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104 Les étudiants africains et la littérature négro-africaine d’expression française 19 Maïmouna de Abdoulaye Sadji Editions Présence Africaine 1958 Cheikh Ba Maïmouna, jeune sénégalaise, belle et « pleine de charmes futurs », a été élevée à l’africaine dans la pauvreté par sa mère à Louga, ville-marché de l’intérieur du Sénégal. Devenue grande, orgueilleuse, susceptible, mais « consciente de son malheur », elle contraignit injustement sa mère à l’envoyer à Dakar auprès de sa sœur mariée à un commis expéditionnaire mondain. Grisée par son nouveau train de vie, sans expérience des grandes villes et douloureusement insouciante, elle fut séduite par un homme – habillé à l’européenne – qu’elle a vu un soir au cinéma. Devenue grosse à la stupéfaction de son beau-frère et à la colère de sa sœur, elle retourna malgré elle à Louga. Déception, persécution, blessure d’amour-propre, autant de sentiments et de souffrances déchireront la pauvre aventurière, « la grande vaincue de la vie », contrainte de retourner à ses « occupations premières » de petite vendeuse auprès de sa mère, au marché de Louga. Histoire peu extraordinaire… thème banal que le romancier a essayé de développer avec une méthode dichotomique. Cela se retrouve même dans le plan du roman, où dans deux parties bien déséquilibrées du reste est décrite la vie de Maïmouna à Louga puis à Dakar. C’est la société sénégalaise des années 1930… des souvenirs et des expériences vécues que l’auteur nous décrit en 1958 (date de la première édition du roman : Paris, 1958 Présence Africaine). Pour lui, c’est un monde déchiré, un monde de conflits, entre la brousse et la ville, la pauvreté et le luxe, l’innocence et la méchanceté, bref entre la tradition et la« civilisation moderne ». Telle est la manière dont il expose l’évolution de cette société tout au long du roman, ce sont toujours les mêmes thèmes : inexpérience contre dangers, pauvreté, luxe, déchéance physique et intellectuelle, préjugés sociaux, mariage, sous-produits du façonnement des villes nouvelles. Tout cela baigne dans une cosmogonie, une morale, une atmosphère de pessimisme, de religiosité, voire de fatalisme, pour ne pas dire de conformisme bourgeois. Tels sont par exemple les propos que tiennent, nous dit-il, les vieilles de Louga :« Le monde n’était jamais en équilibre, sa fin approchait à en juger par la dépravation des mœurs, le manque de vergogne de la femme et la lâcheté des hommes. La méchanceté fleurissait comme une plante inutile, le cœur de l’homme se gangrenait de haine et de jalousie. Il fallait se méfier de tout, même de soi-même ». 105 Les étudiants africains et la littérature négro-africaine d’expression française On aurait dit des propos tenus par des personnages de … La Bruyère… Le milieu lougatois apparaît comme un monde de pauvreté grouillante mais plein de noblesse et de traditions. Mais « l’existence n’est qu’un perpétuel recommencement » dans le « village mi-barbare » de Louga où les « hommes se livrent à leurs piteux destins, toujours debout et toujours esclaves d’occupations terre-à-terre ». On peut le quitter pour aller là où l’existence promet d’être meilleur à en juger par ceux qui en sont revenus : Dakar (cf. à propos de Maïmouna : « Tout l’univers était en partance pour Dakar »). Dakar est un lieu de séjour incomparable ; c’est la ville où une jeune fille de la brousse peut recevoir une bonne éducation, apprendre la couture, le lavage, le repassage, les soins du ménage, l’art culinaire, et avoir un mari socialement haut placé… Autant d’arguments pour justifier l’exode rural. Mais c’est la ville nouvelle,« une ville sans âme parce que sans passé », avec « des foules disparates, toujours pressées, sans véritable lien social ou morale, des foules avides de gains, jetées dans le tourbillon de la lutte pour la vie ». Cependant, tout cela n’empêche pas les femmes du Oualo ou du Sine de venir y chercher un travail de bonnes, les dignitaires du pays (marabouts, chefs de cantons, grands politiciens) d’y venir exploiter des parvenus comme le beau-frère de Maïmouna, Bounama… Selon...

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