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  • The Practice of Diaspora: Literature, Translation, and the Rise of Black Internationalism
Brent Hayes Edwards . The Practice of Diaspora: Literature, Translation, and the Rise of Black Internationalism. Cambridge: Harvard University Press, 2003. 397 pp. Illustrations. Notes. Bibliography. Index. $55.00. Cloth. $24.95. Paper.

La première moitié du vingtième siècle a-t-elle témoigné d'une collaboration soutenue entre les Noirs d'Afrique, des Antilles et des Amériques? Très peu de chercheurs qui s'intéressent aux "mondes noirs" répondraient négativement à cette question. Au détour d'une conversation, au hasard d'une lecture scientifique, l'on a pu apprendre que la figure intellectuelle emblématique africaine-américaine, W.E.B. Du Bois a fini ses jours au Ghana, où il avait finalement élu domicile à la l'invitation du premier chef d'État de ce pays indépendant, Kwame Nkrumah, qui avait lui-même fait ses études dans l'une des rares universités noires des Etats-Unis: Lincoln University, en Pennsylvanie.

Si beaucoup de recherches sur les mouvements littéraires ou intellectuels noirs sont émaillées de ce type de révélation, difficilement trouvables [End Page 199] sont cependant les travaux scientifiques qui se fixent comme objectif de rendre raison systématiquement des modalités et des formes de mise en place d'un réseau diasporique noir. Telle est la grande entreprise magistralement conduite de Brent H. Edwards, qu'il réussit du reste magistralement. Pour ce faire, l'auteur a engrangé une somme monumentale de données brutes qui se classent dans une variété de rayons de connaissances allant de la littérature (roman, poésie, etc.), à la critique littéraire, à la musique, aux archives nationales et privées, et à l'histoire.

Le livre est composé de cinq grands chapitres auxquelles s'ajoutent, en amont, un prologue et, en aval, un épilogue. Dans la partie introductive, Edwards s'attelle à la construction de sa problématique. Il montre, en s'appuyant sur des textes de première main, que la mise sur une pied d'un internationalisme noire a été clairement exposé dès les années 1920 comme une quête de lettrés noirs, singulièrement ceux du continent américain. Mais cette quête à laquelle ses auteurs souhaitaient voir adhérer au moins l'élite de toute une race devait surmonter un important obstacle pour s'accomplir: celui de la langue. En effet, l'internationalisme noir signifiait la jonction de populations partageant certes la même caractéristique épidermique mais qui s'exprimaient dans trois langues différentes: l'anglais, le français notamment et l'espagnol. Cette différence de langues pose l'accomplissement de l'internationalisme noir comme un processus tributaire de la traduction (translation). La traduction, comme le montre l'auteur est en quelque sorte articulation, l'un des concepts élaborés avec conviction par l'auteur. Elle doit permettre de réaliser la jonction entre Francophones noirs et Anglophones noirs censés agir de concert, non sans risque de créer quelques différends. Après tout, traduttore tradittore; les mots d'une langue et les subtilités de sens qu'ils renferment n'ont pas toujours leurs équivalents exacts dans une autre langue. Edwards montre comment cette volonté d'articulation de Noirs appartenant à des univers linguistiques différents est envisagée par la multiplication de rubriques bilingues, notamment les éditoriaux, dans les revues fondées par les lettrés noirs. Déjà, le lecteur prend la mesure de l'idée qui innerve tout ce livre, soit la conception de l'internationalisme noir comme une pratique qui consiste surtout en la traduction.

Dans le premier chapitre, Edwards rend compte de l'une des premières entreprises littéraires de mise en relation des écrivains noirs en France avec ceux des États-Unis. Cette entreprise est celle de Jane Nardal, étudiante martiniquaise à Paris, qui manifeste à Alain Locke, professeur à Howard University, sa volonté de faire connaître son livre, The New Negro, au public francophone par sa traduction en français. Ce qu'Edwards montre par surcroît dans ce chapitre, à travers la correspondance entre Nardal et Locke, c'est essentiellement la difficulté de traduction. Les variations de la restitution en français du mot Negro dans les textes des écrivains francophones en attestent. Variations dues à la perception différente de ce mot dont un des équivalents en français, Nègre, est tantôt négatif, tantôt positif. [End Page 200] Du reste, dans son souci de restituer la version originale de ses citations, Edwards lui-même n'échappe à cette difficulté de traduction.

