In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

  • Romantisme
  • Max Milner

Il est peu d'auteurs qui Fassent Sentir comme Michelet à quel point la notion de romantisme est ambiguë, contradictoire, et pourtant utile pour définir certaines familles d'œuvres et d'esprits. L'essentiel du paradoxe tient en quelques mots : Michelet n'a pas cessé de prendre ses distances avec le romantisme français (auquel ses confrères historiens ne l'ont en général rattaché que pour lui en faire reproche), et pourtant son œuvre manifeste d'une manière éclatante ce qu'est le romantisme lorsqu'on cherche, au-delà des caractères superficiels du mouvement, à définir son essence.

Beaucoup de facteurs ont joué pour engager Michelet à se tenir à l'écart de l'école romantique. Bien qu'il appartienne très exactement à la même génération que Balzac et Victor Hugo et qu'il ait suivi les mêmes études, la manière dont celles-ci l'ont influencé tient en grande partie à ses origines sociales. La maîtrise, gagnée de haute lutte, du latin et du grec a paré les disciplines classiques, aux yeux de l'enfant issu des classes populaires, d'un prestige auquel nulle évolution ultérieure n'a pu porter atteinte. Aucun poète moderne n'a occupé dans son admiration une place comparable à celle de Virgile. S'il a entretenu des relations cordiales avec Lamartine et Victor Hugo (surtout, en ce qui concerne celui-ci, à partir de l'exil), amicales avec Lamennais, c'est essentiellement pour des raisons idéologiques et parce que le combat politique les rangeait dans le même camp. Son style, si personnel, reste fidèle, pour l'essentiel, aux règles de la rhétorique classique et ne paraît s'en démarquer que par un usage déconcertant de l'asyndète, de la métaphore filée, ou par cette concentration d'affectivité que Roland Barthes dénommait « l'excès du signifiant »1 . Aucune ambition, chez lui, de moderniser la syntaxe ou de « mettre un bonnet rouge au vieux dictionnaire », malgré son désir très vif d'être lu par le peuple (peut-être, au contraire, à cause de ce désir).

D'autres raisons de ne pas adhérer au mouvement romantique sont d'ordre politique. Fidèle, par héritage familial, à une certaine tradition révolutionnaire, il s'est rangé dès le retour des Bourbons dans le camp des libéraux, s'est imprégné avec enthousiasme de la pensée des philosophes du XVIIIe siècle, et n'a eu que répugnance, comme ceux qui partageaient ces idées, pour la défense du trône et de l'autel, à laquelle le romantisme à ses débuts était étroitement associé. Son Journal de 1820 le montre très hostile au « détestable livre » que sont les œuvres de Byron, et bien décidé à échapper à « la langueur dans laquelle jettent tous les romantiques »2 . Ses griefs contre eux subsisteront [End Page 94] même lorsque certains d'entre eux auront adopté des positions plus proches des siennes et auront manifesté leur admiration pour ses travaux. Ces griefs tiennent tout d'abord à ce que Michelet a surtout vu dans le romantisme le culte de la forme, la religion du détail ornemental, l'acrobatie stylistique. Dans les esquisses de la Préface de 1869 à l'Histoire de France que Paul Viallaneix a intitulées « L'Héroïsme de l'esprit », il explique comment il a échappé à « deux torrents », qui avaient de quoi tenter la jeunesse dans les journées orageuses qui suivirent 1830 : « L'un était le flot romantique, qui voulait renouveler l'art. L'autre celui des écoles utopiques qui ne comptaient pas moins que nous refaire le monde »3 , et il précise dans un autre fragment : « le flot romantique, d'un si grand éclat littéraire, mais qui, indécis sur le fond lui-même, s'appela l'art pour l'art »4 .

Cette indifférence au « fond lui-même » est particulièrement désastreuse lorsque l'écrivain se pique de faire revivre le passé, qu'il s'agisse d'historiens comme Barante qui se perdent dans...

pdf

Share