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  • Revisiter la notion de culture avec Michel-Rolph Trouillot1
  • Michel Acacia

Dans les années 2000, un ensemble de chercheurs ont initié une réflexion autour de la notion de culture.2 Il s’agissait d’une mise en question profonde de l’usage qui est fait de cette notion. L’un des principaux promoteurs de cette mise en question est Michel-Rolph Trouillot.

Pourquoi une mise en question de la notion de culture ? L’introduction de cette notion dans les sciences sociales et, notamment, dans l’anthropologie, a contribué à l’appropriation de la diversité des pratiques humaines. La notion voisine de relativisme culturel était là pour attester que les pratiques humaines se valent et, par conséquent, les groupes porteurs de ces pratiques. Michel-Rolph Trouillot synthétise les connotations incluses dans la notion de culture :

(1) Les comportements humains obéissent à des patterns. Il existe dans des populations historiquement spécifiques des récurrences tant au niveau de la pensée que du comportement qui, loin d’être contingentes, sont structurellement conditionnées et qui sont, à leur tour, structurantes.

(2) Ces patterns sont l’objet d’un apprentissage. Les récurrences ne peuvent être liées à un monde naturel en dedans ou en dehors du corps humain, mais plutôt à la constante interaction en cours dans des populations spécifiques. La structuration a lieu par le biais de la transmission sociale et de codes symboliques avec quelque degré de conscience humaine.

(GT 99)

C’est ainsi que les anthropologues—notamment américains, remarque Michel-Rolph Trouillot—comprennent la notion de culture. Cette notion se voulait à l’antipode de celle de déterminisme biologique.

D’où la promotion, dans la notion de culture, de la négation de la notion de race. À l’origine de cette démarcation se trouve l’anthropologue Frantz Boas.3 La contribution majeure de Frantz Boas est justement la [End Page 106] démarcation qu’il fait entre les notions de race et de culture. En gros, nous dit Michel-Rolph Trouillot, la culture est « ce qui empêche à la race d’occuper le point déterminant dans le discours anthropologique qu’il occupe par ailleurs dans l’ensemble de la société américaine. Dans cet espace privilégié, le concept de culture arrive à limiter l’impact de notions et de descriptions rattachées à l’héritage biologique » (GT 100). Et, précise Trouillot, « la stratégie fondamentale est de dissocier la race de la culture en anthropologie, non pas d’associer la race au racisme dans et hors l’anthropologie » (GT 108).

Cette conceptualisation de la culture marquait un progrès considérable en anthropologie. Mais elle allait à contre-courant des idées en vogue dans la société américaine. Et c’est le point de vue de l’ensemble de la société qui devait prévaloir :

Tandis que le concept de culture contribua à la mise en question de la portée théorique de la race dans des cercles de lettrés, il n’a pas pour autant infléchi le racisme dans l’espace public. Au mieux, le racisme évoquant le déterminisme biologique céda la place à un racisme parallèle ancré dans l’essentialisme culturel. Par moments, les deux formes de racisme se virent en contradiction. Plus souvent, elles se sont renforcées l’une l’autre dans et hors le monde académique.

(GT 113)

Or voilà le dilemme :

Projetée comme une négation de la race, la culture devint également la négation de la classe et de l’Histoire. Projetée comme un bouclier face aux manifestations du pouvoir racial, la culture finit par prémunir l’anthropologie des champs conceptuels et appareils se référant au pouvoir et à l’inégalité. La culture devint ce que la classe n’est pas, ce qui évacue le pouvoir et ce qui pouvait faire abstraction de l’Histoire.

(GT 101)

La conséquence en est qu’« un mot déployé dans le monde académique pour éviter des dénotations racialistes est souvent utilisé dans et hors le monde académique avec des connotations racialistes. Un mot destiné à promouvoir le pluralisme en...

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