- Correspondance de Pierre Bayle
Cette première édition critique moderne de la totalité connue de la correspondance active et passive de Bayle a pour point de départ l'Inventaire critique de la correspondance de Bayle par Élisabeth Labrousse (Paris: Vrin, 1961). Entre l'état des lieux original et ces huit volumes, il y a toute la distance d'une révolution éditoriale. Cette édition — qui comportera douze volumes et plus de 1600 lettres, dont bon nombre d'inédites — présente en effet la strate médiane du texte élaboré dans la base de données Arcane, désormais accessible pour les volumes I à VI depuis le site de l'Université de Saint-Étienne. L'édition électronique complémente utilement l'édition classique sur papier, dont on soulignera d'emblée l'exceptionnelle qualité tant du point de vue philologique qu'eu égard aux exigences de la maison d'édition. Le corpus est composé d'autographes, de copies manuscrites et d'imprimés. Chaque volume comprend glossaire(s), bibliographie critique, diverses listes dont celle des lettres perdues, concordance et index. L'annotation proprement dite est un modèle du genre: précise, érudite, remarquablement complète. Elle est à la fois critique, portant sur l'état du manuscrit et de l'écriture, et explicative. Elle permet de cerner la culture de Bayle en proposant des identifications bibliographiques et des éclaircissements sur les sources utilisées (le traitement est différent selon qu'il s'agit d'une référence à la Bible, à l'Antiquité grécolatine ou à des ouvrages plus récents). Elle tisse tout un réseau de renvois internes, explicitant les allusions et renvoyant à l'actualité de la République des Lettres.
Une telle édition, et de cette qualité, constitue un événement. Son intérêt pour les études bayliennes est évident: la correspondance de Bayle permet de mieux connaître son auteur, son milieu, ses lectures — Bayle communiquant régulièrement à ses frères la liste de ce qu'il lit. Elle permet de suivre l'homme dans ses enthousiasmes mais aussi ses crises, au moment de sa conversion au catholicisme, lorsqu'il obtient un poste à Sedan ou s'exile à Rotterdam (lettres 8, 112, 195). C'est aussi un témoignage [End Page 550] de première main sur la réalité de cette République des Lettres européenne qui tisse un réseau d'amitiés et de relations professionnelles par delà les frontières politiques et confessionnelles. L'échange épistolaire a son coût, son organisation propre, sa déontologie. Chacun s'inquiète des paquets perdus ou retenus, précise à l'occasion les différents intermédiaires impliqués (ainsi la lettre 395 à Spon). Le lancement des Nouvelles de la République des Lettres (NRL), en mars 1684, témoigne superlativement de l'imbrication des réseaux de correspondance. C'est incontestablement l'un des événements majeurs de cette correspondance, avant les débuts de cet autre grand projet, le Dictionnaire historique et critique, lancé en mai 1692 et qui occupera certainement une part importante des volumes IX et suivants. Dans le cas des NRL, la correspondance est amplement mise à contribution, les différents réseaux jouant comme un amplificateur d'échange et de collecte des informations bibliographiques. Au même titre que le périodique, qu'elle nourrit, la correspondance de Bayle témoigne ainsi des activités de la...