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  • Aux limites de l'imitation: l'ut pictura poesis à l'épreuve de la matière (XVIe-XVIIIe siècles)
  • Séverine Genieys-Kirk
Aux limites de l'imitation: l'ut pictura poesis à l'épreuve de la matière (XVIe-XVIIIe siècles). Sous la direction de Ralph Dekoninck, Agnès Guiderdoni-Bruslé et Nathalie Kremer. (Faux-titre, 342). Amsterdam: Rodopi, 2009. 242 pp., ill.

Cet ouvrage collectif propose une fascinante étude de l'émergence progressive d'un concept longtemps dénigré: celui de la 'matière' ou de la matérialité inhérente à toute œuvre. Aux seizième et dix-septième siècles, la matière constituant 'un impensé de la théorie de l'art' (p. 7) est quasi absente sous la plume des théoriciens. La matière en tant que paradigme digne d'inclusion dans le langage théorique est incompatible avec une vision de l'art qui ne saurait déroger aux principes sacrés de la mimesis dont l'ultime fonction est de donner à voir le beau sous sa forme la plus parachevée, éliminant toute trace de l'acte créateur, mû par le modus vivendum horatien de l'ut pictura poesis. Pourtant, des phylactères dans la peinture de la Renaissance (Emanuelle Hénin) aux sujets représentés en pleine lecture dans les tableaux de Georges de La Tour (Dalia Judovitz), les artistes créent déjà consciemment une dialectique subtile entre la matière physique et la matière intellectuelle de leurs œuvres, invitant le spectateur à réfléchir sur la matérialité et l'auto-réflexivité de la création artistique. L'irruption de la 'matière' dans les discours théoriques coïncide avec l'avènement au dix-huitième siècle d'une phénoménologie sensualiste (Martial Guédron). La primauté n'est plus accordée à la vue mais à un sens plus sûr: le toucher (Herman Parret). Avec le comte de Caylus (Kris Peeters), Diderot et La Font de Saint-Yenne (Julie Boch, Stéphane Lojkine, Élise Pavy) s'affirme une nouvelle conscience artistique, promouvant l'individualité et le génie de l'artiste: l'accent est désormais sur le 'faire'. Parler d'art devient un nouvel exercice de style par lequel on fait savourer au lecteur la 'matière' dans tout ce qu'elle a d'indicible. Ceci explique que la sculpture, art du palpable par excellence, soit reva-lorisée en tant qu'objet 'anthropologique' ayant sa place dans les musées sous sa forme dite la moins 'achevée', celle d'esquisse ou de modèle (Aurélia Gaillard, Anaël Le Jeune). Aux confins de cette subtile fusion des courants de pensée sensualiste et matérialiste se trouve un exemple exquis: une collection polychrome de Louis Antoine Caraccioli, dans laquelle la 'couleur' des lettres sur la page matérialise l'éphémérité de ces petits 'livres sur des riens' (Nathalie Ferrand). Au cœur de cette réflexion sur la matérialité de l'expression artistique figurent, bien sûr, la danse et la musique. [End Page 546] Jusqu'alors marginalisée, la danse est élevée au statut de 'poème' au même titre que la peinture; elle dépasse cependant cette dernière, puisque, art du mouvement, elle va au-delà d'une imitation exacte de la nature et donne à vivre la sensation à son état le plus pur (Edward Nye). De même la musique 'inféodée au discours' (p. 221) commence-t-elle à se 'dévocaliser' sur la fin du dix-huitième siècle, cédant la place à une esthétique musicale instrumentalisée de plus en plus auto-réflexive, non sans rappeler les délires de la fiction anti-romanesque d'un Sterne (Jan Herman). L'objectif de ce beau volume illustré de quelques cinquante planches est réussi; sa matière tient tous les sens en éveil.

Séverine Genieys-Kirk
University of Edinburgh
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