Personnage virtuel et corps performatif: Effets de présence

La présence du « danseur sans corps » : Effet ou réalité ?

La présence du «danseur sans corps» Effet ou réalité?1 CANADA Martine ÉPOQUE© François Brunelle Chorégraphe pour la scène et l’écran, conférencière, professeure émérite de l’Université du Québec à Montréal, lauréate du prix Clifford E. Lee de chorégraphie 1983 et du Prix du Québec Denise-Pelletier 1994, Martine Époque est une figure emblématique de la danse québécoise. Cofondatrice (1999) et codirectrice du LARTech, elle se consacre à la recherchecr éation en technochorégraphie depuis 1989. CANADA Denis POULIN© Martine Époque Montmorencien émérite, professeur associé au Département de danse de l’Université du Québec à Montréal (depuis 2006), professeur et fondateur des programmes de DEC en danse (1985) et d’AEC en animation 3D du mouvement humain (2007) au Collège Montmorency, Denis Poulin est réalisateur de cinédanses. Cofondateur (1999) et codirecteur du LARTech, il se consacre à la recherchecr éation en technochorégraphie depuis 1989. Traiter de la présence du danseur sans corps pourrait au départ apparaître quelque peu intrépide si ce choix des termes employés, dont les sens s’entrechoquent à première vue, n’était pas étayé par des observations tirées d’une pratique soutenue en danse et technologies. C’est cette pratique qui nous a conduits à l’énonciation des concepts et paradigmes que ce titre annonce et qui seront abordés dans cet article. Ainsi, un bref regard analytique sera tout d’abord porté sur ces notions.1 En tout premier lieu, il s’agira de définir ce qu’est la «danse sans corps» et, en confrontant ce concept aux diverses acceptions courantes de ce qu’est «la danse», de dissiper définitivement l’apparence de paradoxe qu’il présente. Ce sont ensuite les diverses significations que revêt la «présence» selon les divers contextes dans lesquels ce terme polysémique est employé qui seront analysées. Enfin, la suite de cet article sera consacrée à la présentation de deux exemples de mise à profit de 1. Ce texte reprend diverses notions abordées dans la thèse de doctorat de Denis Poulin, Les espaces infochorégraphiques d’une danse sans corps, Montréal, Université du Québec à Montréal, 2013. 234 Personnage virtuel et corps performatif «danseurs sans corps» dans des réalisations du LARTech2 qui illustrent les possibles qu’ouvre la technochorégraphie à une création et une expression chorégraphiques d’écran renouvelées. À propos de la danse Parmi les arts d’interprétation, l’art chorégraphique est celui qui est le plus près du corps humain puisque le danseur en est le matériau de création et le média de monstration. Dans le langage courant toutefois, cette caractéristique foncière de la danse est élargie. On parle ainsi de danse en parlant de certains animaux – notamment les danses de séduction chez les oiseaux –, à des matières diverses – danses de particules, danses de neige, dites saltation, et autres – et à celles de personnages de toutes sortes en cinéma d’animation – évoquons seulement ici la magnifique séquence de claquettes du pingouin empereur danseur dans Happy Feet (2006). Ce qui est qualifié de danse est ici un corps, vivant ou qui a fait l’objet d’animation, qui se meut de façon rythmique dans l’espace-temps. Il en résulte que, dans de tels cas, ce n’est pas la présence du corps humain qui est inhérente à la danse, mais la figuration de mouvements dansés. À propos de la «danse sans corps» La danse sans corps, toutefois, évacue ce genre d’utilisation du terme danse au sens figuré et porte exclusivement sur son sens propre d’«art humain». Mais une question foncière se pose alors: Comment l’humain peut-il en être le matériau de création et le médium d’expression s’il n’y est pas présent physiquement? C’est là que les technologies interviennent. Pour comprendre comment ce concept peut être légitime, il faut se référer aux caractéristiques qui fondent la danse sans corps. D’un point de vue historique , elle est d’abord une émanation du xxie siècle. La danse sans corps prend en effet sa source et sa réalité dans les technologies numériques qui permettent de la générer, et tout particulièrement celle de capture du mouvement qui n...