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6 Stratégies identitaires et migratoires des ressortissants africains résidant à Abidjan: quelle évolution possible ? Sylvie Bredeloup En Côte d’Ivoire, les frontières bougent. L’étranger, qui participait hier au développement économique et politique du pays, devient aujourd’hui celui qui met en péril son avenir. L’Ivoirien du Nord, qui s’était allié, au temps d’Houphouët-Boigny, au Baoulé, dans le creuset ivoirien, est assimilé à un « étranger de l’intérieur ».1 Dorénavant , l’étranger et le non-citoyen ne font plus qu’un. Le migrant, qui s’était installé durablement ou provisoirement en Abidjan devenant résidant et vivant en bonne intelligence avec son voisin n’a jamais contribué à la constitution d’enclave ethnique. Il se trouve pourchassé, brutalisé voire sacrifié dans les bidonvilles de la capitale économique en raison de son origine supposée. Autrement dit, la qualité première de l’étranger, sa capacité à être un hôte2 – à être reçu même s’il n’est pas attendu – est sérieusement réinterrogée en cette période de turbulences politiques. La perception de l’autre se transforme, en définitive, selon qu’on pressent en lui un vaincu, un collaborateur potentiel ou un agresseur. La position de l’étranger n’est pas détermin ée une fois pour toute; elle varie dans le temps et dépend de son utilité pour la collectivité comme de l’évolution politique des cités et des brassages qui transforment ou non les grilles de valeurs. Loin d’être assimilée à une promotion régulière et continue dans le temps, l’histoire de l’étranger en Côte d’Ivoire, comme partout ailleurs3 si on se réfère à l’histoire longue, est chaotique. Des périodes d’ouverture, où l’hospitalité la plus chaleureuse est revendiquée, alternent avec des phases de réticence, où la xénophobie la plus sordide est prônée. C’est une histoire à rebondissements qui ne saurait non plus se résumer au cycle relationnel habituellement décrit par les sociologues de Chicago pour tramer les trajectoires des différents groupes immigrés – isolement, contact, compétition et accommodation. Partout dans le monde, il est usuel qu’à des périodes données et selon un modèle récurrent, l’étranger – le 126 Frontières de la citoyenneté et violence politique en Côte d'Ivoire barbare, le métèque ou l’apatride – en mettant en avant sa différence, aiguise les rancœurs, concentre toutes les haines et s’apparente à la figure du bouc émissaire, traduisant toutes les déconvenues politiques. « Les étranges et multiples manières de se dire d’un lieu ou d’un non-lieu, de s’affirmer avec hauteur de sang épuré », « de se dire autochtone ou de vouloir de souche » ne sont pas spécifiques à la Côte d’Ivoire. L’historien M. Detienne a déjà montré, à partir d’une relecture érudite des« mythidéologies », comment se fabrique l’autochtonie, l’ancestralité et comment se produisent des histoires nationales. Déjà, au milieu des années 1990, le non-ivoirien avait redécouvert son étrangeté, reconfigurant à la fois ses relations de voisinage et de travail. Il s’était retrouvé dans l’obligation de s’identifier à une nationalité qu’il avait oublié pour s’être investi, sans retenue, dans le développement du pays et de sa capitale économique ou pour avoir cru à son intégration. Comment l’étranger – plus particulièrement le migrant arrivé de l’Afrique subsaharienne ou son descendant – réagit-il aujourd’hui à ces nouvelles formes d’exclusion alors qu’une nouvelle insurrection militaire en septembre 2002, débouchant sur six mois de conflit armé, a provoqué le déplacement de milliers de personnes ? Quelles stratégies4 à la fois identitaires et migratoires a-t-il expérimenté et continue-til de négocier pour sortir de l’ornière identitaire et construire son avenir ?5 Comment être autochtone en Côte d’Ivoire ou l’étrange destin de l’étranger L’étranger et l’allogène valorisés Si le territoire baptisé Côte d’Ivoire, en 1893, par les colons français n’était pas vierge, il rassemble majoritairement des populations migrantes dont la présence, plus ou moins ancienne, relativise notablement la notion d’autochtonie mise en avant au cours de la dernière décennie par les tenants de l’ivoirité. « Personne n’a originairement le droit de se...

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