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Les organisations et la vie hors-travail de leurs membres Incorporation, relégation et substitution au fil du temps Ariane Ollier-Malaterre Ce texte s’intéresse à un ensemble de pratiques en ressources humaines qui suscite actuellement un vif intérêt chez les employeurs français, et qui est proposé par les employeurs nord-américains et britanniques depuis les années 1980 et 1990, respectivement (Ollier-Malaterre, 2010). Ces pratiques sont constituées de politiques formelles et d’arrangements informels. On admet généralement qu’elles se composent de deux volets (Bailyn, 1993; Lewis, 1997): la flexibilité temporelle et spatiale du travail (horaires flexibles, télétravail, partages de postes, carrières à plusieurs vitesses), et la mise à la disposition des salariés d’un ensemble d’informations, de prestations financières et d’infrastructures pour faciliter la vie hors-travail, notamment dans le domaine des responsabilités familiales (crèches ou garderies, information sur les aides à la dépendance), de la santé (prévention, séminaires), de la vie quotidienne (assistance juridique, logistique et psychologique), de la formation tout au long de la vie, et du bénévolat. Assez typiquement dans le domaine du management, les pratiques contemporaines d’harmonisation travail–hors-travail sont volontiers présentées dans les médias comme «nouvelles»: si la flexibilité spatio-temporelle du travail est en effet plus récente que les autres pratiques d’harmonisation, l’ensemble de ces pratiques a des racines historiques qui éclairent leur mise en œuvre actuelle par les entreprises. Comment comprendre ces pratiques? S’agit-il purement et simplement d’une reviviscence du paternalisme? Ce texte se fonde sur la distinction apportée par R. M. Kanter entre trois modes historiques de réponse des organisations 18 Temporalités sociales, temps prescrits, temps institutionnalisés à la vie hors-travail de leurs membres et sur un bref rappel historique sur le paternalisme, pour proposer une lecture plus fine et nuancée des pratiques d’harmonisation. TROIS MODES HISTORIQUES DE RÉPONSE À LA FAMILLE Dans le premier chapitre de Work and Family in the United States: A Critical Review and Agenda for Research and Policy (1977a), R. M. Kanter s’intéresse à la façon dont les organisations telles que les armées, les églises, les sectes et les entreprises canalisent la loyauté de leurs membres. Elle considère que la famille est, pour ces organisations, un pôle de loyauté concurrente qu’il s’agit de neutraliser ou de maîtriser. En effet, les tentatives d’action sur le comportement des membres d’une organisation, qui sont l’essence même de la gestion des ressources humaines, sont limitées par le fait qu’ils appartiennent aussi à des familles. L’armée ou l’Église catholique ont leurs modalités propres de contrôle de la famille, comme le célibat des prêtres ou les bases militaires. De même les«communes», ces communautés utopiques que Kanter a beaucoup étudiées, sont nombreuses à interdire les relations d’amitié ou d’amour trop exclusives (Kanter, 1972). Pour elle, l’entreprise, elle aussi, a développé trois modes de gestion de la famille1 , non mutuellement exclusifs: • l’incorporation de la famille pour qu’elle serve les objectifs et les intérêts de l’organisation; • la relégation de la famille en dehors du périmètre du travail; • et la substitution à la famille, ou encore son absorption. Si les premières organisations industrielles «incorporent» les familles pour faciliter le recrutement, la formation et la discipline, les influences des systèmes familiaux sont ensuite démantelées au profit d’une gestion moderne. En raison de la modernisation de la gestion et de la standardisation du travail, les entreprises adoptent deux modes de contrôle de la famille qui tendent au contraire à l’exclure: celui de la «relégation», qui semble ignorer la vie hors-travail de l’individu et ses possibles effets sur son travail (le mythe de la séparation), et celui de la «substitution», dans lequel l’entreprise fournit des services qui relèvent habituellement de la famille et de la communauté, dans une approche que Kanter qualifie de paternaliste2 . 1. Dans le texte cité plus haut (1977a), R. M. Kanter distingue en fait deux modes de gestion de la famille, l’incorporation et l’exclusion, et subdivise l’exclusion en relégation et substitution. À la lumière des lectures postérieures proposées par Hall et Richter (1988) et Kirchmeyer...

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