Go to Page Number Go to Page Number
In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

La Nouvelle Revue française, 19 (1 Dec 1922) 751-56

On dit souvent qu’il n’existe pas en anglais une prose étalon. À l’analyse on découvre que cette critique pourrait se formuler plus exactement ainsi : la prose anglaise, si on la compare à la française, à l’italienne et à l’espagnole, s’est développée tard. Les formes premières qu’elle assuma visaient des emplois spéciaux et limités ; et lorsqu’on arrive à l’époque de Hobbes, la sensibilité et la pensée anglaise avaient déjà trouvé leur expression dans le vers : comparer le vers du temps de Shakespeare à la prose correspondante équivaut à comparer un esprit adulte et indépendant avec un esprit qui n’a encore atteint ni maturité ni indépendance. Aucune prose n’est jamais parvenue à rendre l’esprit anglais au degré où l’on peut dire que le style de Montaigne traduit l’esprit français : à des périodes diverses de notre histoire littéraire on retrouve le contraste de styles qui ont très peu de choses en commun. D’où la difficulté à n’importe quel moment d’assigner un style à une période donnée. Si nous lisons tout ce que la prose anglaise a produit de meilleur, nous pouvons arriver à savoir comment cette prose s’est développée ; mais nous nous apercevrons qu’il est très difficile de faire des généralisations à son sujet.

Néanmoins il demeure possible de suivre à travers le xix esiècle jusqu’à notre génération un ou deux courants et d’en marquer la disparition. Il est assez curieux de constater que les talents les plus originaux qui aient fait leur apparition dans notre littérature pendant la majeure partie du xix esiècle furent des prosateurs. Ni Tennyson, ni même Browning – et je n’avance ceci qu’après mûre délibération – ne peuvent prétendre à occuper une place de l’importance de celles de Ruskin, Newman, Arnold ou Dickens. C’est le style de Carlyle qui constitua la grande nouveauté. Jusque-là la prose habituellement en usage se rattachait à la tradition de Gibbon et de Johnson : le style de Macaulay est un style du xviii esiècle avili par une exubérance de journaliste et une émotion théâtrale ; le style de Landor est un style du xviii esiècle atteint de bizarrerie. Cependant le style de Landor est un beau style ; celui de Macaulay représente les résidus d’un beau style aux mains d’un démagogue littéraire. Carlyle – un intellectuel sans intelligence, et un érudite sans culture – possédait une sensibilité unique et précieuse, qu’il exploita mais sans la discipliner; toutefois, si une licence avouée vaut mieux qu’une dépravation qui se cache, son style est plus sain que celui de Macaulay. Les effets de telles orgies ne s’en laissent pas moins voir non seulement dans l’œuvre des descendants authentiques de Carlyle – comme George Meredith – mais même dans l’œuvre de ceux qui paraissent appartenir à un type d’esprit tout différent. La prose de tradition classique, pleine à la fois de dignité et d’aisance, dont le défaut résidait surtout dans la pompe et où l’antithèse constituait le procédé le plus fréquent, disparut. Thackeray est souvent diffus ; Ruskin souvent exagéré et vexatoire ; le cardinal Newman lui-même, à qui nous devons la plus belle prose qui ait été écrite au xix esiècle, est limité aux couleurs automnales de son émotion propre, particulière. Disons pour simplifier que même dans les cas où Carlyle n’est pas directement à l’origine de cette rupture d’équilibre de la prose anglaise, il sert encore de point de repère à l’aide duquel la mesurer.

À partir de ce moment il y a presque toujours dans la prose anglaise, même lorsqu’elle paraît le plus opposée...

Published By:   Faber & Faber logo    Johns Hopkins University Press

Access