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La Nouvelle Revue française, 27 (1 Nov 1926) [524]-26; trans. Ramon Fernandez.

Il est téméraire à moi d’écrire sur Mallarmé. Sa poésie compte beaucoup d’admirateurs et même de fanatiques, hors de France, et particulièrement en Angleterre, qui sont mieux qualifiés pour prendre la parole. Il me faut donc chercher une excuse. Voici, je crois, la plus plausible : beaucoup d’admirateurs de Mallarmé, surtout à l’étranger, se sont appliqués à déchiffrer ses énigmes et à apprécier sa syntaxe et sa métrique. Mais il y a un autre aspect du « problème » que je puis peut-être traiter avec plus de compétence, et qui n’est pas négligeable : ce qu’on pourrait appeler l’aspect de littérature comparée – je ne veux pas dire une vaine étude des origines et des influences, mais la définition du type du poète, établie par une comparaison avec d’autres manifestations de ce type dans d’autres langues et à d’autres époques. Je ne propose pas une solution – qui exigerait tout un volume – mais une suggestion, la simple esquisse d’un schème qu’il serait peut-être possible de développer.

Dans une suite d’études encore incomplète j’essaie de définir la nature de ce qu’on appelle la poésie métaphysique. L’expression n’est pas des plus heureuses, car on s’en est servi d’abord pour désigner le style poétique employé en Angleterre dans la première moitié du dix-septième siècle ; et son extension comprend Marino et Góngora, c’est-à-dire le style baroque. Il nous faut pourtant travailler avec les mots que nous trouvons, en tâchant de leur donner un sens plus précis. La poésie métaphysique n’est pas identique à la poésie philosophique: chez Dante nous trouvons l’une et l’autre, Lucrèce est avant tout et à peu près exclusivement philosophique. Et le terme psychologique ne convient pas non plus. On pourrait suggérer la différence en disant que George Eliot est un romancier philosophique, Dostoïevsky un romancier psychologique, Henry James un romancier « métaphysique » : encore que cette division ne soit aucunement exacte ni suffisante.

Le poète philosophique est celui qui vit d’un système, soit complet et conscient comme ceux de Dante et de Lucrèce, soit fragmentaire ou simple objet de recherche comme celui de Baudelaire. Le poète « métaphysique » peut avoir, et quand il excelle il a le tour d’esprit philosophique : par exemple Cavalcanti, Donne, Poe et Mallarmé. Mais la théorie particulière qu’il fait sienne, s’il la fait sienne, n’est pas nécessairement une avec ce qu’il a à donner. Donne, Poe et Mallarmé ont la passion de la spéculation métaphysique, mais il est évident qu’ils ne croientpas aux théories auxquelles ils s’intéressent ou qu’ils inventent à la façon dont Dante et Lucrèce affirmaient les leurs. Ils se servaient de leurs théories pour atteindre un but plus limité et plus exclusif : pour raffiner et pour développer leur puissance de sensibilité et d’émotion. Leur œuvre était une expansion de leur sensibilité au-delà des limites du monde normal, une découverte de nouveaux objets propres à susciter de nouvelles émotions.

En cela ils se distinguent aussi de l’halluciné: ils ne sautent pas brusquement dans un monde de rêve ; c’est le monde réel qui est par eux agrandi et continué. Parmi les grands écrivains l’halluciné est peut-être plus rare qu’il ne semble. Les distinctions absolues sont dangereuses en cette matière ; cependant on peut dire en toute confiance qu’il y a fort peu de l’hallucinéchez Poe et chez Mallarmé. Pour être admis dans le monde de Rimbaud ou de Blake nous devons nous soumettre patiemment à une réorganisation complète, 2* tandis qu’avec Mallarmé, avec Donne, avec Baudelaire, et je crois...

Published By:   Faber & Faber logo    Johns Hopkins University Press

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