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Reviewed by:
  • Le Corps cosmos
  • Samuel Martin
Michel Collot . Le Corps cosmos. Bruxelles: La Lettre volée, 2008. 112 pp.

Depuis une trentaine d'années, Michel Collot poursuit des recherches essentielles sur la poésie moderne, au cours desquelles il navigue entre phénoménologie, psychanalyse, et linguistique avec une rare intuition poétique (voir surtout La Poésie moderne et la structure d'horizon ou, plus récemment, Paysage et poésie. Du romantisme à nos jours). Collot est lui-même un poète de talent, ce qui est encore plus en évidence ici que dans ses essais critiques précédents. Si Le Corps cosmos est avant tout une étude des manifestations et des expériences du corps dans la poésie française des 19e et 20e siècles, il est aussi une série de réflexions très intimes qui livrent un aperçu fascinant de la pratique créatrice de l'auteur.

La première partie éponyme distingue entre "deux versions du corps" qui ont prévalu dans la modernité poétique. L'une le séparerait de l'esprit afin de le privilégier (même fragmenté ou éclaté); selon Collot, cette démarche, annoncée par des auteurs comme Lautréamont et perpétuée par exemple chez quelques praticiens bien connus de la revue Tel Quel, ne ferait qu'inverser une hiérarchie traditionnelle sans la mettre en question. C'est l'alternative, qui penserait le corps comme "un carrefour où se rencontrent le moi, le monde et les mots" (10), qui l'intéresse bien plus. S'appuyant sur la conception phénoménologique de la chair telle qu'elle a été élaborée notamment par Merleau-Ponty, Collot offre un plaidoyer éloquent pour un verbe poétique incarné dans lequel sens et sensation seraient réunis. Le corps est le site d'une ouverture à l'altérité—une altérité qui, dans les œuvres [End Page 139] interrogées ici, prend souvent la forme d'un paysage; un poème réussi capte le moment où le dedans et le dehors fusionnent, et où le poète s'intègre à "la chair du monde." Bien que Collot évoque parfois la notion de lyrisme, il semble prendre soin d'éviter la confrontation entre lyrisme et littéralité qui polarise toujours le champ poétique français—et les poètes cités dans cette partie (de Rimbaud à Lorand Gaspar, d'Artaud à Bernard Noël) sont assez divers pour éliminer tout soupçon d'une quelconque intention polémique.

La deuxième partie, "Physique du poème," contient quelques surprises. Collot continue à explorer le lien entre corps et expression poétique. Grand spécialiste d'André du Bouchet, il consacre quatre pages concises à la façon dont la mise en page des textes de Du Bouchet affecte l'expérience visuelle et même respiratoire du lecteur. Cinq pages sur l'"objeu" de Francis Ponge condensent une section plus ample de son ouvrage de 1991, Francis Ponge entre mots et choses, sans dessein d'y apporter du nouveau. Moins attendues cependant sont les remarques sur Mallarmé. Collot en propose une interprétation qui va à l'encontre de celle propagée par la critique depuis quelques décennies; il se sert du célèbre "sonnet en yx" pour démontrer que même un poème réputé abstrait parmi tous a un pouvoir d'évocation et une "tonalité affective" qui permettent au lecteur de le sentir résonner dans le corps. Chacune de ces courtes études nous rappelle qu'un jeu virtuose sur les signifiants peut en même temps constituer un système référentiel complexe.

Mais les pages les plus audacieuses, et le véritable coeur du livre, se trouvent dans les sections de la deuxième partie intitulées "Poésie et sensation" et "Enjamber l'horizon." Très habile en critique génétique (en témoigne La Matière-émotion de 1997), Collot écarte ici toute prétention à l'objectivité en se penchant sur un certain nombre de ses propres poèmes pour éclairer les étapes successives de leur composition. Le...

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