Dans le deuxième chapitre, "On Reciprocity: René Maran et Alain Locke," Edwards montre, à travers la traduction en anglais de Batouala, le roman de René Maran récipiendaire du prix Goncourt, comment le public noir américain est informé de la condition des Africains sur leur propre continent. Qui plus est, il y révèle une facette peu connue de Maran, souvent réduit à son titre de romancier ou sa fonction d'administrateur colonial nègre: son implication dans la mouvement internationaliste noir. On apprend ainsi que Maran était très actif au sein de la revue Les continents, une publication fort critique vis-à-vis de la politique française dans les colonies. Dans ce même chapitre, les divergences entre les lettrés noirs francophones, d'une part, et anglophones d'autre part, mais aussi entre anglophones sont analysées avec finesse. Il s'agit de relatives entre autres à la perception différente de la France par les deux groupes linguistiques. Aux activistes et lettrés tels que Garvey et Locke par exemple, Maran reproche leur sorte de naïveté qui les empêche de ne pas faire la part entre le discours sur l'égalité servi à l'opinion internationale par la France et sa pratique dans ses colonies d'Afrique.

Le troisième chapitre, "Feminism and l'Internationalisme noir: Paulette Nardal," est une contribution importante à l'histoire de la place des femmes dans le mouvement nègre. Car force est de constater que dans la littérature francophone, très peu d'attention a été porté sur le rôle des femmes dans ce mouvement. Or, Edwards met en lumière la fonction d'organisation et de jonction que des femmes comme les sœurs Nardal ont eu à assumer pour le rapprochement des lettrés noirs à travers les trois continents. Dans le chapitre qui suit, "Vagabond Internationalism: Claude McKay's Banjo," l'auteur établit l'influence de Claude McKay sur une partie des intellectuels noirs à Paris, ceux organisés autour de la revue Légitime Défense, et fondateurs à venir, pour certains, du mouvement de la Négritude. Ces acteurs ont vu en Banjo une source de libération littéraire. S'appropriant ce roman dont ils ont traduit de longs extraits dans les colonnes de leur revue, ils se sont intéressés aux passages où McKay prêche le respect de la tradition folklorique nègre. Ce retour aux sources, à la tradition noire, ce refus d'une assimilation complète allait être, comme on le sait, le credo fondateur du mouvement de la Négritude. En mettant en relief cet aspect de la lecture de Banjo, Edwards nuance une thèse longtemps admise dans l'espace de la critique littéraire africaniste, celle de Kesteloot qui fait du mouvement surréaliste l'inspirateur majeur du milieu intellectuel noir que constituait Légitime Défense.

Dans le dernier chapitre du livre, "Inventing the Black International: George Padmore and Tiemoko Garan Kouyaté," l'auteur rend justice à l'ancien élève de William Ponty (en l'occurrence Kouyaté) dont la contribution à l'organisation d'un mouvement anticolonialiste en France est très peu étudiée. De cet exercice Edwards se tire avec brio. La biographie militante [End Page 201] de Kouyaté qu'il brosse est d'une grande richesse. Les relations établies par celui-ci avec George Padmore dans le mouvement communiste international dont ils finissent tous les deux par en être exclus sont finement analysées. À travers l'analyse qu'il fait de la trajectoire de ces deux activistes passant de l'implication dans les cénacles communistes internationaux—au sein desquels Padmore en particulier eut à occuper une position aussi privilégiée, mais non moins dénuée de substance, que celle de membre du parlement soviétique—à l'effort d'organisation des Noirs à travers le monde, Edwards établit toute la difficulté pour un intellectuel noir préoccupé de la condition spécifique de son peuple d'envisager entièrement son action au sein des appareils communistes. Les sorts de Padmore et Kouyaté ne sont que des exemples auxquels ajouter d'autres cas comme celui de Césaire.

Le livre se termine avec l'épilogue "Coda: The Last Anthology." En partant de la réflexion de Makonnen, Edwards avance l'idée que l'internationalisme noir était élaboré aussi dans la culture populaire. Dans cet épilogue, l'auteur s'arrête en outre sur Negro: An Anthology, publiée par Nancy Cunard en 1934. Cette anthologie semble vouloir témoigner d'une époque, celle de la mise sur pied d'un internationalisme noir. Ainsi consigne-t-elle dans plus de 800 pages des textes traitant d'une variété de questions telles que la création littéraire et artistique des Noirs, leurs expériences sociales dans les Amériques, en Afrique et en Europe.

Voilà en somme un livre riche qui trouvera sa place dans le rayon des ouvrages consacrés aux mouvements intellectuels noirs.

Abdoulaye Gueye
University of Ottawa
Ottawa, Canada

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