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8 BFCI : un laboratoire politique à la croisée des chemins Lazare Ki-Zerbo Nous parlons de BFCI (Burkina Faso Côte d’Ivoire) pour désigner l’entité virtuelle, politique mais non-étatique, que constituerait une certaine forme d’union entre les espaces ivoirien et burkinabé. Non pas la somme des deux États, mais une union entendue comme partage de compétences, tant entre les citoyens que les institutions, sur des questions communes telles que les politiques foncières, la coopération décentralisée, la sécurité aux frontières, la gestion des ressources naturelles, l’information et la communication, la circulation des personnes... ou de biens tels que l’électricité. L’idée de nommer ainsi cet espace en crise nous est venue en passant et repassant devant le siège de la société de transport « BFCI — Sans frontières » à Ouagadougou. À l’heure où nous écrivons, cette société au nom slogan est en difficulté à la fois pour des problèmes de gestion interne et à cause de la baisse du trafic passager entre les deux pays. Par-delà les turbulences sociopolitiques qui secouent actuellement la Côte d’Ivoire et, par contrecoup, ses voisins, nous considérons l’espace BFCI comme une entité « substantielle », au sens que Jacques Lévy donne à la « substance » : La substance [...] affiche l’idée d’une transversalité de l’espace par rapport à l’ensemble des phénomènes sociaux. La société est spatiale de bout en bout — comme elle est sociologique, économique, politique ou historique de bout en bout. Ce qui signifie que l’expression « relations espace/société » n’a de sens que comme un rapport de la partie avec son tout. Dès lors, il faut s’appliquer à chercher — à tisser — les liens qui unissent la dimension spatiale aux autres dimensions du social (Lévy 1994:78). 234 Études africaines de géographie par le bas Ces liens, nous les repèrerons d’abord dans le processus multiforme, démographique et économique essentiellement, mais également culturel, par lequel les sociétés burkinabé ont donné à la Côte d’Ivoire et à son économie de plantation des millions de bras valides. Les migrations de travail du XXe siècle ont conféré au monde voltaïque une extraterritorialité structurelle, l’insérant dans l’espace géographique qui va du bassin des rivières Volta à la côte atlantique, bien au-delà, donc, des frontières d’État officielles. À cet égard, les migrations du siècle écoulé, tout en prolongeant, chronologiquement, une pratique migratoire multiséculaire, en ont bouleversé la trame. La première partie de ce texte proposera une description empirique des migrations voltaïques, anciennes et contemporaines, et de leur incidence sur la configuration géographique des formations politiques ouest-africaines centrales , autrement dit celles qui gravitent à l’intérieur de la Boucle du Niger. La deuxième partie reprendra le matériau empirique ainsi présenté mais en le soumettant , cette fois, à quatre grilles d’interprétation qui, toutes, accentuent une problématique spécifique : • l’économie politique dépendantiste, par laquelle Samir Amin considère le migrant voltaïque sous l’angle de son exploitation par une bourgeoisie ivoirienne relayant le capitalisme international ; • le corpus d’études sociologiques de l’Orstom/Ird1 sur l’économie de plantation en Côte d’Ivoire, qui tend à ériger cette dernière en matrice de l’ethnicité et de l’ordre politique postcolonial ; • la « géopolitique de l’intégration » construite par Marc-Louis Ropivia autour de la notion de « charnière fédérative » et, en ce qui concerne BFCI, l’hypothèse d’un antagonisme primordial entre Sahel et Forêt ; • la théorie de l’État bifide avancée par Mahmood Mamdani, centrée sur un dualisme citoyenneté-assujettissement où le travailleur migrant occupe par excellence une position subalterne. Une discussion critique de ces quatre grilles d’interprétation, de leur portée et de leurs limites, nous permettra d’examiner les apports, à la fois théoriques et pratiques, de la géographie par le bas. Apports théoriques, en ceci que la géographie par le bas permet de trier parmi les modèles d’interprétation disponibles, tout en jetant des passerelles cohérentes entre leurs objets spécifiques respectifs, préalablement disparates. Apports pratiques, dans la mesure où elle suscite un renouvellement en profondeur de plusieurs questions engageant le devenir des peuples africains. En fin de chapitre, nous examinerons plus particulièrement deux de ces...

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