canada dont l’histoire littéraire rejoint celles d’autres sociétés [End Page 180] fondées par des colonisateurs-envahisseurs d’origine européenne tout en faisant ressortir la situation unique des Québécois, à la fois colonisateurs et colonisés. Puis elle signale la relation particulière du Québec et de la France, ainsi que celle du Québec et des Premières Nations, d’abord colonisées par la France, ensuite par l’Angleterre, et finalement marginalisées au sein du Québec contemporain. L’introduction se termine sur quelques considérations à propos du rôle déterminant joué par l’Église, l’édition et les prix littéraires pour ce qui concerne l’évolution de la littérature au Québec. Elle est suivie d’une chronologie de dix-huit pages d’événements littéraires et historiques ayant un lien—parfois ténu—avec la littérature québécoise que l’auteure place dans le cadre de la colonisation, du peuplement et du contact entre les Québécois et les autres peuples. Les dates choisies pour établir ce large éventail concernent non seulement l’histoire du Québec, mais aussi celle du Canada, à partir de 11000 av. J.-C. (hommes des cavernes “Bluefish” du Territoire du Yukon) jusqu’en 2012 (Publication du Dictionnaire des œuvres littéraires de l’Acadie des Maritimes du vingtième siècle).2

Le premier chapitre est consacré aux différentes configurations des histoires littéraires du corpus à travers le temps en tenant compte de l’évolution de la littérature, de la nation, du lectorat, et du découpage historique que privilégient les auteurs considérés. À travers un examen de la signification des titres des histoires littéraires du corpus, Chapman explique que le pan-canadianisme qu’exprimaient les titres des deux volumes publiés au dix-neuvième siècle et que traduit l’emploi des termes “littérature canadienne,” se voit remplacé au vingtième siècle par des titres soulignant l’aspect francophone de cette littérature. La désignation “Littérature canadienne-française” suggère également que le corpus littéraire est non seulement mieux défini mais aussi de plus en plus stable. Cette notion sera encore renforcée après 1960, lorsque la désignation “littérature canadienne-française” sera remplacée par “littérature québécoise,” reflet du projet national de la Révolution Tranquille. Chapman note que cette dernière évolution est toutefois absente des titres des histoires littéraires écrites par des auteurs non-québécois qui s’adressent à un public hors du Québec. Le reste du chapitre se focalise sur les variantes de l’étendue temporelle que privilégie chacune des histoires du corpus, ainsi que sur le découpage historique employé par l’auteure, choix souvent problématique pour une société ayant été colonisée et, par conséquent, privée d’autonomie par le passé. L’auteure interroge la représentation des étapes temporelles des volumes examinés dont la visée est principalement pédagogique. Elle note qu’il existe une très grande variation entre les moments du passé littéraire que les auteurs privilégient, ainsi que dans la manière dont la littérature est présentée et analysée. Par exemple Sœur Marie-Elyse, sa3—unique auteur féminin parmi les auteurs retenus–érige une nouvelle borne [End Page 181] historique en faisant remonter à la “découverte du pays” de 1534 son Précis d’histoire littéraire: littérature canadienne-française (1928), alors que le volume faisant autorité jusque-là, Tableau d’histoire de la littérature canadienne-française de Monseigneur Camille Roy (1907), faisait abstraction de la période coloniale française. Par la suite, la littérature de la Nouvelle-France fera partie de toutes les histoires littéraires, mis à part celles de Gérard Tougas Histoire de la littérature canadienne-française, et de Maurice Lemire La Vie littéraire au Québec, 6 volumes (1991–2010), dont le point de départ est la conquête de 1764. L’auteure en conclut que l’absence de consensus sur les éléments constitutifs de l’histoire littéraire du Québec est révélatrice de son instabilité foncière qui conduit à une perpétuelle remise en question, se traduisant par des remaniements conformes à la version de l’histoire adoptée par l’auteur en question. Chapman attribue cette instabilité à plusieurs facteurs tels la faillite de la rébellion des Patriotes de 1837, la focalisation sur la langue et la religion plutôt que sur un développement national réel, la naissance et la croissance de la francophonie et de l’écriture migrante, la marginalisation des cultures indigènes et la mondialisation. Ce chapitre contient quatorze tableaux, soit un par œuvre, qui récapitulent le découpage historique adopté, et pour finir, un tableau comparatif du découpage historique de l’ensemble du corpus, de 1907 à 2007, illustration on ne peut plus claire de l’absence de consensus en ce qui concerne les étapes majeures de l’évolution de la littérature du Québec.

