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Les mémoires de Mai, ou la politique éclipsée Jean-Philippe Mathy Joseph Delteil, quel est le plus grand événement du siècle? Belle question, Delteil ayant vu tout ce siècle. "Attendez. . . Il y a eu tant d'événements importants ... qui fmalement n'ont rien changé. C'est peut-être Mai 68. . . Oui, c'est lui! ... Le grand retournement des choses. . . La roue a commencé de tourner..." —Maurice Clavel, Le Nouvel Observateur, avril 1978 MAI 68 RESTE UNE DATE CHARNIÈRE dans l'imaginaire de la France contemporaine, le signifiant d'une rupture décisive dans l'ordre socio-culturel. L'avant-68 s'oppose à l'après-68 dans la reconstitution du passé collectif que propose la plupart des histoires de notre présent: avant 68, la société disciplinaire, patronale et patriarcale, l'univers carcéral des lycées-casernes; après 68, l'explosion des médias, les réseaux informatiques, la culture cool et tolérante de la post-modernité. Avant 68, nous dit-on, les gens croyaient encore à la Révolution et à l'Identité Nationale; après, sur fond de ce qu'Edgar Morin a appelé "la crise du futur", s'ouvre l'ère du vide, l'empire de l'éphémère, des identités plurielles et du multiculturalisme. Avant 68, l'écrit et la raison dominent l'école de la République, après 68, le règne de l'audio-visuel remplace l'ordre symbolique hérité des Lumières par l'imaginaire du simulacre et l'éclatement du Sujet. Les "événements" de Mai sont devenus, à l'instar de nombreux autres moments privilégiés de l'histoire nationale française, un lieu de mémoire que la presse, la télévision et les intellectuels visitent à intervalles réguliers, à la fin de chaque décennie, pour raviver le souvenir d'une cassure historique auréolée de nostalgie. Mais si la forme du rituel de commémoration reste souvent la même, son contenu change avec le temps, à mesure que s'éloigne l'événement dont les commentaires répétés s'efforcent de retrouver le sens, tous les dix ans, par un travail de remémoration qui peut sembler paradoxal et dérisoire, puisque nous vivons par ailleurs dans un monde marqué par l'instantan é de l'information et l'éclipsé de la conscience historique. Les célébrations du dixième, du vingtième, et plus récemment du trenti ème anniversaires s'efforcent de conjurer cet effacement du passé, de garder en mémoire l'événement qui précisément est supposé avoir ouvert le temps de l'oubli (de la grandeur nationale, de l'identité de la France, de l'Empire colonial , de la politique inaugurée par la Révolution française, des humanités classiques , etc.). A relire les articles de presse et les essais parus en 1978, 1988 et Vol. XLI, No. 1 9 L'Esprit Créateur 1998 on mesure mieux l'évolution conjuguée de la société française et du regard collectif porté sur cette évolution. A chaque fois, le discours sur 68 est loin d'être unanime, bien entendu, mais la divergence des interprétations qui s'efforcent de percer "le mystère de Mai" s'inscrit toujours sur le fond de l'air du temps, d'une perception de l'état de la France à un moment donné partagée par de nombreux essayistes et journalistes. C'est même une des caractéristiques de notre univers culturel que ce besoin de prendre en permanence le pouls de la société, à travers la multiplication de bilans de santé qui paraissent souvent, avec le recul, incorrects ou hâtifs. Les commémorations ritualisées des événements de Mai sont souvent l'occasion privilégiée de cette interrogation anxieuse que les producteurs d'opinion portent sur un pays qui se souvient , avec un mélange de regret, de remords et de soulagement, d'avoir naguère cru à la Révolution. Mai 68, né sous le signe de la parole libérée, fut dès l'origine un épisode loquace, une r...

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