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  • "Des Arabes, j'en suis sûre!":Rompre le silence dans Entendez-vous dans les montagnes . . . de Maïssa Bey
  • Etienne Achille

Écrivaine algérienne de la nouvelle génération, Maïssa Bey (née en 1950) s'est déjà assurée une place d'importance dans les nouvelles écritures du Maghreb. Six ans après Au commencement était la mer, son premier roman qui traitait de l'Algérie des années quatre-vingt-dix faisant face à l'islamisation radicale, Bey nous propose avec son récit Entendez-vous dans les montagnes . . .1 publié en 2002 un travail de mémoire, un travail de réécriture de l'histoire récente franco-algérienne et de paroles retrouvées. L'esthétique d'Entendez-vous est bien différente de celle du modèle fondateur du roman algérien proposé par Kateb Yacine avec Nedjma que Charles Bonn et John Erickson caractérisent comme point de départ d'une "nouvelle identité littéraire algérienne"2 basée sur "un récit mythique,"3 ou "un présent mythique."4 Bey s'inspire d'auteurs comme Albert Camus, Michel Butor et Franz Kafk a, mais certains aspects de son récit rappellent les caractéristiques propres à l'œuvre d'Assia Djebar. En choisissant de mettre face à face la fille d'un résistant mort sous la torture et l'un de ses tortionnaires français, le travail d'anamnèse de Maïssa Bey s'inscrit dans la continuité de celui de Djebar. Historienne de formation, Djebar s'en prend aux discours officiels algérien et français de la colonisation. Comme le souligne Hafid Gafaïti, Djebar tente de reconstruire "l'histoire moderne de l'Algérie du point de vue de ceux qui ont été exclus par l'idéologie officielle en les réduisant, contre toute évidence, à un rôle secondaire: les femmes."5 Cette remise en question du discours officiel masculin, rigide et unilatéral, qui dogmatise le peu que l'on sait de la guerre d'Algérie et sert à légitimer la politique franco-algérienne contemporaine s'effectue notamment, selon Réda Bensmaïa, par une recherche et une "juxtaposition ou dissémination de fragments dispersés (d'Histoire/histoires ou d'événements) en quête d'unité à venir (ou à être créée)."6 L'emploi [End Page 251] de la métafiction permet à Djebar de se baser sur des faits historiques réels, et d'examiner la véracité des versions existantes tout en reconstituant une nouvelle mémoire collective. Les techniques employées par Bey diffèrent de celles de Djebar sur trois points principaux.

Une première différence tient au fait que le corps et le toucher ne jouent pas un rôle crucial dans l'anamnèse. Dans Entendez-vous, la narration est extrêmement "plate," proche du degré zéro définit par Roland Barthes tout au long d'un récit sans grands rebondissements ou coups d'éclats. La phrase "Des Arabes, j'en suis sûre!" lancée par une femme à propos d'une soi-disant tentative de vol qui vient de se dérouler dans le train (23),7 est à l'origine de la parole libérée, l'élément déclencheur du dialogue entre les personnages. Chez Djebar, le corps tient une place prépondérante. C'est par l'intermédiaire du contact corporel, parfois sexuel, que la parole se libère. Clarisse Zimra souligne ainsi l'association du "corps exposé librement [. . .] et la voix libérée de manière triomphante"8 dans l'œuvre de Djebar, notamment dans Femmes d'Alger dans leur appartement ou Les nuits de Strasbourg. Abdelkébir Khatibi avait d'ailleurs parlé de "la découverte du corps chez l'auteur algérienne"9 avant même que ces deux romans ne soient parus.

Le style de Bey se détache également sensiblement de celui de sa compatriote par sa sobriété et sa retenue. Djebar nous propose des textes écrits dans le style dit des "Belles Lettres," style riche, parfois même lyrique. Mireille Calle-Gruber définit l...

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