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  • Matière à photographie:Cosmopolitique et modernité créoles à l'Ile Maurice
  • Françoise Lionnet

Ile tropicale paradisiaque et accueillante aux touristes, "nation arc-enciel," pays cosmopolite où des cultures diverses se côtoient et se respectent, République pluriculturelle et multiconfessionnelle où règne l'harmonie: voici l'image de marque, même si la réalité sociale au quotidien ne s'y conforme pas. Les discours politiques veulent souligner, dès l'indépendance, ce qu'il y a d'unique dans l'expérience mauricienne de la diversité. Lorsque le pays est admis aux Nations Unies le 24 avril 1968, le Premier Ministre Sir Seewoosagur Ramgoolam, parlant au nom de la délégation mauricienne devant l'Assemblée à New York, explique que:

It is indeed true to say that although Mauritius has drawn its cultural inspiration from Africa, Asia and Europe, yet it has succeeded to a remarkable degree in evolving a distinct Mauritian way of life. The visitor to Mauritius is impressed by the fact that the average Mauritians have more in common with each other than with the native inhabitants of the land of their forbears. Indeed, it has been the privilege of my small country that its citizens have inherited the influence of the best traditions of the East and of the West.

("United Nations")

Trente ans avant le fameux Eloge de la créolité des Martiniquais Jean Bernabé, Raphaël Confiant et Patrick Chamoiseau qui annonce en 1989: "Ni Européens, ni Africains, ni Asiatiques, nous nous proclamons Créoles" (13), Ramgoolam déploie la même rhétorique, sans pour autant utiliser le mot "Créoles." Ce qu'il souligne plutôt, c'est le "distinct Mauritian way of life," une façon spécifique de vivre et de promouvoir la diversité qui correspond déjà à ce que les théoriciens du cosmopolitisme articulent aujourd'hui selon des vocables variables, tels que "situated" (Simpson 2001 78, 93, Harding), "embodied" [End Page 75] (Mellor), "vernacular" (Bhabha), ou encore "discrepant cosmopolitanism" (Clifford). Ces formes de cosmopolitanisme propres à des contextes culturels et historiques donnés sont des concepts utiles pour penser la diversité en pays pluriels généralement, et à Maurice en particulier.

Maurice a été une vraie fabrique de mondialisation depuis son peuplement, et elle continue de participer activement à ce qu'une exposition au Parc de la Villette à Paris en juin 2009 qualifiait de Kréyol Factory. Le mot "Créole" correspond aujourd'hui encore à des identités qui sont plus fluides en Martinique ou à La Réunion qu'à Maurice, où ses connotations raciales restent beaucoup plus précises et où les controverses linguistiques perdurent malgré le rôle incontesté, véhiculaire et vernaculaire, du kreol morisien. Dans les années 70, c'est en utilisant la langue créole que le parti d'opposition, le MMM ou Mouvement Militant Mauricien, lance son slogan nationaliste "enn sel lepep enn sel nasyon" [un seul peuple, une seule nation] pour défendre le même idéal d'unité précédemment articulé par Ramgoolam ainsi qu'une plateforme de justice sociale que ce parti oppose cependant au libéralisme économique du pouvoir en place.

La déclaration de 1968 à l'ONU, tout comme le slogan politique du MMM, a créé une idéologie forte et des images positives qui ont donné forme et continuité au principe "d'unité dans la diversité" sur lequel la nation se construit officiellement depuis ses débuts. Cette idéologie est devenue une évidence d'autant plus puissante et durable qu'elle correspond, selon la formule bien connue de Benedict Anderson, à l'idée de "nation imaginée," bâtie sur une volonté affichée de diversité heureuse, mais qui doit être régulièrement reconduite et réaffirmée puisque l'unité et l'harmonie ne vont pas de soi, car elles ne sont pas des données "naturelles" dans ce contexte hétérogène, cosmopolite, créolisé, mais souvent conflictuel.

L'anthropologue norvégien Thomas H. Ericksen soutient que le pays évolue dans le sens de la formule créole "tu dimunn pu vini kreol" [tout le monde se créolise]. Mais il souligne aussi la vuln...

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