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xi Avant-Propos Pour beaucoup de lecteurs, mon nom reste attaché, avec quelques autres, à la critique de l’ethnophilosophie. Certains ont cru éprouver, en lisant mes brèves «Remarques sur la philosophie africaine contemporaine», et plus tard le recueil d’articles Sur la philosophie africaine, une sorte de libération intellectuelle. L’horizon paraissait se dégager, une fois levés les interdits imaginaires qui frappaient, à leurs yeux, de vastes domaines de la recherche philosophique jugés trop éloignes des préoccupations africaines, et l’obligation non moins imaginaire faite à nos jeunes chercheurs de s’en tenir à une interrogation sur l’ Afrique, en parcourant à leur manière et avec leur outillage conceptuel propre, le champ, somme toute assez étroit, circonscrit et balisé par une longue tradition africaniste. Des travaux sur la logique et l’épistémologie redevenaient possibles, là où l’on se serait cru obligé, sous peine de trahison, d’étudier la logique et l’épistémologie africaines. Une réflexion sur les valeurs, sur les fondements de l’éthique et de la politique, de l’esthétique et de la conscience du beau, du discours et de l’exigence du vrai en général, redevenait légitime, là où l’enfermement géographique habituel aurait voulu que l’on s’interrogeât exclusivement sur les valeurs africaines, les conceptions éthiques, politiques et esthétiques africaines, la théorie de la connaissance ou, pour parler comme Tempels, la «critériologie» africaine. Le chercheur pouvait à nouveau revendiquer, sans mauvaise conscience ni fausse honte, ce devoir de vérité, ce désir de certitude apodictique propres à toute recherche authentique. Le philosophe, en particulier, pouvait à nouveau se réclamer de cette exigence d’universalité fondatrice de sa discipline, en refusant la tentation du relativisme culturel («à chaque culture sa vérité»), et en se reconnaissant clairement la vocation à énoncer des propositions d’une validité sans frontières, s’imposant à tous, en tout temps et en tous lieux. Si la critique de l’ethnophilosophie a eu chez certains lecteurs cet effet libérateur, elle semble avoir joué par contre, chez quelques autres, un rôle inhibiteur en les retenant, par excès de scrupule et d’hésitation, d’exercer sur la pensée, la culture et l’expérience africaines leur talent d’analystes et de philosophes. Comme si toute réflexion sur l’Afrique était devenue a priori suspecte de contamination ethnophilosophique, et qu’il fallait, pour garder la pureté philosophique, planer au-dessus des situations concrètes! xii En mentionnant ces deux sortes de réaction, l’une féconde et l’autre passablement improductive, je ne fais qu’indiquer la place d’un problème qu’il serait intéressant d’aborder en lui-même: celui de l’impact de la critique de l’ethnophilosophie. Il serait intéressant d’évaluer cet impact par les méthodes les plus rigoureuses, de manière à apprécier l’effet de cette critique sur la productivité intellectuelle et à la situer à sa juste place dans l’histoire de la recherche philosophique africaine comme dans celle, plus vaste, de la recherche africaniste1 . La présente étude a cependant un autre objet. Elle vise d’une part, a apprécier, à travers les travaux successifs que j’y ai consacrés, l’unité et révolution, la constance et les déplacements d’accent de la critique de l’ethnophilosophie, mais aussi d’autre part, à situer cette critique par rapport à l’ensemble des préoccupations qui la portent, et que j’ai aussi très clairement exprimées dans d’autres textes. Je serai ainsi amené à évoquer d’abord, parmi mes premiers travaux, ceux que j’ai consacrés à Husserl, à savoir un mémoire de diplôme d’études supérieures sur la notion de (hylè) et une thèse de troisième cycle sur l’idée de science dans les Recherches logiques. Pour être restés inédits, ces travaux d’étudiant n’en expriment pas moins une exigence fondamentale qui, d’une certaine façon, éclaire la suite: la valorisation de la science, l’idéal d’une philosophie conçue comme «science rigoureuse», pour reprendre les propres termes du philosophe allemand. La critique de L’ethnophilosophie renvoie au moins pour une part à cet idéal. En rappelant les principaux arguments et l’enjeu de cette critique, de même que la grande discussion qu’elle devait susciter dans les milieux intellectuels africains et africanistes, on identifiera au passage quelques-uns des...

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