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La voix de la terre. R. Millet—La Voix d'alto Aline Mura-Brunel RICHARD MILLET rappelle que c'est Balzac qui a favorisé l'entrée de la province dans le roman, lui conférant sa dignité de sujet littéraire. Il la réhabilite lui aussi à sa manière, mais en la faisant émerger d'espaces effectifs et imaginaires: Le Liban, le Québec, la banlieue parisienne. Le pays de l'enfance, la Corrèze, ne prend sens que dans cette constellation de lieux de fracture et de rupture. C'est précisément dans la pluralité des terres invoquées que se révèle une terre d'origine—plus délétère que fondatrice sans doute—puisqu'elle porte en elle sa propre fin et nous renvoie à nos déficiences et nos dysfonctionnements. Dans La Voix d'alto^—dernière œuvre publiée—l'écrivain reprend en l'épurant le procédé du retour de voix féminines venues de la terre d'enfance utilisé dans Lauve le pur, et il fait entendre le passé dans le présent, Tailleurs dans Γ ici, le silence dans la parole. Pour le lecteur, à l'évidence, l'effet est troublant: percevant le silence de voix qui se sont tues dans le bruissement de paroles, il renoue avec l'origine comme avec ce qui se perd, nous manque et paradoxalement nous perd. C'est donc sur plusieurs plans—symboliques—que se décline le rapport à la terre dans l'œuvre de Richard Millet. Avec la grâce de l'épiphanie, la terre surgit d'espaces éclatés et tient lieu paradoxalement d'origine unique. Mais elle provient aussi des mots eux-mêmes—issus de plusieurs langues (l'anglais et le français dans La Voix d'alto), mêlés en une seule langue—romanesque. En cela sans doute, unissant le topologique et l'ontologique, la terre de l'enfance fait éclore une voix—celle que restitue l'alto—dans un livre singulier et nécessaire. Il est vrai que la présence récurrente de la province, profonde et lointaine, réfère également à la portée idéologique d'une telle recherche: la terre natale—aimée—du narrateur (et de l'auteur), la Corrèze, témoigne d'une civilisation disparue, essentiellement rurale puisque fondée sur l'agriculture et l'amour de la terre. Mais ce versant de l'œuvre—crucial au demeurant—ne nous retiendra pas ici. Nous orienterons notre propos vers la dimension eschatologique du discours, sur son rôle dans la construction de l'œuvre, envisageant La Voix d'alto comme un point d'acmè dans le parcours créatif, un «livre delta»—selon le mot de l'auteur—qui réunit les métaphores obsédantes des textes antérieurs et ouvre sur une autre voie, un autre style, Ie devenir de l'œuvre et de l'enquête herméneutique. 76 Summer 2002 Mura-Brunel Une terre plurielle—Nombre de villages et de villes traversent la prose de R. Millet: Siom en Corrèze, Paris et sa banlieue «terrifiante» (comme eût dit M. Duras), Montréal, la campagne québécoise, Beyrouth enfin. Parcourant virtuellement des lieux éloignés les uns des autres géographiquement et symboliquement , le narrateur mêle aussi les temporalités: la phrase, dilatée jusqu'à l'extrême, emporte dans un mouvement de spirale le passé et le présent, Γ ici et Tailleurs. Ainsi, en présence de Nicole, au moment de Téclipse, dans son appartement de l'île Saint-Louis, il évoque l'enfant qu'il fut: «c'était de Nicole que je me souciais, non pas en amoureux [...] mais en enfant, moi aussi, par l'ivresse et l'inquiétude amené à héler à mon tour l'enfant que j'ai été, à Siom, il y a une quarantaine d'années» (46-47). Or la phrase—proustienne dans sa cadence et son rythme intérieur—donne une impression de simultanéité et d'ubiquit é, passant et passant encore par les mêmes points; mais elle ne fait que circonscrire, semble-t-il, un espace vide, le lieu perdu et à demi effacé de...

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