In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

Reviewed by:
  • L’Adieu au voyage: L’ethnologie française entre science et littérature
  • Bruno Thibault
Debaene, Vincent. L’Adieu au voyage: L’ethnologie française entre science et littérature. Coll. Bibliothèque des idées. Paris: Gallimard, 2010. ISBN 9782070781119. 521 p.

On pense d’ordinaire que l’histoire du genre “récit de voyage” a suivi celle des voyages eux-mêmes, et que cette dernière est l’histoire de la disparition des différences suite à la conquête de l’ensemble de la planète par la civilisation occidentale.

On postule ainsi un temps heureux où le voyage était encore possible, coïncidant avec une époque heureuse des récits de voyage, à laquelle au-rait succédé une période désenchantée ou ironique, en raison de la disparition des blancs de la carte et de l’invention du voyage de masse.

(472)

Observe Vincent Debaene dans son essai magistral, L’Adieu au voyage. Mais cette façon de voir les choses n’est, explique ce critique, qu’une illusion ou un mythe de la modernité. “Dès la naissance du genre voyage, c’est-à-dire dès que le voyage fut conçu comme une expérience existentielle dotée, en tant que telle, de valeur [. . .], les voyageurs n’ont fait que constater la disparition de ce qui rendait le voyage possible” (472). Par exemple, Chateaubriand ne déplore-t-il pas dans son Voyage en Amérique la fin des espaces vierges, de la vie sauvage, ainsi que la corruption de l’Indien par le commerce, l’alcool, la maladie? “C’est donc bien à tort [End Page 301] que l’on fait se succéder le temps des vrais voyages et celui du voyage devenu impossible: l’invention du voyage moderne avait pour corollaire l’invention de son passé perdu” (472).

L’adieu au voyage serait donc consubstantiel aux récits de voyage du dix-neuvième et du vingtième siècle, et l’apport décisif des ethnologues dans la première moitié du vingtième siècle résiderait précisément dans l’affirmation lucide de cette réalité et sa mise en application pratique. Vincent Debaene note qu’entre 1925, date de la fondation de l’Institut d’ethnologie à Paris, et les années 1975, les échanges entre anthropologie et littérature ont été intenses et multiples. Ce demi-siècle est une période particulièrement brillante pour l’ethnologie française sur le plan théorique, de Marcel Mauss et Lucien Lévy-Bruhl à Marcel Griaule et Claude Lévi-Strauss, en passant par Paul Rivet, André Shaeffner et Georges Henri Rivière. Durant cette période, de nombreuses monographies scientifiques de qualité ont vu le jour, portant sur les cultures du monde les plus diverses. Cependant, on note qu’un certain nombre d’ethnologues ont accompagné leurs monographies spécialisées de beaux livres au ton plus personnel et au style plus littéraire, mêlant savoir et saveur, publiés par des éditeurs généralistes et souvent couronnés de prix littéraires. Ces chefs-d’œuvre d’intelligence et de style, signés par Jacques Soustelle, Maurice Leenhardt, Jean Malaurie, Alfred Métraux, Pierre-Émile Victor, Théodore Monod, Pierre Clastres, Georges Balandier, Georges Condomidas ou encore Roger Bastide, constituent le corpus central de L’Adieu au voyage. À quoi s’ajoutent les ouvrages d’écrivains tels Roger Caillois, Michel Leiris ou Georges Bataille, qui s’interrogent eux aussi sur le mythe, la transe, la guerre, la transgression, le don.

La littérature et l’ethnologie sont-elles deux types de discours bien distincts ou au contraire deux types d’écritures avec des intersections? Correspondentelles à deux façons d’envisager la pensée symbolique, l’une individuelle et l’autre collective? Avant de répondre à ces questions, Vincent Debaene souligne qu’on saurait opposer la culture scientifique à la culture littéraire “comme la rationalité à la mystique” (23) car ce serait promouvoir une image appauvrie de la démarche scientifique et une image caricaturale de l’expression littéraire. Il note ensuite que les beaux livres de ces écrivains sont d’autant...

pdf