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1 La seconde mort des rois de France, ou la damnatio memoriae DROIT DE CITÉ POUR LE PATRIMOINE 14 E n dépit des révolutions et des changements de régime, les nécropoles des tsars, pas plus que celles des Habsbourg, au Kremlin, à la forteresse Pierre et Paul de Saint­Pétersbourg ou dans la crypte des Capucins de Vienne n’ont été violées ou détruites. En France, seul Napoléon Ier, de tous les souverains qui ont régné sur ce pays, fait l’objet, dans l’église des Invalides, d’une considération funéraire: les cendres de Charles X, de Louis­Philippe et de Napoléon III reposent en terre étrangère; celles de Louis XVIII se trouvent bien dans l’antique nécropole des rois, à Saint­Denis mais, chassées de leur caveau transformé à la fin des années 1950 au motif de travaux archéologiques, elles ont dû attendre la date anniversaire de 1993 pour que soit inscrite sur la dalle funéraire la mention de leur identité. Avec elles se trouvent celles de Louis XVI et de Marie­Antoinette qui, retrouvées – non sans quelque risque d’erreur – dans l’ancien cimetière des guillotinés de la Madeleine, avaient été déposées à Saint­Denis en 1815, pendant les Cent­Jours. Napoléon de retour, désormais consensuel, n’avait pas voulu y porter la main : elles quittèrent l’ancien caveau des Bourbons en même temps que celles de Louis XVIII peu avant 1960. On ne s’étonnera donc pas qu’au touriste contemporain en visite à Saint­Denis, on ne parle guère du souvenir des rois: dans cette ville communiste, l’équipe municipale d’archéologues préfère attirer l’attention sur l’époque mérovingienne. Les travaux d’aménagement urbain autour de la basilique invitent aux fouilles; la science de l’Antiquité tardive et du très haut Moyen Âge connaît un plein essor. Autant de raisons, légitimes certes, pour ne pas insister sur l’Ancien Régime, mais qui conduisent à minimiser l’importance du symbole monarchique à Saint­Denis. Ce n’est RMN-Grand Palais / Agence Bulloz La violation des  sépultures royales pendant la Révolution française dans la basilique Saint-Denis, par Robert Hubert (1733-1808), Paris, musée Carnavalet. [18.117.196.184] Project MUSE (2024-04-24 14:16 GMT) LA SECONDE MORT DES ROIS DE FRANCE, OU LA DAMNATIO MEMORIAE 15 pas un hasard: le même touriste qui se rendrait à la Sainte­Chapelle du Palais dans la Cité n’entendrait pas davantage parler des cérémonies monarchiques et pompes funèbres qui scandaient la vie du monument. Et, au total, seul le troisième haut lieu de la monarchie française, la cathé­ drale des sacres à Reims, paraît avoir échappé à l’oubli de ce qui a consti­ tué la raison d’être de cet ensemble organiquement lié que forment ces trois monuments. En d’autres termes, la mémoire monarchique fait l’objet d’une sorte de censure plus ou moins consciente. On ne s’est guère interrogé sur les raisons de ce fait: il faut probablement les rechercher dans l’his­ toire récente. En effet, jusqu’à la fin de l’entre­deux­guerres, l’opinion monarchiste exerce une influence sensible, y compris dans les milieux intellectuels. Mais l’intégration de certains thèmes de la pensée royaliste au programme de Révolution nationale prôné par le régime de Vichy pendant la Seconde Guerre mondiale, sinon la compromission de plus d’un de leurs adeptes provoquent un rejet massif de cette influence après la Libération: dorénavant, la droite ne doutera plus des vertus du parle­ mentarisme républicain. Va s’instaurer un consensus du silence à propos de ce qui paraît politiquement lié à la monarchie. Il faut avoir en tête ce court chapitre d’histoire récente et ce rejet par la droite, qui en a pourtant été l’héritière, de la mémoire monarchique: à mon avis, nul lien n’existe entre l’amnésie actuelle et l’iconoclasme antimonarchique de la période révolutionnaire. ■ ■ Considérations sur les lieux, les dates et les mobiles La destruction des tombes et le viol des sépultures qui, pendant la Révolution, forment comme le pendant pervers de cet hygiénisme mortuaire qui pousse la fin du xviiie siècle à remettre...

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