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L’interférence carrière scientifique-vie privée chez les chercheurs en début de parcours professionnel Une tension palpable Bernard Fusulier et Maria del Rio Carral Au cœur de l’organisation du travail et de la carrière scientifiques prime la figure symbolique du chercheur entièrement dévoué à son travail, guidé par l’abnégation et le désintéressement. Implicitement, cette figure va de pair avec le présupposé que le ou la chercheur-e1 peut être dégagé-e des tâches et des responsabilités domestiques, lesquelles seraient prises en charge par son ou sa conjoint-e, des personnes proches et/ou des services externalisés (défamilialisés). À certains égards, l’institution scientifique peut être assimilée à une«institution gourmande» (greedy institution) qui cherche à obtenir de l’individu , dans ce cas, du chercheur, l’engagement de toute sa personnalité et de sa loyauté exclusive, tout en tentant de réduire les demandes de ses autres rôles et statuts (Coser, 1974). Unlike total institutions, which often coerce participants to remain within them and even set up physical barriers to withdrawal, entry into a greedy institution is voluntary. However, its claims on individuals become ever more stringent as time passes and as individuals move to higher positions within it. The control is symbolic, based on perceptions that participation in such institutions is highly desirable (Grant et al., 2000, p. 65). Dans la société industrielle, ce mode de fonctionnement «greedy», ou gourmand, prenait appui sur une division sexuée du travail productif et reproductif . Celle-ci se caractérisait par l’assignation prioritaire des hommes à la sphère productive (milieu professionnel) et des femmes à la sphère reproductive 1. Dans le reste du texte, nous suivrons la règle grammaticale de la langue française selon laquelle le «masculin l’emporte», bien que nous soyons conscients de la violence symbolique qu’elle représente pour le genre féminin. 50 Temporalités sociales, temps prescrits, temps institutionnalisés (milieu familial) sur la base de trois éléments au moins: l’institution du mariage, défini comme un lien conjugal durable, publiquement garanti et difficile à dénouer; un statut d’emploi stable (la norme du contrat à vie); et un ethos du devoir (Lalive d’Épinay, 1994) fortement imprégné de ces rapports sociaux de sexe. Aujourd’hui, le développement d’une société postindustrielle a rendu obsolète le modèle de la dissociation sexuée des rôles professionnels et familiaux . Ne serait-ce que sur le plan des réalités conjugales actuelles, marquées par l’importance des couples biactifs, mais aussi des séparations conjugales, ce modèle paraît décalé par rapport aux conditions de vie de nos jours. La distribution des rôles sociaux selon le sexe n’a d’ailleurs plus de légitimité sociale. Les individus sont également plus soucieux de leur épanouissement personnel que de l’accomplissement d’un devoir envers les institutions. Les milieux de vie sont en outre beaucoup plus perméables du fait des technologies de l’information et des communications. L’institution scientifique n’échappe pas à ces grandes transformations. Pourtant, le chercheur «totalement investi» dans son travail reste la figure symbolique valorisée2 . La pression à l’investissement professionnel est par ailleurs renforcée par un contexte social en changement. Le travail académique accélère son rythme compte tenu de l’émergence de nouvelles demandes basées sur l’exigence d’attirer des fonds externes, d’établir des réseaux professionnels plus larges, de s’engager dans des collaborations internationales, etc. Par ailleurs, la qualité du travail scientifique se base de plus en plus sur le critère d’efficacité, de productivité et de mobilité internationale. Les chercheurs sont alors confrontés à des attentes de produire davantage et de livrer de «meilleurs» résultats (publications, doctorats, etc.) dans des périodes de temps de plus en plus courtes liées à la durée des projets et des contrats. Cette nouvelle donne va de pair avec l’augmentation des «gypsy scholars» (Teeuwen et Hantke, 2007) employés sur une base temporaire, à temps partiel et sans perspective d’obtention d’un poste définitif. En somme, nombre de chercheurs se trouvent ainsi soumis à l’injonction de fournir un travail sans frontières spatio-temporelles claires pour le limiter au quotidien et sans normes de productivité explicitement établies dans un horizon professionnel très incertain, notamment durant les premiers stades de...

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