Le Rayonnement de Bayle (review)

Pierre Bayle fut à la fois un membre essentiel de la vie intellectuelle en Europe dès 1680, initiateur d'une 'République des Lettres' exigeante et accueillante, selon Antony McKenna et Gianni Paganini (Pierre Bayle dans la république des Lettres (Paris: Champion, 2004)), et un auteur plus connu que lu. C'est pourquoi il convient de saluer la parution de ce nouvel ouvrage dont les responsables et les contributeurs, tous éminents spécialistes de Bayle et fervents admirateurs de l'écrivain comme du penseur, rappellent l'urgence, surtout dans une France toujours tentée de se penser 'toute catholique', de ne pas négliger ni oublier une si haute figure de l'intelligence protégée du risque dogmatique par son 'athéisme méthodologique' (Edward James, p. 142 et Philippe de Robert, p. 257), et d'une tolérance préservée de toute 'condescendance' ou 'faiblesse' (Ghislain Waterlot, p. 153; Jean Baubérot, p. 183) par une sociabilité 'généreuse' (Ruth Whelan, p. 118) et 'franche, en quête du vrai' (p. 123). Du fait de ces qualités, Bayle rayonna en son temps par son parcours personnel (Chapitre I): né 'ariégeois' (Claudine Pailhès, p. 9), il se conçut 'citoyen du monde' (cf. Pierre Bayle, citoyen du monde, éd. par Hubert Bost et P. de Robert (Paris: Champion, 1999)) et 'penseur d'une société à vocation universelle' (Myriam Yardeni, p. 52). Il rayonna aussi par sa correspondance dont A. McKenna, H. Bost, R. Whelan, Luc Daireaux et E. James dévoilent savamment la richesse sociologique, biographique et psychologique (Chapitre II). Il rayonna, en outre, par une 'réflexion philosophique' (Chapitre IV) sur autrui (Isabelle Delpla, p. 189), sur la violence idéologique (Jean-Michel Gros, p. 199) et sur le théologico-politique (Olivier Abel, p. 215; les actes du colloque clermontois, 19-21 septembre 2002, sur la question auraient pu être ajoutés aux références de cette contribution: Formes littéraires du théologico-politique, éd. par Jean Pironon et Jacques Wagner (Clermont-Ferrand: Presses universitaires Blaise Pascal, 2003)) par ses méditations et ses attitudes face à la mort (Chapitre VI). Mais s'il doit encore rayonner aujourd'hui dans tout espace social et idéologique, c'est par son 'engagement pour la tolérance' (Chapitre III) dont J. Baubérot, dans une étude percutante, affirme le rôle salvateur de contrepoids à la masse compacte des évidences sociales constitutives de tout 'vivre-ensemble' (p. 186). Ce magnifique ouvrage, par les fondements scientifiques de ses argumentations et par la ferveur éclairée de ses contributeurs, apporte une dernière confirmation de son titre au travers d'une bibliographie quasiment exhaustive des travaux bayliens menés depuis 1900 à nos jours (pp. 263-308). Les Bayliens de ce recueil sont, comme leur maître, des érudits soucieux de vérités historiques et les membres d'une République attentive à penser et à pratiquer une sociabilité raisonnée. Comme lui, ils offrent à leurs lecteurs les bienfaits du savoir et les plaisirs de l'honnête amitié qui visent à transcender toutes les barrières.