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  • Poésie sonore & médiopoétique1
  • Jean-Pierre Bobillot

I. La poésie sonore: poésie scénique & poésie enregistrée

Poème-partition B2B3

Composé par Bernard Heidsieck en 1962, c'est la première œuvre poétique jamais réalisée, intégralement basée sur la superposition de deux "textes" différents: l'un, destiné à la lecture live, par le poète (debout, tenant bien visiblement les feuillets dactylographiés); l'autre, destiné à la diffusion off, synchrone avec la lecture (et pour cela, pré-enregistré):

Lorsque ce texte a été donné en public, j'ai toujours lu, ou dit, sur scène,—style très anonyme de conférence—l'exposé de technique bancaire qui en constitue l'une des deux parties, l'autre partie, sur bande, étant retransmise par les haut-parleurs, simultanément.2

Ce procédé, réalisant la synthèse de la poésie scénique (voix+action ou performance) et de la poésie enregistrée (voix+technologie du son ou phono-technè), fut inauguré en mai 1963, lors des soirées du "Domaine poétique" à Paris. La même année, B2B3 fut publié sur disque 18 cm souple (mono) avec la revue KWY, puis en 1964 sous la forme d'un livre+disque au Castel Rose, par Paul-Armand Gette et Gianni Bertini.

L'œuvre sonore est destinée prioritairement à la lecture publique, par le poète lui-même; et en second lieu au disque, et à l'écoute privée dont il est le support. Sur la bande magnétique définitive (et sur le disque), les deux "textes," enregistrés en parallèle, se superposent de façon synchrone tout le temps que dure le poème: à l'écoute, ils ne sont donc pas séparables et constituent un seul texte. Sur la page dactylographiée (tapuscrit) comme sur la page imprimée (livre), les deux colonnes semblent constituer deux "textes" autonomes: ce qu'on y lit n'est pas le poème. [End Page 19]

Le "texte" écrit n'y est pas le texte. Comme l'indique le titre, il n'en livre que la "partition": ses composants verbaux, distribués sur la page suivant une disposition typographique particulière, et éventuellement des didascalies concernant l'enregistrement, la lecture, l'action qui l'accompagne. L'œuvre sonore n'a lieu que dans—et par—son exécution, publique ou discographique.

Les quatre composantes de la Poésie sonore

En tant que telle, la "poésie sonore" ou "action" participe de plusieurs histoires, dont elle constitue une synthèse et un dépassement:

  • • Celle de la poésie scénique, qu'on peut faire remonter aux joyeuses et houleuses séances du club des "Hydropathes," fondé par Émile Goudeau à Paris (1878), où s'illustrèrent notamment Marie Krysinska et Maurice Rollinat, et auquel succéda le "Chat noir" de Rodolphe Salis (1881). De Rollinat et de ses improvisations vocales et pianistiques, qui stupéfièrent ou indignèrent les contemporains, Goudeau écrivit: "Qui n'a fait que le lire, n'a point connu ce merveilleux artiste."3

  • • Celle de la poésie enregistrée, qu'on peut faire remonter aux séances phonographiques de décembre 1913, dirigées par Ferdinand Brunot, aux "Archives de la Parole," à la Sorbonne: Apollinaire, Verhaeren, René Ghil, etc. Dès février 1914, dans sa revue Les Soirées de Paris (nº22), Apollinaire avait proclamé:

    Avant peu, les poètes pourront, au moyen des disques, lancer à travers le monde de véritables poèmes symphoniques. Grâces en soient rendues à l'inventeur du phonographe, Charles Cros, qui aura ainsi fourni au monde un moyen d'expression plus puissant, plus direct que la voix d'un homme imitée par l'écriture ou la typographie.

  • • Celle de la poésie simultanée ("à plusieurs voix"), où allaient se croiser les deux précédentes, et qu'on peut faire remonter à la répétition de L'Église de Jules Romains, par plusieurs récitants, qui eut lieu chez Apollinaire en 1908. Dès juin 1914, toujours dans Les Soirées de Paris (nº25), celui-ci avait lié l'avenir de...

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