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  • La Caraïbe
  • Isabelle Constant
Glissant, Édouard. L’Imaginaire des langues. Entretiens avec Lise Gauvin (1991–2009). Paris: Gallimard, 2010. ISBN 9782070131822. 125 p.

Ce livre d’entretiens avec Édouard Glissant a tout d’abord l’immense avantage d’apporter une synthèse à une œuvre difficilement résumable. Ensuite Glissant [End Page 287] y apporte des définitions précises de mots dont Lise Gauvin a eu l’intelligence de lui demander l’explication. Donc, à l’oral, Glissant clarifie considérablement ses écrits. Il insiste d’ailleurs sur le fait que les conteurs antillais sont d’abord des maîtres de la parole.

Le livre débute et se termine sur l’idée que la poésie reste pour Glissant un art majeur et qu’elle détrônera le roman. Il annonce en 2009 à un colloque à la Sorbonne la mort certaine du roman. Son explication consiste, d’une part, à se réclamer de Faulkner qui se disait un poète raté et, d’autre part, à décrire une société future, où le monde occidental ayant perdu sa prééminence, la Relation existera vraiment et les peuples n’auront plus besoin que de communiquer et non de décrire leur société dominante par le roman. Il explique le roman comme l’art de ceux qui “ayant conquis le monde, ont le droit de le dire” (114). Il prévoit ainsi, dans un monde plus équilibré, la disparition de l’universel, remplacé par la Relation. Il est temps de citer les définitions que nous offre Glissant. Il a inventé le terme de “chaos-monde” qui est “la rencontre conflictueuse et merveilleuse des langues” (16). Il ne s’agit pas seulement d’emprunts lexicaux, mais de mélanges beaucoup plus complexes et encore non étudiés, impliquant langues, cultures et influence ancestrale du mot. Évidemment, pour Glissant, le créole contient une part d’Afrique qui a influencé ses théories sur l’opacité des langues. Selon Glissant, il est erroné de lier la langue à l’identité. Il envisage toutes les langues en parallèle et, en enchevêtrement, il les voit solidaires. C’est la rencontre de toutes ces sensibilités qu’il nomme le “chaos-monde.” Pour Glissant la beauté réside dans cette rencontre chaotique, cette mise en présence de toutes les langues. Il déplore naturellement la vision des défenseurs de telle ou telle langue, car il prône et apprécie une mixité entre elles. Pour Glissant, la créolisation est la mixité des langues, mais pas seulement par l’inclusion de tel mot ou telle expression. Il donne un exemple frappant d’élèves martiniquais qui utilisent de façon complètement détournée l’expression en anglais “stop seeking” où seeking réfère pour ces jeunes Martiniquais au mot créole “sik” (sucre). Donc “stop seeking” signifie pour eux “arrête de raconter des salades, arrête de casser du sucre sur le dos d’un tel.” L’expression a perdu la moitié de son sens anglais et a réinvesti un mot créole pour créer un nouveau langage.

Glissant s’élève toujours contre les impérialismes. Par exemple, il maintient, peut-être une notion qui pourrait être discutée par les Québécois, les Suisses et les Belges, que la colonisation peut être purement linguistique. Il affirme que pour ces peuples qu’il cite, qui ne sont pas colonisés, mais font partie de la francophonie, il existe malgré tout un rapport de colonisation “plus insidieux et difficile” (102) basé sur une domination culturelle. Glissant répond longuement à une question sur la légitimité de la francophonie. Sa réponse est que pour arriver à faire de la francophonie un lieu non basé sur l’ancien rapport colonial, il faudrait parvenir à une “conjonction des mémoires” (101). Il conclut sur ce sujet [End Page 288] en disant que si des communautés comme le Commonwealth ou la Francophonie ne sont plus nécessaires, elles disparaîtront.

Il nous offre sa propre vision de l’histoire de la littérature. Il oppose à la “fluidité atavique” (21) de Madame de Sévigné ou de Colette...

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