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Reviewed by:
  • L’oubli des peines. Une histoire du sommeil,1700-1850 by Guillaume Garnier
  • Jacqueline Carroy
Garnier, Guillaume – L’oubli des peines. Une histoire du sommeil, 1700-1850, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, 409 p.

Dans ce livre issu d’une thèse, Guillaume Garnier aborde un sujet neuf avec une périodisation longue et avec une approche d’histoire sociale qui n’avait pas été tentée à une telle échelle sur ce type de sujet. Garnier s’inscrit dans une historiographie française, qui s’est intéressée à l’histoire de la nuit (Alain Cabantous, Simone Delattre), des délits nocturnes (Dominique Kalifa, Jean-Marc Berlière), des cultures matérielles liées au sommeil (Pascal Dibie, Michelle Perrot), et du corps (Georges Vigarello). La synthèse proposée par Garnier porte sur le corps endormi envisagé dans trois parties portant respectivement les titres séduisants mais un peu énigmatiques: « Sommeil repos des êtres, sommeil toi le plus doux des dieux », « Trouver son sommeil », « Réussir à dormir ». Les sources primaires imprimées mobilisées par le livre conjuguent références à des ouvrages médicaux, à des traités de civilité et de piété, à de la littérature autobiographique entendue au sens large.

L’originalité de Garnier est d’exploiter des archives judiciaires poitevines ayant trait à des délits nocturnes pour en extraire des témoignages inédits concernant les [End Page 259] pratiques du sommeil et, notamment, les horaires de coucher et de lever d’une France d’avant 1850. La documentation fait apparaître la diversité réglée des heures et des pratiques: en faisant la part des conditions sociales, et de celles de genre et d’âge, ainsi que des singularités individuelles, en Poitou, on se coucherait en moyenne et en général vers 11 heures et on se réveillerait très tôt, souvent à l’aube. Il semble bien que, dès le XVIIIe siècle, en dépit de l’obscurité rurale totale et de l’obscurité urbaine relative, le temps de la nuit ait souvent excédé celui du sommeil humain, ce qui veut dire qu’il a existé des sociabilités variées « à la chandelle », pas seulement chez les nobles et les bourgeois. Cela amène Garnier à nuancer fortement ou à critiquer l’hypothèse de l’historien Robert Ekirch, qui suppose qu’en Occident, à l’ère préindustrielle, le sommeil des humains a pu être fractionné en deux périodes interrompues par un temps de demi sommeil ou de demi-veille, à l’image de ce qui se passe chez certains peuples, étudiés par les ethnographes, qui se couchent au rythme du lever et du coucher du soleil (p. 335).

De façon générale, l’ouvrage de Garnier constitue une synthèse bien documentée sur les aléas et les péripéties du sommeil d’antan, hanté par les peurs, les insomnies et le somnambulisme, mais aussi refuge et « oubli des peines », comme l’indique le titre. L’auteur évoque avec précision les bâtiments, les décors, les vêtements, les accessoires et les pratiques du repos. Maisons nobles, bourgeoises ou rurales, hôtels, couvents, prisons, chambres, garnis et lits partagés ou non, dortoirs, literies pleines de vermine, rudimentaires ou luxueuses, chemises et bonnets de nuit, horloges et réveils, rituels des couchers et de levers, bonnes et mauvaises manières nocturnes sont l’objet de ses investigations. Ce souci d’exhaustivité a le mérite de faire apparaître l’ampleur et le foisonnement de pratiques matérielles et sociales qui avaient été peu explorées dans leur diversité.

Le revers de cette richesse est peut-être que l’ouvrage devient parfois une sorte d’addition de vignettes, souvent un peu schématiques, surtout s’agissant de la médecine et, plus généralement, des approches savantes du sommeil traitées principalement dans la première partie. On peut s’étonner que Garnier parle finalement peu, et toujours de façon dispersée, du rapport du sommeil à la sexualité, pourtant bien présent en creux de sa documentation. On peut regretter surtout qu’il ne...

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