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  • Giono: la mémoire à l’œuvre
  • Olivier Salazar-Ferrer
Giono: la mémoire à l’œuvre. Édité par Jean-Yves Laurichesse et Sylvie Vignes. (Cribles: essais de littérature). Toulouse: Presses universitaires du Mirail, 2009. 346 pp. Pb €25.00.

Consacrer tout un volume d’études aux rapports de l’œuvre de Jean Giono à la mémoire pouvait sembler une entreprise risquée tant l’auteur de Jean Le Bleu, de Regain et des Vraies Richesses est habituellement associé à une pratique fictionnelle ou autofictionnelle digne d’un grand conteur. Ce serait négliger le fait que la mémoire n’est en rien une fonction limitée à ses formes de référentialité historique, mais représente bien un ensemble de structures narratives temporelles complexes, dans le maniement duquel le ‘menteur magnifique’, pour reprendre les termes de Christian Morzewski (p. 19), était passé maître. Qu’il s’agisse de la mémoire des objets (Marie-Anne Arnaud-Toulouse), de la mémoire de la mère (Agnès Castiglione), de la mémoire autotextuelle dans Noé (Krzysztof Jarosz), ou des grandes structures mythiques et poétiques sous-jacentes au récit (Béatrice Bonhomme), ‘les voies sont donc multiples par lesquelles le passé irrigue le texte gionien’ (p. 13). Et c’est peu dire, tant les différentes approches théoriques proposées dévoilent avec une richesse inattendue les subtilités, la profondeur et les paradoxes d’un conteur qui, plus que jamais, apparaît comme un virtuose. Lorsqu’on lui suggérait d’écrire ses souvenirs, Giono répondait: ‘Je n’ai jamais fait ça. Je me suis toujours ajouté aux choses. Il n’y a pas une miette de réalité objective dans ce que j’écris, j’invente ma carte de géographie physique et politique, mon hydrographie et ma rose des vents’ (p. 45). Qu’il s’agisse de commenter ‘Son dernier [End Page 106] visage’, un des textes de L’Eau vive, une œuvre peu connue datant de 1943, Le Hussard sur le toit ou Dragoon, il faut bien reconnaître que les spécialistes de l’œuvre, partis pour explorer les structures mnésiques avec un matériel théorique impressionnant, sont conduits malgré eux vers la reconnaissance de la fonction poétique chez Giono, c’est-à-dire d’un usage systématique de vecteurs symboliques au service d’une temporalité mythique, nostalgique ou tragique. La conclusion des éditeurs peut alors légitimement souligner le fait que ‘bien plus que de la réalité, dont il a souvent dit qu’elle ne lui était d’aucun usage, c’est de cette mémoire intime, trouée d’oubli, travaillée par l’imagination, que se nourrit la création romanesque’ (p. 332). Il faut saluer la division de l’ouvrage qui rythme le tempo de la lecture en trois temps à partir de l’analyse de la mémoire vécue, pour s’élargir à la place du mythe et de la mémoire collective, et finalement s’achever sur un questionnement théorique qui nous évite de nous égarer dans le labyrinthe des œuvres particulières. La somme magistrale d’études qui nous est présentée, à la fois originale, rigoureuse et audacieuse, conduit finalement à explorer l’intertexte plutôt que le biographique, en soulignant la diversité et la modernité des écrits gioniens, qu’il s’agisse de l’archéologie d’une mémoire collective inventée dans Le Moulin de Pologne (André Not), de la temporalité traumatique qui structure les voix narratives du Grand Troupeau (Laurent Fourcaut) ou de la chronique fictionnelle à l’œuvre dans Un roi sans divertissement.

Olivier Salazar-Ferrer
University of Glasgow
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