Le deuxième chapitre se penche sur l’évolution de l’enseignement de la littérature québécoise dans les programmes scolaires, compliquée au départ par la situation particulière du Québec, ancienne colonie de peuplement, périphérie lointaine de la métropole française, puis après 1760, conquise par la métropole britannique. L’auteure, s’inspirant de plusieurs spécialistes de la question de l’enseignement (Serge Gagnon, Claude Galarneau, Normand Renaud, etc.) souligne la flagrante sous-scolarisation de la population de la province, longtemps source de main d’œuvre bon marché, alors que l’enseignement des collèges classiques était réservé à une infime minorité d’hommes destinés aux professions libérales. Fondés sur le modèle jésuite des humanités classiques, les collèges dispensaient des concepts littéraires universels illustrant la beauté, la raison et la moralité à travers les Belles-Lettres que devait chercher à imiter l’apprenant, et imposaient ainsi des normes européennes qui valorisaient la conformité et l’acceptation de l’autorité hiérarchique. L’auteure évoque l’évolution mise progressivement en marche entre 1900 et 1960 qui a permis à l’enseignement au Québec—sans s’éloigner de l’autoritarisme ni du conformisme,—de s’ouvrir aux femmes ainsi que d’adopter des méthodes d’enseignement de la littérature inspirées des pratiques en vogue en France, conséquence de l’arrivée d’enseignants religieux français suite à la séparation de l’État et l’Église en 1905. Cette période voit aussi un accroissement timide de l’enseignement de la littérature francophone canadienne. Chapman souligne ensuite à juste titre l’impact déterminant du Rapport de la Commission Parent (1963–1965) pour la modernisation [End Page 182] de l’enseignement de la littérature, notant que ces changements s’inspirent toutefois de méthodes ayant cours en France, malgré le fait que la littérature québécoise s’impose désormais comme objet d’enseignement. Démocratisés et modernisés, les programmes ne privilégient plus l’histoire littéraire à proprement parler, mais cèdent la place à l’examen d’œuvres littéraires elles-mêmes, placées dans leur contexte historique et socioculturel. Chapman souligne que, contrairement aux programmes des autres régions productrices de littérature francophone au Canada, les programmes des cegep québécois reflètent une identité culturelle positive qui met à égalité l’étude de textes français et québécois, caractéristique qui distingue également l’Épreuve uniforme du français, obligatoire pour l’obtention du Diplôme d’études collégiales. L’auteure arrive à la conclusion que la construction de l’identité continue d’occuper une place centrale, même au sein des réformes récentes des programmes au Québec, considération absente dans les programmes des provinces où l’identité collective francophone est plus fragile, telles le Nouveau Brunswick ou l’Ontario.

