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Chapitre 6 Le coup d’État de décembre 1999 ou la fin de l’« exception militaire ivoirienne » : les mutations de l’armée ivoirienne depuis 1960 Azoumana Ouattara Introduction Les polémiques sont nombreuses qui entourent encore le coup d’État de 1999 dont l’interprétation reste délicate. Était-ce une « thérapie militaire » d’une crise politique (Akindès 2004) ou bien le meilleur moyen d’aggraver les crises multiples que traversait la Côte d’Ivoire ? En quoi ont consisté les modalités de délégation du pouvoir qui ont fini par mettre aux prises la junte militaire et les « jeunes gens » qui s’estimaient trahis au bout de quelques mois de transition ? N’a-t-on pas parlé trop tôt d’un « coup d’État sans effusion de sang », d’« une révolution des œillets », d’un coup d’État pour ainsi dire « démocratique », qui ouvrait la possibilité de sortir de l’impasse politique grosse d’une guerre civile dans laquelle la Côte d’Ivoire s’était enfermée par l’incurie des hommes politiques ? Ce coup d’État n’était-il pas la matrice des violences à venir ? Le général Guéi lui-même a expliqué que son coup d’État n’en était pas un, ne ressemblait en rien aux coups d’État qui avaient eu lieu dans les autres pays,1 puisqu’il s’agissait de reconstruire l’État ivoirien par la « réconciliation nationale et l’assainissement de la politique de la Côte d’Ivoire.2» Alpha Blondy, la star ivoirienne du reggae, a refusé de diaboliser ces militaires qui promettaient de passer par-dessus bord l’ivoirité et de rétablir un jeu politique normal.3 Ces questions qui appellent des réponses précises doivent cependant partir de l’histoire factuelle pour constater que la Côte d’Ivoire est entrée, en décembre 1999, dans le nouveau millénaire par les portes de la violence. La progression dramatique de son histoire a abouti à une grave crise Côte d’Ivoire : la réinvention de soi dans la violence 170 militaro-civile qui aura signifié la montée en puissance d’une violence multiforme (Akindès 2007). Ce qui explique que l’onde de choc du coup d’État ne s’est pas limitée à la période de la transition militaire. Ses spasmes ont été le complot dit du « Cheval blanc », les mutineries de juillet 2000, les rumeurs incessantes de coups d’État, le complot des taxis (2001), le« complot de la Mercedes noire », le coup d’État-rébellion de septembre 2002. Tout s’est passé comme si la violence politico-militaire était devenue la grammaire de l’interaction sociale parce que la crise de décembre 1999 apparaît comme une tragédie inachevée (Le Pape et Vidal 2002). Le coup d’État fut, en effet, un véritable accélérateur de la déstructuration de l’armée, divisée par des choix partisans, ayant rompu avec la discipline et le respect de la hiérarchie après les mutineries des années 1990. Les dix mois d’une transition militaire chaotique qu’il a ouvert furent rythmés par des dissensions militaires et politiques que le vote d’une nouvelle Constitution n’a pu apaiser. Finalement, il accoucha d’élections violentes dont la contestation a débouché sur une rébellion. La progression de ce drame ne peut être pensée sans prendre en compte l’évolution de l’armée ivoirienne dont la marginalisation puis l’irruption sur la scène politique ont contribué, pour beaucoup, à l’extension de la violence en Côte d’Ivoire. Georges Sorel a une remarque qui nous servira de règle méthodologique : « Il ne faut pas examiner les effets de la violence en partant des résultats immédiats qu’elle peut produire, mais de ses conséquences lointaines. » (Sorel 1990:33) Il semble donc qu’il faille mettre l’accent sur les mutineries de 1990 qui ont frappé de plein fouet l’armée ivoirienne dans le but de mesurer ses effets à long terme. En effet, une mutinerie est la désorganisation d’un ordre militaire dont les règles d’articulation ne sont plus respectées pour faire valoir des revendications touchant aux conditions de vie ou aux défaillances des règles militaires fragilisées par l’arbitraire. Ce moment historique est...

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