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85 Les étudiants africains et la littérature négro-africaine d’expression française 14 Remarques sur Chants d’ombre et hosties noires Mame Pathé Diagne Parues séparément entre 1945 et 1948, ces deux plaquettes ont été réunies et publiées ensemble en seconde édition quelques années plus tard. Il ne s’agit donc pas de les présenter, d’abord parce que des œuvres du poète, ce sont les plus connues, surtout une critique abondante en a largement rendu compte. Le propos du poète et le poète lui-même ? Disons pour ne pas trop explorer la suite des temps, ni conjecturer outre mesure sur son devenir qu’à l’époque de la publication, il était un jeune écrivain d’Afrique noire. Il « bedonnait » de diplômes et « tout auréolé de titres universitaires » faisait « paître des têtes blondes sur d’arides textes anciens ». Au lycée Marcelin Berthelot, pendant quelques années, il fut la médiation nécessaire entre les descendants des gréco-latins et la pensée de leurs ancêtres. Esprit rompu à la tradition antique et à ses mythes, il entretenait néanmoins avec ferveur une foi chrétienne solide. Ajoutons pour finir qu’une profonde nostalgie l’habitait du fait de ce double exil à la fois physique et culturel ; aussi, comme un lamentin entreprit-il de revenir puiser à la source. Mais entendons-nous bien, il nourrissait un intarissable amour pour sa nouvelle patrie et cet amour aux couleurs fluctuantes en arriva même à ne plus distinguer entre « Soukeyna, sa sœur, et Madeleine, sa sœur de lait » ; il nous le dit et nous comprenons que sa démarche tout naturellement emprunte la forme d’une pérégrination onirique et nocturne pour ressaisir cette Afrique lointaine. C’est là le climat d’ensemble qui préside à l’élaboration des Chants d’Ombre ; Hosties noires, sans rompre avec l’Afrique, procédant cependant d’un autre point de vue : c’est un poème de guerre, l’auteur nous le confie. Mais, je m’aperçois subitement de l’impropriété de bien des termes. Il ne faut user ici que d’un seul thème : le chant. Le poème, Senghor, nous l’affirme et nous l’en croyons, est en Afrique conte, et un conte exige qu’on le dise, pour retrouver sa vie et son rythme dans le verbe, en un mot le conte est incantation. Chants d’Ombre constituent donc une série … de chants dans lesquels le poète promène son imagination et la nôtre des bords de la Seine aux rives du Sine pour restituer, par l’image et par la puissance mystique et vitale du mot, un ordre aux choses qu’il nomme. Il se propose de les remémorer, de les recréer pour les restituer dans cet ordre ancien qu’ils ont perdu pour lui. Chants d’Ombre atteste cette nostalgie du passé et du lointain et il nous est bien difficile, même avec le recul, à une période de référence contemporaine, à l’œuvre qu’implique notre jugement pour sa validité, de reconnaître immédiatement et intégralement dans cette partie de l’œuvre du poète l’Afrique que nous vivons. 86 Les étudiants africains et la littérature négro-africaine d’expression française Mais soyons prudent, le poète nous précise que sa mission est :« de nommer les choses, les éléments de son univers enfantin pour prohétiser la cité de demain qui renaîtra des cendres de l’ancienne ». Le recours à une Afrique lointaine à la fois dans le temps et dans l’espace est une attitude constante, c’est parfois même lassant à force de passer à côté du réel quotidien et concret. Une Afrique nébuleuse, artificielle qui ne manque pas de séduire l’esprit, malgré sa préciosité. On déplore un peu cette Afrique des masques de salons, qui agite l’insolite, l’irrationnel et l’émotif pour satisfaire un goût d’époque. Cette Afrique d’ethnographe avec son cortège de totems et ce voile idyllique qui entoure les vieilles sociétés qu’on évoque avec compassion. Remémoration d’une réalité qui se meurt. Car ferait-on sienne l’Afrique des empires, on conviendra néanmoins que la communauté de lignage avec Coumba Ndoffène ou un Guelwar somme toute n’équilibre plus...

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