In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

69 Édition La traversée. J’écrirai ça, plus tard, quand le temps me le permettra… Il y a là matière à un joli film ralenti. J’ai toute une collection de pantins précieusement confiée à ma mémoire et que j’exhumerai à ton intention durant nos bonnes soirées de l’hiver prochain197 . Ainsi font, font, font Les petites marionnettes, Ainsi font, font, font Trois petits tours et puis s’en vont !198 New York. L’arrivée. Port géant d’une cité formidable ! En passant, nous saluons la colossale statue de la liberté ! Le premier moment d’émotion passé, on a tout de même envie de lui placer Manneken-Pis sur la tête à cette énorme Marianne199 à qui l’on a sacrifié tant 197 Cf. supra, p. 55. 198 Refrain de la célèbre comptine « Les petites marionnettes ». 70 de libertés ! Les skyscrapers ont à distance l’air de gigantesques constructions de gosses. Cela ressemble au travail d’un jardin d’enfants du pays des Titans ! C’est grand, impressionnant, tout ce que l’on veut mais cela n’est pas beau ! Nous voilà au port ! On dit que les départs sont tristes… C’est vrai ! Mais certaines arrivées le sont aussi... Le soir est tout proche, le brouillard barbouille le paysage, tout près la ville étrangère allume les millions d’yeux de ses fenêtres pour nous regarder d’un air troublant ! La douane, pas trop tracassière. Le taxi, pas trop sale, ni trop cher. L’hôtel, pas trop étranger. Après un frugal souper ($ .0) au restaurant français « La Provence », nous déambulons dans la grande artère où bat le sang de la cité : c’est Broadway ! Les gens ont l’air d’être mécanisés, beaucoup de types bizarres : un ivrogne – ou peut-être un épileptique puisque la loi sèche est en vigueur – baragouine des choses incompréhensibles en cherchant son subway,200 des faces émaciées de tuberculeux, des masques rudes de cow-boys, des visages sournois de juifs… Presque toujours le regard est froid, souvent mauvais….. La brutalité se lit sur beaucoup de figures. Les femmes sont toutes du même type, comme à Bruxelles : elles sont en général très petites, à courtes et grosses jambes difformes terminées par d’énormes pieds. Elles portent des toilettes criardes et des chapeaux grotesques. Avant de rentrer, nous sommes allés poster une lettre à la CRB,201  Broadway, nous faisons la connaissance d’un pauvre diable de Russe qui nous suppliait de lui parler un peu français : il y a treize ans qu’il lutte ici pour vivre et que la malchance le poursuit.202 199 Ces deux figures emblématiques, l’une belge, l’autre française, des imaginaires collectifs, sont l’objet courant de moqueries, souvent auto-ironiques dans la littérature de voyage. 200 Le métro. 201 La « Commission for Relief in Belgium » (cf. supra, p. 3), présidée par Herbert Hoover, avait en effet son siège à 42 Broadway. 202 Cf. supra, p. 61. [18.116.85.72] Project MUSE (2024-04-19 21:55 GMT) 7 28 iii 22 New York. Washington. Il fait une chaleur étouffante, nous avons dormi porte et fenêtres ouvertes. Après un excellent bain glacé, un frugal déjeuner au Childs,203 nous sommes filés en taxi ($8) vers Pennsylvania station. Gare superbe, d’un luxe confortable inimaginable en Belgique (la gare d’Anvers est peu de chose en comparaison). Dans un magnifique Pullman : train express, à peu près silencieux , à grands wagons salons de 24 easy-chairs (fauteuils-clubs), nous quittons New York en tunnel pour déboucher dans un véritable cloaque de marais croupissants d’où sort une végétation rousse et noire… C’est affreux et bien pire que nos régions dévastées, cet immense dépotoir où s’entassent pêle-mêle les milliers de rebuts d’une formidable industrie. Puis, surgissant d’une terre lépreuse, maculée de boue noirâtre , ce sont les villages étranges qui défilent à nos yeux étonnés. Cela donne l’impression d’un emplacement d’exposition trois mois après la clôture, ou encore d’une foire dévastée par un cyclone . Toutes les maisons sont en bois, petites et de conception bizarre : une sorte d’ersatz de chalets suisses. Seules les usines, 203 Nom d’une...

Share