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82 Les étudiants africains et la littérature négro-africaine d’expression française 13 Balles d’or de Guy Tirolien Henri Lopes Présence Africaine vient d’éditer Balles d’Or de Guy Tirolien. Pour en parler justement et en saisir toutes les nuances, il faudrait faire une véritable exégèse de toute la littérature « noire » de ce siècle. Mais la conscience de cette insuffisance ne doit pas nous empêcher de porter un jugement sur l’œuvre qui sort, dussions-nous nous tromper : cela n’est ni une thèse, ni un essai que nous tentons. Simplement, un article pour éclairer nos camarades. Guy Tirolien est un Guadeloupéen, mais un Guadeloupéen dont le chant concerne tous les Noirs, fussent-ils d’Afrique. Sa sensibilité et l’aisance de son expression rendent agréable la lecture de ces poèmes qui racontent l’histoire d’une lutte contre l’assimilation. Et il y aura encore, pendant un certain temps, des jeunes qui, dans telle retraite de Poto-Poto ou de Marie-Galante, liront avec émotion et profit l’œuvre de ce poète dont, à n’en pas douter, il y a un suc à tirer. Lutte contre l’assimilation, pétition du Nègre bafoué, tel est le leitmotiv de cet ouvrage. C’est tout le sens de la fameuse Prière d’un Petit Enfant Nègre, de loin le meilleur poème de ce recueil. Ce recueil, non sans émotion, nous fait refaire le cheminement qu’ont suivi nos pensées depuis l’époque où l’on nous enseignait «nos ancêtres les gaulois… » jusqu’au jour où, on ne sait.« Quel soleil quel réveil ont fondu à jamais Mes neiges impossibles ? ». La démystification accomplie, l’assimilation rejetée, « l’Orphée noir » – pour parler comme Sartre – nous invite à la suivre plonger et chercher les richesses d’une race opprimée. Et sur le mode mineur, l’évocation d’une civilisation hypnotique commence. Tantôt c’est du lyrisme pur (lisez Karukéra), tantôt c’est une véritable chanson de nos villages, sous les baobabs où chauffe la joie populaire (Masque et Chanson), enfin tantôt c’est l’émotion de qui retrouve la terre natale. Sans doute, le pays natal de Tirolien flotte-t-il dans la mer des Antilles et n’est pas notre Afrique. Mais notre terre exploitée par les monopoles, c’est à elle aussi que pensait Tirolien, quand il écrivait du bateau qui le ramenait :« Le salaire de l’homme ici, Ce n’est pas cet argent qui tinte clair, un soir de paye … … Les mouches sont toujours lourdes de vesou, Et l’air chargé de sueur ». 83 Les étudiants africains et la littérature négro-africaine d’expression française C’est bien cela, ce qui nous frappe, nous fils des pays colonisés, à chaque fois que nous retournons au pays : la joie qui nous serre à l’odeur de la terre qui nous a vu naître est toujours doublée de la mélancolie que nous impose le spectacle de notre peuple encore colonisé, encore misérable. Le gosier de Tirolien semble aussi à l’aise lorsqu’il entonne gravement l’épopée de la Mort de Delgrès, le ToussaintLouverture guadeloupéen. C’est là une voie que d’autres poètes devraient suivre, car nous avons-nous aussi nos « Vercingétorix » et « Alexandre Newski» à chanter, pour scander la marche de nos troupes montant à l’assaut de l’impérialisme. Pour donner la mesure du talent de Tirolien, qu’on nous permette de citer ce passage où ses dons de visionnaire, sa capacité de faire rêver le lecteur, sont éclatants :« Et par les rues béantes, Je vais mendiant mon pain, Le pain blanc de l’amour. Dans la sébile que je tends J’entends tinter des jetons sales. Mais j’irai au-delà des faubourgs désolés, Des marigots d’ombre pourrie, Au-delà des médinas, J’irai quêtant l’eau musicale des chansons ». Peintre, mais aussi musicien, musicien de chez nous. Ecoutez le jouer au tamtam : « Cataclysmes ! Catastrophes ! Calamités ! ». Evocation rythmique qui scande aussi tout le poème intitulé, Rythme. Malgré ces qualités, une impression désagréable subsiste une fois Balles d’Or refermé ; à l’heure où le monde des oppri-més apparaît avec fougue sur la scène mondiale et brise ses liens, Tirolien est triste, lui...

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