Le troisième chapitre approfondit l’exploration des histoires littéraires du Québec en examinant le contenu de sept anthologies littéraires afin d’en apprécier le rôle dans la constitution d’un corpus littéraire proprement québécois, la formulation d’une identité collective, et la place accordée aux auteurs franco-québécois ainsi qu’aux écrivains autochtones d’expression française. Avant d’entrer dans le vif du sujet, Chapman s’intéresse aux manuels et livres de lectures employés depuis 1800, en se servant des travaux de Paul Aubin, Gérard Filteau, Micheline Cambron et Monique Lebrun dont elle résume certaines des statistiques à l’aide de trois tableaux individuels. À la suite de Filteau,4 elle avance que les manuels manifestent une évolution qui passe d’un “colonialisme pédagogique” à une pédagogie proprement “nationale.” Avec Micheline Cambron,5 Chapman précise que dès le dix-neuvième siècle, la littérature québécoise était bien représentée dans les manuels des écoles publiques primaires, étant sans doute considérée comme mieux adaptée au peuple, alors que dans les collèges classiques destinés à l’élite, les manuels étaient exclusivement centrés sur la littérature française. Elle souligne le rôle du Rapport de la commission Parent et la création des cegep dans la transformation des manuels, au contenu désormais majoritairement québécois et contemporain. L’analyse détaillée des anthologies débute avec Lecture à voix haute (1900) et Lectures littéraires et scientifiques (1921), démontrant une nette différence entre les textes destinés aux garçons et aux filles. S’adressant aux jeunes filles, les textes du premier volume prônent des vertus comme la soumission, la pratique du catholicisme, les devoirs [End Page 183] de la “bonne ménagère” et le respect de l’autorité; d’autres textes, emplis de nostalgie du passé, glorifient la survivance et le destin messianique du peuple canadien-français. Si un même respect du passé se retrouve dans les textes de la seconde anthologie, Chapman souligne que ces autres textes mettent en valeur la place qui revient aux hommes dans le monde qui se modernise et s’industrialise grâce à la science. L’auteure relève ensuite la nature contradictoire de l’orientation des textes car, en dépit du nationalisme canadien-français de certains, d’autres transmettent une vision positive de l’Empire britannique, flottement qui souligne la nature complexe de la construction d’une littérature autonome nationale ou postcoloniale. Si—comme ces dernières—certaines anthologies continuent à transmettre une vision positive du passé et du messianisme, Chapman note que c’est le volume de Monseigneur Camille Roy, Morceaux choisis d’auteurs canadiens (1934) qui recentre le choix des textes, n’incluant que des auteurs canadiens. Ses recherches démontrent aussi qu’il existe dorénavant une assez grande concordance entre les auteurs sélectionnés par Roy et ceux des volumes utilisés jusqu’à maintenant, ce qu’elle illustre par un tableau comparatif des anthologies de Roy (1934) Renaud (1968) et Laurin (2007). L’auteure note que malgré la stabilité relative du corpus littéraire, l’approche des textes a radicalement changé, privilégiant la forme, le style et l’analyse des textes plutôt qu’une connaissance de l’histoire littéraire, reflet des changements politiques, démographiques et idéologiques depuis 1930. Chapman finit par une réflexion à propos de l’oubli majeur des anthologies: les textes des auteurs autochtones, l’Amérindien et sa culture ayant servi de “toile de fond” sur laquelle s’est écrite l’histoire de la Nouvelle France, du Canada et du Québec, ce qui souligne à nouveau la difficile élaboration d’un corpus littéraire inclusif suite à la colonisation.

Chapman termine son analyse du phénomène littéraire québécois par un examen de deux littératures exclues du corpus: l’écriture amérindienne et celle des autres régions francophones d’Amérique. Pour le premier cas elle se penche sur deux histoires (Diane Boudreau, Maurizio Gatti) de la littérature amérindienne francophone pour conclure qu’il s’agit d’un oubli majeur, vu l’existence d’un corpus considérable. Quant au cas des régions francophones, elle note que le recentrement du Québec sur lui-même suite à la Révolution Tranquille et le projet national qu’il met en place, obligent les littératures francophones, autrefois intégrées à l’histoire littéraire canadienne française, à une nouvelle auto-détermination. Ainsi paraissent des histoires littéraires et des anthologies publiées hors du Québec, dans des maisons d’édition en Acadie, au Manitoba et en Ontario. Chapman synthétise ces nouveaux développements à l’aide d’un tableau chronologique de l’activité littéraire hors du Québec depuis 1960. Si, dans sa conclusion générale, l’auteure évoque le post-nationalisme des littératures francophones et de la “littérature monde, coupée de ses amarres locales et régionales,” elle affirme cependant “la valeur capitale des histoires littéraires à base nationale.” C’est ce que démontre cette [End Page 184] riche étude utile et fouillée de l’évolution du corpus littéraire québécois à travers le temps qui ne manquera pas d’intéresser les spécialistes des littératures du Canada et du post-colonialisme.

Éloise A. Brière
State University of New York at Albany

Footnotes

2. Gallant, Janine, et Maurice Raymond. Dictionnaire des œuvres littéraires de l’Acadie des Maritimes du vingtième siècle, dolam. Sudbury: Prise de Parole, 2012.

3. Sœur de Sainte-Anne.

4. Filteau, Gérard. Organisation scolaire de la province de Québec: historique, législation et règlements. Montréal: Centre de Psychologie et de Pédagogie, 1954.

5. Cambron, Micheline. “Présence de la littérature nationale dans l’enseignement primaire.” Deux Littératures francophones en dialogue: du Québec et de la Suisse romande. Coord. Martin Doré et Doris Jakubec. Québec: PU Laval, 2004. 99–157.

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