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Miroir, savoir et éManation dans l’isMaélisMe fatiMide Daniel De Smet (Cnrs, Paris) Le plus ancien texte ismaélien qui aborde de façon systématique le thème du miroir est, à ma connaissance, le premier chapitre de la quatrième partie (al-mašra‘ al-awwal min al-sūr al-rābi‘, littéralement: “le premier carrefour du quatrième mur”) du “Livre de la Quiétude de l’Intellect” (Kitāb Rā at al- ‘Aql), l’ouvrage principal de amīd al-Dīn al-Kirmānī, le célèbre théologien ismaélien d’époque fatimide qui fut dā‘ī en Iraq et passa quelques années au Caire au début du XIe siècle, sous le califat d’al- ākim bi-Amr Allāh1 . Ce chapitre, intitulé fī kayfīyat al-inbi‘āt (“sur la quiddité de l’émanation ”), servira de base à d’importantes élaborations dans la littérature isma élienne d’obédience ayyibite, qui se développera surtout au Yémen à partir du XIIe siècle. Son intérêt et son originalité résident dans le fait que l’image du miroir y figure à la fois dans un contexte cosmologique, illustrant l’émanation de la deuxième Intelligence ou Âme Universelle à partir de l’Intellect, et dans un contexte noétique, pour décrire le mécanisme qui permet à l’âme humaine d’acquérir une connaissance véridique. À l’aide du miroir, al-Kirmānī établit un lien entre la cosmologie et la noétique. Sa démarche couvre ainsi de façon exemplaire le thème de ce colloque: “Miroir et Savoir”. Notre auteur réalise ce programme ambitieux en à peine quelques pages d’une densité extrême. Leur interprétation pose problème, non seulement à cause de la concision de l’exposé, mais aussi de la médiocrité des éditions 1 Daniel De Smet, La Quiétude de l’Intellect. Néoplatonisme et gnose ismaélienne dans l’œuvre de amīd ad-Dīn al-Kirmānī (Xe /XIe s.) (Orientalia Lovaniensia Analecta 67), Louvain 1995; Paul Walker, amīd al-Dīn al-Kirmānī. Ismaili Thought in the Age of al- ākim (Ismaili Heritage Series 3), Londres / New York 1999. Sur la division du Rā at al-‘Aql en sept “murs” (aswār), chaque “mur” comportant sept “carrefours” ou “chemins” (mašāri‘), et la symbolique de la “cité de la connaissance” que cette structure reflète, voir De Smet, Quiétude, pp. 16-18; Walker, Kirmānī, pp. 132-141. 174 DanIel De Smet existantes2 . Je traduirai les passages les plus significatifs, bien conscient qu’une telle entreprise ne saurait être que périlleuse à défaut d’un texte fiable3 . La première partie du Rā at al-‘Aql développe le thème du Taw īd: l’unicité et la transcendance absolues du Principe ultime. Fidèle à une tradition néoplatonicienne proche de Proclus et de Damascius, al-Kirmānī élabore une théologie doublement négative qui nie simultanément au Principe l’être et le non-être, ainsi que tous les autres attributs avec leur négation (le Principe est ni substance, ni non-substance, etc.). Le souci de transcendance amène al-Kirmānī à refuser tout lien causal entre le Principe et sa première créature, l’Intellect. La production de ce dernier ne pourrait se faire par émanation, puisque l’émanation suppose une ressemblance et une proximit é entre la source et l’émané qui mettraient en péril l’inaccessibilité du Principe. Dès lors, l’Intellect est le produit d’un acte d’instauration (ibdā‘), certes initié par l’Ultime, mais conçu de telle façon que l’Intellect s’instaure et se constitue soi-même: il est dès lors le produit de son auto-constitution. Mais une fois l’Intellect instauré, le reste de l’univers procède de lui par voie d’émanation (inbi‘āt)4 . Ici s’enchaîne notre chapitre, qui s’ouvre par une définition de l’émanation : 2 Il existe deux éditions du Rā at al-‘Aql, l’une par Mu ammad Kāmil usayn (The Ismaili Society Series C/1), Le Caire 1953 (notre texte s’y trouve pp. 97-100), l’autre par Mu afā Ġālib, Beyrouth 1983 (pp. 207-211). Toutes les références au Rā at al-‘Aql se rapportent dorénavant à l’édition de Kāmil usayn. Bien que les deux...

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