Balzac dans l'Histoire (review)

Les actes de ce colloque qui s'est tenu à Tours, en octobre 1999, à l'occasion du bicentenaire de la naissance d'Honoré de Balzac, constituent un noble pari, courageux, difficile, rarement tenté : faire dialoguer des littéraires et des historiens sur et à partir de l'œuvre balzacienne. Les dix-huit contributions de ce volume concernent donc autant les usages balzaciens de l'histoire que les usages historiques de Balzac. Le pari de ventiler les interventions des uns et des autres selon trois grandes parties ("Croisements," "Représentations," "L'auteur-siècle") cherche à réunir des points de vue approximativement apparentés pour mieux assurer l'éclairage réciproque des approches et des démarches. Nous ne contesterons certes pas la répartition des exposés, et nous n'insisterons pas sur la part d'arbitraire qui entre à peu près toujours dans ce type d'exercice, mais force est de constater que tous ne jouent pas le jeu avec la même intensité, et que l'écart demeure important entre ceux (majoritairement mais non exclusivement des littéraires) qui s'attaquent aux problèmes du récit et de la lecture, et ceux (majoritairement mais non exclusivement des historiens) qui se posent des questions de sources ou de documentation.

On conçoit aisément l'intérêt de la mise en situation proposée par Michelle Perrot en tête de la première section de l'ouvrage. Peu soucieux des développements de la statistique criminelle et de l'enquête des observateurs, Balzac demeurerait attaché aux sciences naturelles et à la science del'homme qu'élabore la médecine. Il logerait, de ce point de vue, entre le XVIII^e et le XIX^e siècle. Mais, ajouterons-nous, cette prédilection du romancier pour le pathologique ou l'exceptionnel n'est-elle pas liée à sa démarche qui le conduit à privilégier "la somme des types" et les "figures saillantes d'une époque"? Quoi qu'il en soit, c'est peut-être, poursuit M. Perrot, ce "relatif archaïsme" qui fait la " singulière modernité " de Balzac (p. 36). Elisheva Rosen tente d'expliquer ce manque de curiosité pour l'avènement des sciences sociales par les ressources qu'offre au roman balzacien le droit. En effet, la dramatisation du juridique permettrait le déploiement du "mixte" des situations, des lieux, chez les personnages, favoriserait "la mise en scène de transactions" et de négociations "plutôt que de procès" (p. 48), par quoi commencerait "l'invention de la société" (p. 51) là où précisément s'arrêterait l'enquête sociale. Ce sont moins les "croisements" de disciplines qu'évoquent les contributions suivantes que les "croisements" de genre et de régime d'écriture. Après avoir rappelé que la littérature panoramique et les "tableaux" de Paris fonctionnèrent, sous la monarchie de Juillet, comme des modèles pour la fiction narrative, Catherine Nesci propose de nommer "histoire-panorama" la rencontre, chez Balzac, de "l'exploration des formes spécifiques de la vie urbaine et la figuration du présent comme histoire" (p. 59). Dès lors, la "vision panoramique de l'histoire" (p. 64) que le roman configure peut être "fantasmagorie optique" (ibid.) ou "hallucination" (p. 67), et sa tentative de totalisation doit composer avec le débris et la ruine. Damien Zanone essaie de circonscrire l'influence des mémoires historiques, très en vogue sous la Restauration, dans le renouvellement du genre romanesque comme genre de l'histoire autour de 1830. Si Walter Scott offre à l'examen des romanciers romantiques un modèle narratif, les mémoires de la Restauration fourniraient au roman des thèmes dont ils favoriseraient la promotion – au premier chef, l'histoire contemporaine dans sa dimension politique. Anne-Marie Baron associe conception balzacienne de l'histoire et autobiographie dans les romans historiques du jeune littérateur, dans les opérations de "littérature marchande" de Lord R'hoone et de...