- Rousseau et le romantisme ed. by Philip Knee
Le sujet pourrait sembler rebattu. Un des premiers à employer en français l’adjectif ‘romantique’, Rousseau fournit aux générations qui le suivent un lexique et un imaginaire. Une rencontre entre Français et Québécois a donné naissance à un recueil qui ne prétend pas donner une définition nouvelle, ni même unique, du romantisme, mais propose des perspectives croisées. Trois études s’attachent aux catégories de Nature, d’âme et de mélancolie. Juliette Grange souligne la rupture chez Rousseau entre nature et politique: le paysage et le jardin ont une valeur thérapeutique et morale. John C. O’Neal s’intéresse au statut de l’âme entre idéalisme et sensualisme qu’il préfère nommer sensationnisme. Il récuse l’oxymore, parfois utilisé, d’‘ideal materialist’, mais admet un ‘physique de l’âme’ chez Rousseau qu’il considère comme sensationniste idéal. Alexandre Provencher-Gravel explore les formules paradoxales des lettres à Malesherbes: Rousseau y parle d’une ‘tristesse attirante’ qu’il n’aurait pas voulu ne pas avoir. Résigné et révolté, il pense l’homme selon une dynamique qui met en tension l’expansion et le repli, l’élan et la contraction. Dans une remarquable étude qui complète ‘Julie et ses légendes’ (SVEC, 260 (1989), 257–78), Philip Stewart montre l’autonomisation progressive des illustrations de La Nouvelle Héloïse. Le romancier avait voulu contrôler les gravures; Desenne en 1826, Johannot en 1845, Devéria en 1852 isolent des scènes nouvelles, jouent de la technique de l’eau forte sur acier et intègrent l’illustration au texte. La tentation est alors de faire de Julie un roman sentimental, voire un roman de gare. Ce sont souvent ces éditions que les romantiques ont entre les mains. Jeffrey Reid montre Friedrich Schegel recrutant Rousseau dans sa croisade idéaliste, mais critiquant son refus d’accorder aux femmes un statut similaire aux hommes. Philip Knee repère une même expérience chez Rousseau et Chateaubriand, celle de la perte et du deuil, une même exaltation du passé et de la chimère. Caroline L. Mineau rapproche la critique de la vanité chez Beyle de celle de l’amour-propre chez Rousseau, mais la rigueur toute idéologique de celui-là prend le contrepied des complaisances de la sincérité rousseauiste. Michel Brix traite les romantiques d’‘héritiers ingrats’; Gérard de Nerval marque sa différence, fidèle jusqu’au bout au romancier de Julie et au solitaire d’Ermenonville. Selon Carole F. Martin, Les Rêveries sont le modèle des Promenades dans Rome de Stendhal et des Promenades et souvenirs de Nerval. Mais le pèlerinage se fait méditation historique et le rêveur devient chroniqueur. Pour Tanguy L’Aminot, Émile et Mauprat de George Sand seraient deux romans de formation ou plutôt romans d’initiation renvoyant à un schéma médiéval. Les dernières contributions analysent deux œuvres critiques marquantes: Le Romantisme français de Pierre Lasserre, thèse publiée en 1907, et la tétralogie de Paul Bénichou (1973–92), récemment republiée sous le titre Romantismes français. Le regretté Raymond Trousson inscrit P. Lasserre dans le courant maurrassien de dénonciation d’un romantisme qui serait importation germanique venant dénaturer l’esprit français. Les trois ‘R’ honnis par ce courant dont on perçoit le sillage jusqu’à aujourd’hui sont Rousseau, la Révolution et le romantisme. Selon Gérald Allard, Paul Bénichou aurait sous-estimé l’influence de Rousseau sur le premier dix-neuvième siècle. On retient de ses Romantismes français le pluriel de générations différentes et de positions idéologiques variées. Le recueil illustre une nouvelle fois que la réception d’un auteur est faite de reconstructions et de r...