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  • Écrit du front. Lettres de Maurice Pensuet, 1915–1917
  • Bruno Cabanes
Écrit du front. Lettres de Maurice Pensuet, 1915–1917, édition établie par Antoine PROST, Paris, Tallandier, 2010, 375 p.

Depuis une dizaine d’années, les correspondances de soldats de la Grande Guerre font l’objet d’une curiosité nouvelle de la part des éditeurs et des lecteurs. Est-ce l’intérêt croissant pour ce conflit qui l’explique – un intérêt paradoxal puisqu’il semble augmenter à mesure que le conflit s’éloigne dans le temps – ou la sympathie [End Page 108] que font naître chez nos contemporains ces fragments d’intimité ? Ces lettres en effet donnent l’impression d’approcher au plus près de l’expérience de guerre. L’angoisse qui étreint les jeunes recrues au moment de partir, l’expérience brutale du baptême du feu, la quête d’un réconfort auprès des camarades venus du même pays, les efforts déployés pour ne pas inquiéter les proches restés à l’arrière et en même temps, une forme d’exaspération devant l’incapacité des civils à comprendre la guerre : tous ces sentiments nous paraissent immédiatement accessibles et, pour tout dire, familiers.

Il y a naturellement beaucoup d’illusion dans cette impression d’immédiateté. L’étonnante modernité des lettres de soldats ne doit pas nous faire oublier les codes et les contraintes (censure et autocensures) qui les régissent, profondément enracinés dans le contexte de la guerre. C’est pourtant ce qui séduit dans les lettres de Maurice Pensuet, jeune homme de la petite bourgeoisie catholique, artisan, horloger comme son père. Dans une langue claire, il livre ses impressions du front dont il fait presque quotidiennement le récit à ses parents. À la fin de l’été 1914, les pertes de l’armée française ont été extrêmement lourdes. On mobilise à la hâte la classe 15. Le jeune homme qui en fait partie quitte Gien, où il fait son apprentissage, pour Montargis. Il rejoint le front le 13 avril 1915. Se mêlent alors une sourde inquiétude face au danger et une fierté de gamin pressé de devenir un homme, même s’il n’est jamais complètement dupe : « Nous sommes trop gosses pour comprendre. Je me crois en route pour un concours », écrit-il au début de sa correspondance. Deux jours plus tard, à son arrivée à Pont-à-Mousson, la guerre est déjà bien présente. La ville est bombardée, les témoignages des anciens permettent de saisir l’ampleur des pertes : « Le régiment (8 compagnies) était monté aux tranchées à l’effectif de 1 500 hommes. Ils sont revenus 350. Certaines sections n’avaient plus que 4 ou 5 hommes » (15 avril).

Maurice se fraye un chemin dans ce monde inconnu, il rassure ses parents en annonçant qu’il a retrouvé des camarades du Loiret : « On est plus fort quand on se serre les coudes » (15 avril). Mais ce n’est pas encore le baptême du feu. Le 24, le jeune soldat entend les premiers obus siffler autour de lui. Partout ce ne sont que paysages désolés, qu’il essaie de décrire : « Quiconque n’a pas vu le Bois-le-Prêtre ou du moins ce qui fut le Bois ne peut se faire une idée de la guerre actuelle », reconnaît-il, avant d’ajouter : « On dirait que le sol a été retourné par une énorme charrue… des charmes, des bouleaux de 50 à 60 cm de diamètre, les racines en l’air comme de vulgaires arbrisseaux ». Le 1er mai 1915, voilà Maurice Pensuet en première ligne : « C’est quelque chose de terrible et d’inimaginable. J’ai supporté cela très calme ; je m’en suis même étonné… Je vous donnerai d’autres détails si j’en reviens comme je l’espère. »

En quinze jours, le jeune homme semble avoir déjà acquis la plupart des traits de ses compagnons d’armes. Sa correspondance est émaillée de mots techniques propres à la vie...

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