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23 Discipline(s), travail manuel et travail intellectuel Guy Jucquois Le lieu d’où l’on parle Ce serait faire injure, en quelque sorte, à ceux qui nous offrent l’hospitalité que de ne pas nous interroger aussi bien – ce qui va sans doute de soi – sur la thématique qui nous rassemble que sur les liens particuliers que cette thématique peut entretenir avec le pays et le continent qui nous hébergent. Je n’ai reçu que tardivement les documents relatant les échanges antérieurs qui ont préparé notre réunion et plutôt que de tenter, sans doute en vain, d’être «à jour» par rapport à votre cheminement, parfois entrepris de longue date, il m’a semblé plus dialogique de croiser les réflexions qui peuvent être les miennes, dans mon milieu, dans mon enracinement, avec celles qui sont les vôtres, en prenant le risque de redites et celui, inévitable, de lacunes. D’ailleurs, je ne suis pas certain que de laisser parler chacun, ainsi qu’on procède traditionnellement, selon un programme établi d’avance par un comité organisateur, en fonction d’un plan structuré, conçu a priori, soit la meilleure manière de procéder, même si elle rassure par son aspect évidemment «rationnel», adjectif qui nous plonge dans la thématique qui nous réunit. En effet, il semble qu’on confonde souvent ordre et rationalité, comme si l’ordre n’était le résultat possible que d’une forme de rationalité ou comme s’il n’existait qu’une rationalité concevable et qu’elle devrait déboucher sur un ordre complet, permanent et définitif. Or, il me semble qu’il faut revendiquer le risque de lacunes dans nos recherches ou le caractère incomplet, partiel et même partial, de nos connaissances, et cela audel à de l’infinie prétention et même de l’absurdité qu’il y aurait à prétendre être complet et davantage encore à ambitionner d’être définitif. J’aimerais vous entretenir de fragilités, de manques, d’interrogations que nous partageons peut-être et qui me paraissent assortir nécessairement toute tentative de compréhension du monde. 266 La rationalité, une ou plurielle? C’est en effet au départ d’une situation d’inconfort que le progrès peut être accompli , à la condition toutefois qu’on accepte d’envisager cette situation pour ce qu’elle est et qu’on ne tente pas de s’y dérober. Dès lors qu’un aspect de la réalité est occulté, volontairement ou non, la rationalité risque fort de n’être plus qu’un alibi de superstitions ou de positions de pouvoir. Sur cette planète où tant d’êtres humains sont démunis, où tant de nos semblables n’ont pas accès à un droit aussi fondamental que celui de se nourrir, de se vêtir et de se soigner, à savoir le droit à la connaissance , le droit à connaître, par l’étude, la réflexion et le dialogue, une première question me vient ainsi à l’esprit. Comment concilier les réflexions sur les cheminements de la pensée et la réalité du dénuement de tant de personnes ? Les Anciens affirmaient «primum vivere, deinde philosophari», ils ne précisaient pas ce qu’il fallait faire en premier lieu quand il n’y a pas de «vivere» décent en perspective? Voilà déjà un premier enjeu, global, à toute réflexion qui consiste à mettre en lien l’aspect éthique et l’aspect intellection. Pour atteindre cet enjeu, l’être humain, individuellement et collectivement, a toujours dû effectuer un long et souvent fastidieux travail, au sens intellectuel et psychologique du terme, comme au sens physique et corporel. Si j’ai bien compris les enjeux de cette rencontre, il s’agit de réfléchir aux liens évidents ou occultés entre différentes formes du travail, envisagé comme un moyen essentiel pour l’homme de vivre d’abord, de s’épanouir et de comprendre le monde ensuite. Il importe donc d’aborder des interrogations aussi vastes que celles du travail , sous toutes ses formes, mais surtout des oppositions entre ses différentes formes avec la question, d’une grande actualité, de l’interdisciplinarité et encore celle des liens à renforcer entre l’enseignement théorique et scolaire et l’apprentissage pratique et professionnel. Dans ce contexte l’opposition entre le travail intellectuel et le travail manuel doit susciter nos interrogations. Enfin, comment ne pas...

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