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Reviewed by:
  • Passes et impasses dans le comparatisme postcolonial caribéen. Cinq traverses
  • Aara Zweifel
Gyssels, Kathleen. Passes et impasses dans le comparatisme postcolonial caribéen. Cinq traverses. Paris: Honoré Champion, 2010. ISBN 9782745319883. 432 p.

Soulignant la nécessité d’une lentille critique plus large que le comparatisme littéraire, Kathleen Gyssels montre dans les études culturelles comparatives une fluidité d’ensemble d’expériences et de thèmes communs qui transgressent et dénoncent certaines divisions isolantes dans la diaspora noire caribéenne. Explorant harmonies et désaccords de dix voix francophones et anglophones des Caraïbes, Gyssels expose la nature interconnectée de ces populations diasporiques dont l’immense diversité et les fils enchevêtrés et croisés de leurs histoires favorisent l’émergence d’une littérature dont la richesse n’a d’égal qu’une telle complexité.

En dépit des différences que suggère cette complexité, celles-ci sont aplanies par une multiplicité de concepts théoriques importants qui facilitent la dissolution des divisions entre les réalités anglo-et francophone et débouchent sur les grands thèmes communs dont, entre autres, l’H/histoire, la négritude, la voix subalterne, l’oralité, le spiralisme, la réécriture, rememory, womanism. Articulant sa réflexion autour de cinq traverses faites d’accouplements littéraires anglofranco, uniques mais liés, Gyssels emprunte une série de passes et d’impasses—sortes de canaux de communication qui permettent la lecture de Condé, Morrison, Damas, Baldwin, Laferrière, Danticat, Smartt-Bell, Fignolé, Harris ou encore Glissant, rapprochés par la magie de la critique—dénationalise ces littératures et leur confère une unité qui transparaît également dans son livre. En effet, pour mieux profiter de la richesse des résonances socioculturelles et intellectuelles inter-îles et inter-langues, Gyssels utilise la métaphore simple mais brillante des passes “entre” les îles à la découverte des narrations diverses qui, [End Page 290] ensuite, déclenchent de nouvelles perspectives bien plus englobantes, où les divisions de la nation, de la langue et de la géographie deviennent floues.

À maintes reprises à travers son analyse, Gyssels indique la domination de l’idéologie anglophone: importance de la présence auto-imposée qui crée sans équivoque un flux unidirectionnel d’informations qui entrave l’échange et institue la subalternité dans la hiérarchie des pensées et des expériences humaines. Dès l’introduction, elle esquisse “l’image d’une traversée mouvementée” exprimant ainsi sa perception des relations entre la Caraïbe anglophone et francophone (12). Gyssels nous signale la curiosité, la compréhension ouverte, et la traduction constante chez les auteurs francophones et les théoriciens anglophones, alors que l’inverse, dit-elle, n’est pas vrai: de la part de la culture anglophone, il n’y a que très peu d’attention prêtée à la théorie et à la littérature francophones—traductions incluses. Par le passage des liens, Gyssels s’interroge: pour-quoi les “populations insulaires ignorent [-elles] quasiment tout de leurs voisins caribéens?” (12), suggérant ainsi que le “collier d’îles” de Césaire est loin de la réalité au niveau de la communication et est plutôt un mythe utopique.

Les deux histoires de la première traverse mettent en scène des “oubliées parmi les oubliés de l’histoire, les femmes de couleur” (32). À travers de multiples questions de coupure (de presse, de peau, de parole), d’histoire versus l’Histoire, d’oralité à l’écrit, d’autobiographie fictive et du concept morrisonien de rememory, on rencontre des Médées noires—des mères qui tuent leur propre enfant par amour pur dans Jazz (1992, trad. 1993) de Toni Morrison, et Célanire cou-coupé (2000) de Maryse Condé. Gyssels montre qu’“indépendamment l’une de l’autre, Morrison et Condé font la même chose, à savoir sortir de l’impasse d’une maternité noire sanctifiée” (26). Remplies de relations tordues et déséquilibrées, les deux œuvres décentralisent les sources du sens: plutôt que l’auteur comme autorité singulière, le lecteur...

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